50 ANS LE SOLEIL : BARA DIOUF, 1ER JOURNALISTE SÉNÉGALAIS DIPLÔMÉ, SE CONFIE

 

Le journal Le Soleil a 50 ans aujourd’hui. Un moment solennel que choisi le quotidien national de publier l’interview réalisée en 2010 avec Bara Diouf, ex-directeur général du quotidien national, décédé en 2016, copté, dans le cadre d’un projet de documentaire, parmi les personnalités témoins de l’époque coloniale. L’ex-reporter du journal Le Monde était dans la délégation du Général Charles de Gaulle, en 1959, lorsque ce dernier avait décidé d’organiser la 6e session du Conseil exécutif de la communauté à Saint-Louis du Sénégal qui était à l’époque la capitale de l’Afrique occidentale française (AOF). Un retour au bercail après quinze ans d’absence.

Création du Soleil

« Quand je suis revenu de France lors du fameux voyage du Général de Gaulle en 1959 à Saint-Louis, Houphouët Boigny, qui participait au Sommet, a tout fait pour me récupérer et m’emmener avec lui en Côte d’Ivoire (où vivaient ses parents mais Obeye Diop avait proposé de me nommer comme directeur général de l’Agence de presse sénégalaise (APS). Une agence que j’avais créée et fondée car seuls des journalistes français étaient là pour le compte de l’Agence France presse (AFP). Le directeur de l’antenne local était d’ailleurs mon condisciple à l’Ecole de journalisme de la rue du Louvre à Paris. Et plus tard, après l’indépendance, les autorités décidèrent de mettre sur pied un journal sénégalais. Je me souviens que Michel de Breteuil, qui avait beaucoup d’estime pour moi, était le patron de ’’Paris Dakar’’ fondé durant la colonisation, et s’appela ensuite ’’Dakar matin’’ afin de coller à la nouvelle ambiance politique. Ce n’était plus, en effet, Paris-Dakar comme axe, mais Dakar qui, chaque matin, donnait le ton et indiquait comment vivaient le Sénégal, l’Afrique et le monde. Après tant d’années, il avait envie de partir et de me laisser la publication puisque j’étais le premier Sénégalais diplômé de journalisme. Je me souviens que Michel de Breteuil avait dit à Senghor : « Je m’en vais, je n’ai plus de place ici car le système colonial qui m’a vu naître et grandir est fini. J’ai fait mon travail, je suis en bonne amitié avec tout le monde, mais c’est bien le moment de partir en fermant mon journal. En attendant, je vous laisse le soin de former ceux qui vont diriger le vôtre’’. C’est ainsi que Senghor avait décidé de créer un quotidien qu’il avait lui-même appelé Le Soleil. Et comme j’étais le premier sénégalais ancien directeur d’une entreprise de presse, qui voulez-vous qu’il choisisse pour faire partie des premiers dirigeants de ce nouveau journal ? (…) Nos objectifs étaient de réveiller les consciences, construire une nation et informer sur la marche de l’État en misant sur des intellectuels. Mon option politique était axée sur l’Homme afin de forger sa dignité, sa valeur, de bâtir un citoyen laïc, ouvert à tout le monde, capable d’oublier sa race, sa religion, son ethnie, pour ne voir que sa grandeur et sa capacité à réagir une belle et grande Afrique. (…) Je me souviens que lorsque j’avais eu des divergences avec Sékou Touré, le président de la Guinée, Senghor m’avait convoqué dans son bureau et m’avait dit ceci : ’’Bara, laisse tomber cette polémique, ça ne vaut pas la peine, surtout avec quelqu’un comme Sékou Touré, et tout le combat qu’il a mené pour l’Afrique. Il ne faut pas perdre ton temps en le jugeant pour ce qu’il est en train de faire maintenant. Faisons notre Afrique, faisons le Sénégal et travaillons pour qu’il n’y ait plus de querelles ethniques entre sérères, wolofs, toucouleurs, diolas, etc. Mais uniquement un grand peuple sénégalais’’. Ce conseil de Senghor, je le réitère aux jeunes d’aujourd’hui. Soyez de grands hommes de culture, ayez des diplômes, élaborez de grandes pensées politiques sur l’homme et son éternité ! Voilà ce combat que nous menions à l’époque, ce qui expliquait pourquoi il m’était facile de faire des éditoriaux dans de telles conditions, dans un tel contexte. Je n’attaquais personne. »


Conseil aux jeunes journalistes

« Le seul conseil que je donne aux jeunes journalistes est celui-ci : lisez car votre drame est que vous ne lisez pas beaucoup. Lisez tout ! Vous avez de devoir d’être l’écho de la Nation et, pour bien transmettre cet écho, vous devez percevoir ce bruit ».

emedia