Polémique: «Blackface»: une actrice égyptienne fait scandale

 

Une comédienne égyptienne grimée en Noire pour imiter une Soudanaise dans un sketch télévisé a provoqué une polémique sur les réseaux sociaux. Nouveau marqueur, selon des experts, d’un problème plus profond et ancien dans le monde arabe: le racisme envers les Noirs.

En adoptant un accent soudanais prononcé, des manières extravagantes et, surtout, en arborant un «blackface», l’actrice égyptienne Shaimaa Seif s’est fait passer pour une Soudanaise pour interpeller en caméra cachée des passagers égyptiens dans un minibus.

Le sketch a été diffusé la semaine dernière dans l’émission «Shaklabaz» («Soubresaut») retransmise durant le ramadan, mois de jeûne musulman, sur la chaîne égyptienne du groupe saoudien MBC (MBC Misr).

Sur les réseaux sociaux, des internautes égyptiens et soudanais ont vivement critiqué l’usage du «blackface», une pratique jugée raciste et représentant de manière caricaturale les personnes noires. L’actrice n’a pas réagi à ces critiques.
«Est-ce que le but était de nous faire rire ?», s’est interrogée sur Facebook Marwa Babiker, une internaute soudanaise. «Pendant que vous tourniez (le sketch), nous manifestions avec le peuple», a-t-elle répliqué dans une vidéo «aimée» plus de 9.000 fois.

Le Soudan est secoué depuis décembre 2018 par un soulèvement populaire contre le régime du président Omar el-Béchir, destitué par l’armée le 11 avril. Des milliers de manifestants continuent de protester contre les militaires maintenant à la tête du pays et réclament le transfert du pouvoir aux civils.

Histoire de l’esclavage

Le «blackface» est largement utilisé depuis plus d’un siècle dans le divertissement égyptien, selon Eve Troutt-Powell, professeure d’histoire à l’Université de Pennsylvanie et auteure de plusieurs ouvrages sur le colonialisme en Egypte et au Soudan.

En dehors de l’Egypte, la chanteuse libanaise Myriam Fares a récemment essuyé les foudres des internautes après la sortie d’un clip où elle apparaissait grimée en Noire, dans un décor censé rappeler la jungle africaine. La vedette de la pop n’avait, elle non plus, pas répondu aux critiques.

«Il existe une histoire plus vaste derrière les caricatures racistes des Noirs en Egypte et ailleurs au Moyen-Orient, c’est l’histoire de l’esclavage», explique Mme Troutt-Powell à l’AFP.

Aux premiers temps de l’islam, des marchands arabes ont vendu au Moyen-Orient et en Afrique du Nord des milliers d’esclaves venus notamment du Soudan.

Le terme arabe «Soudan» désigne d’ailleurs le «pays des Noirs» et le mot «abid» (esclave) est devenu un synonyme de «Noir».

A la tête de l’Union africaine pour l’année 2019 et pays hôte de la Coupe d’Afrique des nations cet été, l’Egypte s’est récemment illustrée par sa diplomatie très active sur le continent.

Le président Abdel Fattah al-Sissi a multiplié les rencontres et les initiatives avec ses homologues africains. Mais sur le continent, les Egyptiens sont réputés pour leur mépris supposé des Noirs.

En 2016, une diplomate kényane, Yvonne Khamati, avait accusé un responsable égyptien d’avoir qualifié les Africains subsahariens «de chiens et d’esclaves» lors d’une conférence de l’ONU. L’Egypte avait nié ces allégations après avoir mené une «enquête».

«Craindre ou ridiculiser»

Selon Mona Kareem, chercheuse au Forum des études transrégionales de Berlin, de telles injures trouvent leur origine dans l’idée préconçue dans la région selon laquelle «la figure du Noir est à craindre ou à ridiculiser».

«Une fixation sur le teint de la peau n’est que l’expression (…) d’un biais racial et ne rend pas compte de la complexité des expériences raciales vécues par les Noirs dans le monde arabe» où ils représentent historiquement une part importante de la population, explique-t-elle à l’AFP.

Aux Etats-Unis, en Europe ou en Australie, où le «blackface» était une pratique courante aux 19e et 20e siècles, son usage provoque désormais régulièrement des polémiques et débats publics.

Dans le monde arabe, la polémique dépasse rarement la sphère des réseaux sociaux, rare espace de liberté d’expression. En Egypte, les critiques sur la toile à l’encontre du sketch de MBC Misr n’ont pas suscité de réactions publiques majeures, dans un pays où les médias, étroitement contrôlés par l’Etat, n’accordent aucune place aux débats d’idées.

Pourtant, «il semble, en particulier dans la comédie, qu’une discussion lucide et sincère sur l’histoire politique et raciale doit encore avoir lieu dans la société égyptienne (…) et se poursuivre dans d’autres», estime Mme Troutt-Powell.

(afp)