[REPORTAGE] Assistance aux immigrés : Lamp, le “consulat bis” du Sénégal à Paris

 

Sofradom, 19 avenue d’Italie. L’adresse est bien connue des immigrés. Niché dans le 13e arrondissement de Paris, l’association “Lamp Développement” qui y a établi ses quartiers, fait office, selon les immigrés eux-mêmes, de “consulat du Sénégal” à côté du consulat officiel dirigé par Amadou Diallo. D’ailleurs le consulat du Sénégal lui “transmet” des cas à traiter, des étudiants à loger, ou lui recommande des sans-papier qui souhaitent régulariser leur séjour en France. Seneweb y a fait un détour. Reportage !

Plus de 19 dossiers régularisés par Lamp, depuis juillet 2019

Dire que les locaux de l’association Lamp grouillent régulièrement de monde. En attestent les allers-retours incessants d’immigrés. Ils sont Sénégalais, Maliens, Congolais, Burkinabè, asiatiques, Sud-Américains parfois en situation irrégulière. Tous sollicitent les services de Lamp développement. Serigne Cheikh Fall Khady Guèye, président de Lamp, leur prête une oreille attentive et répond à leurs sollicitations. Assisté d’un stagiaire, le petit-fils de Mame Cheikh Ibra Fall se retrouve parfois à l’étroit dans le bureau exigu dans lequel il accueille ses hôtes du jour. Hôtes auxquels il prodigue des conseils, des orientations dans les démarches administratives en vue d’un renouvellement d’un titre de séjour, un séjour à régulariser, acquisition de la nationalité française, autorisation de travail, aide médicale d’Etat, entre autres démarches administratives sur le territoire français.

“Nous nous sommes assignés pour objectifs d’aider et d’accompagner les immigrés notamment africains, dans leurs démarches. Nous leur prodiguons des conseils juridiques, les assistons dans toutes les démarches et leur délivrons des formations”, campe d’emblée, le Baye-Fall sans les dreadlocks et à l’écharpe aux couleurs du pays de la téranga. Lamp, à cet effet, a signé une convention avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), un établissement public qui s’active dans l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés présents sur le sol français.

“J’ai emprunté les pirogues de la mort il y a 15 ans pour atterrir à Paris après un long périple”

Tenté par l’émigration clandestine, Omar, un jeune sénégalais, a pris les “pirogues de la mort” il y a de cela 15 ans. Il est passé par la Libye, l’Italie, avant de débarquer en France. Sans papiers, obtenir une régularisation de sa situation est son vœu le plus ardent. Il lui a ainsi été recommandé de prendre langue avec l’association Lamp en vue d’obtenir, dans un premier temps, un hébergement d’urgence. “Nous l’avons assisté. Ce n’était pas évident, mais nous lui avons trouvé un hôtel pour quelques jours. Il a pu trouver un logement par la suite”, se réjouit Cheikh Fall. “Pour les hébergements d’urgence, il nous arrive de solliciter des personnes bien établies, qui puissent les accueillir. Ici, certains viennent pour se faire des CV, d’autres pour être renseignés sur l’AME (Aide médicale d’Etat) par exemple. Ou sur des demandes d’autorisation de travail (Cerfa)”, explique-t-il.

C’est le cas de ce Congolais d’une trentaine d’années, qui avait fait une demande d’asile et dont le dossier n’a pas connu une suite. Lamp lui a proposé un accompagnement dans le suivi du dossier. “Souvent ils nous sont recommandés par des personnes qui ont déjà bénéficié de nos services”, confie Cheikh Fall, si habitué à des cas désespérés qu’il met en garde: “Il y a, ici, des Sénégalais que leurs proches ont perdus pour toujours. Certains ne trouvent pas de logement et dorment à la belle étoile pendant l’hiver. Il y a des histoires incroyables que vivent les immigrés hommes et femmes ici, notamment les sans-papier.”. Fall veut ainsi interpeller l’Etat du Sénégal, mais surtout les proches parents restés au pays, sur les difficultés liées à l’émigration et à l’intégration dans l’Hexagone. Afin de décourager, tente-t-il, les candidats au voyage qui empruntent les pirogues de la mort et tapent à la porte de son bureau après un long périple.

“Lamp ne dispose pas de logement pour héberger tous ceux qui sollicitent ses services”

À notre première visite dans les locaux de Lamp, un jeune homme débarque. La vingtaine révolue, il a quitté sa Casamance natale pour s’établir en France il y a plusieurs mois. Le calvaire que lui fait vivre l’hiver se ressent dans son accoutrement mais plus dans ses mains gelées qu’il nous serre. Son souci, c’est de trouver un toit. D’urgence ! Mais, “Lamp ne dispose pas de logement pour pouvoir héberger toutes les personnes qui sollicitent ses services”, prévient Serigne Cheikh Fall. Qui néanmoins, va passer plusieurs coups de fil, avant qu’une solution provisoire ne lui soit proposée. Peu après, le jeune homme repart satisfait, sourire au coin. Et il est loin d’être le seul dans son cas. Difficile de les faire parler quand on est journaliste. Pour la plupart, ils se méfient de la presse et pour des raisons bien évidentes…

“Tous les jours on reçoit des cas sociaux et on n’a pas les moyens de les satisfaire. Des gens viennent de partout pour nous solliciter. Certains traversent toute la France pour arriver à nous. Une autre fois, une jeune étudiante est venue d’une ville du Sud, parce qu’elle était menacée d’expulsion par son bailleur. On est parfois obligés de puiser dans le compte bancaire de l’association pour régler ces cas d’urgence. Quand l’Etat attribue des bourses d’études, il devrait consulter les associations pour voir comment mieux rationaliser leur répartition”, suggère Serigne Cheikh Fall aux autorités.

En effet, dans le but de mieux prendre en charge les cas sociaux et parfois désespérés, Lamp a sollicité les services d’une avocate. “Nous sommes tous des bénévoles ici. Seule l’avocate qui travaille avec nous, a un salaire payé par Lamp. Elle travaille avec l’Ofii et gère nos dossiers, notamment sur les droits des étrangers. Ici les immigrés sont tenus de suivre des cours de civisme. On leur apprend à s’intégrer en France. Et le ministère des Affaires étrangères du Sénégal devrait appuyer les associations comme la nôtre qui œuvrent dans ce domaine”, lâche Cheikh Fall, qui ne s’attarde pas outre mesure sur les difficultés que rencontre son association, Lamp, qui ne reçoit aucune subvention si ce ne sont des contributions de tiers.

“Nous ne croyons pas à l’assistanat, mais au travail et ce que nous faisons au quotidien porte ses fruits. Nous pensons même changer les statuts pour en faire une association de développement humain au profit des Sénégalais, des immigrés d’une manière générale. Car jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas la possibilité de monter des dossiers de régularisation. Nous envisageons aussi de monter un centre de formation civique (centre Tf). Les immigrés illettrés ont des difficultés pour obtenir la carte de séjour. Ces cours leurs permettent d’accélérer la délivrance de leur titre de séjour”, éclaire-t-il.

Projet d’acquisition d’une maison “Keur Cheikh Ibra Fall” pour accueillir les sans-abri

Croulant sous le poids des demandes d’hébergement, Lamp ambitionne d’acquérir, à Paris, une maison dénommée “Keur Mame Cheikh Ibra Fall”, qui sera bâtie sur le modèle des maisons Keur Serigne Touba à Aulnay et à Taverny. Une manière de mieux asseoir sa lutte “contre l’exclusion sociale, la promotion de la non-violence, pour l’intégration des exclus, la sensibilisation aux échanges culturels, l’aide à l’insertion, l’accueil et accompagnement administratif, l’apprentissage du français et l’accès aux études supérieures”, lit-on dans les textes qui régissent le fonctionnement de l’association fondée par Serigne Cheikh Fall Khady Guèye, petit-fils de Mame Cheikh Ibra Fall et compagnon du fondateur du mouridisme au Sénégal.

Aujourd’hui, son rêve est de disposer d’un local pour accueillir les immigrés en difficulté, pour venir en aide aux nécessiteux, quel que soit leur pays d’origine. D’où l’urgence, souligne-t-il, d’acquérir une maison “Keur Cheikh Ibra Fall” à Paris. “Ce serait bénéfique pour les étudiants, les immigrés en difficultés, pour l’enseignement du coran au profit des enfants des immigrés. Et serait un grand pas aussi dans la lutte contre la radicalisation des jeunes qui souvent se retournent vers les arabes. Pour nous, il s’agit de préserver les valeurs, les familles qui sont ici, pour que leurs enfants ne succombent pas aux tentations de la perdition ou de la radicalisation. Au total, 19 personnes accompagnées par Lamp ont été régularisées depuis le 1er juillet 2019”, souffle-t-il, en toute modestie.

Lentement, mais sûrement, Lamp réussit ses objectifs, en attendant, de voir se matérialiser, un jour, son rêve d’acquérir une maison Keur Cheikh Ibra Fall au bénéfice exclusif des immigrés. Mame Cheikh Ibra Fall dont le fils aîné, Mame Falilou Fall, est tombé au champ d’honneur lors de la Grande guerre 14-18. Une commémoration lui sera dédiée, pour la troisième fois, le 8 mai, à l’Arc de Triomphe, par l’association Lamp Développement-Paris, en appui à l’association Serigne Falilou Fall qui perpétue la mémoire du tirailleur sénégalais alors envoyé au front en France par son père Cheikh Ibra Fall.

seneweb