
Des concitoyens qui piétinent la suspension des déplacements interurbains et charrient le virus dans les profondeurs du pays, des personnes infectées qui s’enfuient des centres de traitement. D’autres, adeptes de la théorie du complot, qui nient toujours l’existence de la maladie… Deux mois après le début de l’épidémie, le tableau de l’incivisme et de l’insouciance n’est pas beau à voir au Sénégal.
Chez nous, la diffusion rapide du covid-19 semble avoir été plus aidée par « l’insouciance » et « l’incivisme » que par sa légendaire rapidité de contagion. Résultat : 9 personnes décédées (10 ce lundi 4 mai), 11 régions touchées, une contagion communautaire en croissance et le spectre de la saturation des hôpitaux qui commence à hanter.
Inculture, l’allié numéro 1 du virus au Sénégal
Sociologue, Abdou Khadre Sanogo, estime que cette posture qu’ont adopté nombre de nos concitoyens, trouve sa source dans une tares de notre société que la crise a su dévoiler au grand jour : « Il y a un déficit de capital de connaissances et de capital culturel. Ce qui pousse les sénégalais à banaliser et à négliger l’essentiel. Il y a une absence de pointillisme par rapport à la perception et la représentation de l’essentiel, l’important ou même par rapport au ‘‘grave’’. Les sénégalais ont tendance à les banaliser.»
Aujourd’hui, même à 9 décès liés au covid-19, certains concitoyens continuent à nier l’existence de la maladie. L’insouciance et l’incivisme, principaux alliés de l’épidémie, pavent encore le quotidien de nombre de sénégalais. «Tant que ça ne touche pas un membre de la famille, vous pensez que ce n’est pas encore trop grave. Et aujourd’hui, ce degrés d’insouciance on peut le mesurer à travers l’affluence dans les boulangeries, mais aussi au niveau du port du masque», estime le sociologue.
Ces dernières semaines, plus que cette insouciance, c’est surtout le travail de sape de certains automobiliste, charretiers et motocyclistes, qui a catalysé la propagation du virus à travers le pays. Ce phénomène a-t-il été encouragé par une certaine faiblesse de l’autorité ou de la puissance policière ? Est-ce une illustration de la porosité de nos frontières régionales ?
Colonel Ndiaye «Même si vous mettiez 40 000 policiers… »
Porte-parole de la police à la retraite, le Colonel Alioune Ndiaye précise que Non. Pour lui, la cause est tout autre. «Vous mettrez 40 000 policiers, mais chacun trouvera un petit moment, une petite surface de terrain où il fera ce qu’il veut. Un individu qui quitte Touba pour aller à Kaolack à bord de moto Jakarta, voyez-vous quelle distance il fait ? Cela veut dire que celui-là, rien ne l’arrêtera. Il y va pour quoi ? Pour gagner de l’argent (…) Ce dont il s’agit ici, c’est un problème de comportement.»
Ex Directeur de l’office central de répression du trafic illicite de stupéfiants, Cheikhna Keita ne dit pas le contraire. L’ex haut gradé de la police est d’accord que l’appareil d’Etat et ses services ont bien une responsabilité dans une telle situation. Puisque c’est à eux de faire respecter les interdictions en occupant suffisamment l’espace, en contrôlant et en faisant une communication suffisante. Mais, lui-aussi reste convaincu qu’un problème de comportement se pose.
Commissaire Keita : «Le contrôle de telles interdictions est très difficile sur le terrain»
«De manière pratique, le contrôle de telles interdictions est très difficile sur le terrain. Parce que quand les gens veulent se déplacer, ils utiliseront toute leur imagination pour contourner le problème qu’on leur pose. La route est très facile à surveiller. Mais après il y a toute la forêt, tous les moyens de locomotion comme les charrettes, les motos», dit-il.
Et ce qui empire la situation, c’est que les systèmes de répression, au Sénégal, n’étaient pas outillés et préparés à faire face à une telle situation explique l’ex homme de terrain. Mais, pour faire respecter les mesures et préserver les populations, il appelle ceux qui sont chargés de faire respecter la loi, de continuer à agir, d’apprendre des manquements sur le terrain, des limites des stratégies déployées et de remplir leur mission.
Une paupérisation qui ne facilite pas les chose
Pour le Dr Sanogo, un facteur peut expliquer ce qui pousse certains de nos concitoyens à braver les mesures administratives prises en cette période de pandémie. Et ce facteur est purement économique. Le sociologue explique que pour la majorité des sénégalais, le système général de la vie dépend de l’informel. Ce qui traduit un fort niveau de paupérisation.
«Il y a des gens dont le quotidien n’est jamais assuré tan qu’ils n’ont pas fini une journée d’activité hors de leur maison. Ce sont, pour la plupart, ceux qui bravent les interdits, au risque de s’exposer, parce qu’ils ont l’impression que s’ils s’enferment chez eux, ils risquent une sorte d’étranglement social ou de mort sociale. Car regarder vos enfants qui attendent leur pitance de vous et qui n’arrivent pas à l’avoir, ce ne sont pas tous les pères de familles qui peuvent supporter cela.»
Aujourd’hui, le niveau de la pandémie ne faiblit pas au Sénégal. Et quoique les spécialistes soient en train de déployer leurs stratégies pour y mettre un terme, seule la communauté détient la clé du succès. Mais pour l’instant, tout le monde ne semble pas tirer dans le même sens.
Youssouf SANE / igfm