Le cinéaste Moussa Sène Absa rend hommage à Guy Marius Sagna

 

Joyeux anniversaire Guy.
Je m’en allais à Mbélélane quand un piètre gueux m’a approché.
Par l’odeur qu’il dégageait, j’ai compris que c’était un boucher.
Il tenait d’une main une machette et de l’autre un cahier tâché de sang.
Il m’a demandé de te transmettre ce qu’il a pompeusement appelé son testament.
Le testament du boucher.
Et voilà ce qu’il me dit de te dire.
Et de ne le dire à personne d’autre.
« Cher Guy,
Ma petite fille bien aimée dit toujours Gouye, le baobab, à la place de Guy.
Et je ne n’ai jamais voulu la corriger.
Parce que je crois que tu es un baobab.
Témoin de tant d’histoires
Se tenant fièrement debout
Bandant ses muscles et jetant au ciel une crinière si fière.
Tu es ce baobab millénaire
Puisant sa sève des entrailles de la terre.
Là où se sont étendues tant de valeurs jadis chantées par les griots
Là où s’élèvent tant de clameurs
Tant de viatiques
Tant de sources du savoir.
Tant de grandeur
Tant de dignité.
Sans tambours ni cris.
Depuis ta première incarcération, je n’arrête plus de compter les jours qui passent.
Engourdi, je le suis.
Trahi , je me sens.
Comme tu me manques !
Ton sourire si lumineux.
Ta voix si ferme.
Ton allure si douce.
Ton regard si beau.
Ta fille tant aimée est passée m’apporter la terrible nouvelle.
Elle a passé la journée à mon étal, tentant de sécher mes larmes en flots.
Tu peux être fière de ta fille.
Elle sait quel père elle a.
Elle en est fière.
Ton épouse marche la tête haute
Sous les regards insipides des dames de la Cité.
Il paraît que, là-haut, sur les Collines de Ndoumbélane
Le prince est entouré de vautours
Les mandibules en sang
L’appétit des délices
La peur de tout perdre.
Moi, je ne dois rien à personne.
Je n’ai point de dettes.
Sauf à cette fichue Sénélec qui me grignote mes maigres sous.
Ils disent là-haut qu’il ne faut rien dire.
Qu’il faut juste payer et se taire.
La gabelle de la Cour est bien vide
Madame la Princesse n’a plus un sou
Pour entretenir ses mille courtisanes
Toutes plus blanches les unes que les autres
Le pagne si léger
Le regard alléchant
J’ai vu des ministres circuler en trottinette
Avec comme slogan « Trottez, l’émergence arrive ! »
Et ils trottent !
Des chanteurs de saison ont même invité des danses !
Ils veulent me faire croire que ma sueur doit faire bouillir leur marmite.
Que je suis un pauvre gueux qui ne comprend rien.
Qu’il faut qu’il y’ait des pauvres pour avoir des riches.
Que pour être riche, cela ne dépend même plus de toi.
Que c’est le fruit du travail harassant de ta mère qui a tant trimé.
Que tout s’est joué bien avant ta naissance.
Que ceci.
Que cela.
Et les gens de Ndoubélane cherchent tous la porte de sortie.
Indisciplinés qu’ils sont, c’est un véritable souk.
Le Prince a ouvert les portes du palais
Il a étalé une belle table dans le salon d’honneur
Avec victuaille et ripaille
Il a ouvert gros ses bras
Venez manger, jaloux !
Y’en en qui y vont franco.
De belles diatribes en bandoulières
Se léchant déjà les babines
A l’odeur allègre des cuisines du palais.
Qui font si bien au palais.
Y’en a qui gigotent dans leur coin
Le menton bas, la moue pointue
Ils veulent bien aller à table mais leurs accompagnants sont si bruyants que les antennes de la Cité se brouillent.
Ils utilisent alors les arrière-cour du palais
La nuit tombée
Le pas bien feutré.
Ceux-là s’essuient vite fait la bouche
Dès qu’un visiteur se pointe
Ils ont honte de manger
Quand tout le monde a faim.
Le peuple regarde.
C’est tout ce qui est permis à Ndoulélane
Regarder et se taire, c’est écrit dans le dernier article du décret du palais.
Une dame toute couverte d’or l’a annoncé sur les marche de la suffisance.
Je sais que tu n’aimes pas la politique
Alors, je vais te parler d’autre chose
De peur que les indics ne lisent dans ta tête
Ce que tu tiens dans tes mains.
Moi aussi je regarde.
Je n’ai point ta fougue
Encore moins ton courage.
Je déteste me sentir lâche.
Comme tout le monde.
Le peuple regarde sa jeunesse abasourdie
Des mirages de l’Autre
Ils ne s’aiment pas pour une once d’or
Ne sachant point ce qu’ils sont
Ignorant tout de ce qu’ils ont.
Sur les collines de Ndoumbélane
Le prince rugit de fureur.
Oser défier le blanc est une outrecuidance
Qui ne saurait prospérer
Sous les étendues de son territoire.
Il clame haut et fort son amitié pour les Autres
Au mépris des mugissements du peuple.
Il paraît que des forces lumineuses
Lui envoient des émissaires
Dans le secret des dieux.
Mais j’attends de voir.
Et nous voilà recevant de belles claques
Une sur la joue droite.
Une autre sur la joue gauche.
Et cela dure depuis des années
De telle sorte qu’on désigne une scoumoune
Qui nous poursuivrait depuis la nuit des temps.
Je ne veux pas le croire.
Car je suis croyant.
Je pense que le peuple attend.
Jusqu’où ira le Prince ?
C’est vrai que des tuyaux font gicler le pétrole noir de notre terre.
Là-bas dans les bidonvilles mal famés
Qu’un mégot d’un pauvre type a mis en flammes.
On ne compte même plus les morts.
Et la vie continue.
Comme tu croupis encore dans les geôles de Ndoumbélane
Pour dire nos silences si lâches
Notre condescendance du clavier
Bien loin de tes nuits noires.
Où seul le silence de ton corps apaise.
Ta conscience d’un soldat humilié
Devant l’insouciance d’un peuple devenu amorphe
Tétanisé par les ardeurs de la vie.
Salut Soldat au grand cœur
Chevalier de notre temps si turbulent
Défenseur de la veuve et de l’orphelin
Justicier élégant face aux aboyeurs payés par la cour
Amoureux de cette belle patrie
Que tu chéris tant.
Salut Citoyen bien avisé
Dans les tourments de bonimenteurs
Qui piaillent pour dire aux misérables
Que demain sera un autre jour
Où eux aussi feraient bombance
Tous frais payés.
Salut Sénégalais des belles valeurs
Qui porte si bien sa camisole de circoncis
La vérité dans la bouche
Les faits si hauts.
Dors, jeune homme.
Dors dans le noir.
Ta vie en vaut bien la peine.

Popenguine, ce 29 Janvier 2020
Moussa Sène Absa