À Los Angeles, «rien n’a changé» depuis Rodney King

 

Une fois encore à Los Angeles, les troubles ont été provoqués par des violences policières commises contre la minorité noire. Et comme pour Rodney King à Los Angeles, la mort de George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis a été filmée par un témoin. «C’est triste, mais de bien des façons, rien n’a changé hormis l’année», résume Jody David Armour, professeur de droit à l’université de Californie-du Sud (USC), interrogé par l’AFP.

«La brutalité policière à l’encontre des Américains noirs est omniprésente et persistante, ce qui déclenche des manifestations de masse», dit-il, égrenant une longue liste de précédents à travers le pays.

De l’ancien basketteur vedette Kareem Abdul-Jabbar aux anonymes descendus dans les rues de Los Angeles pour réclamer justice, beaucoup disent la même chose: la mort de Floyd n’aura été que le énième révélateur de siècles d’injustices raciales.

«Nous sommes fatigués»

«1992 ne signifie rien. Nous nous battons pour les 500 dernières années du peuple afro-américain», lâche, la voix tremblante de colère, Jessica Hubbert, manifestante rencontrée par l’AFP à Hollywood. «C’est pour nos ancêtres, pour chaque personne victime des Blancs, de la police […] C’est pour cela que nous sommes dehors. Nous sommes fatigués. Nous en avons assez. Ils continuent de nous tuer», lance cette femme noire âgée de 30 ans.

Experts et militants relèvent toutefois un changement notable en 2020: les manifestations débordent largement les seules populations noires et leurs quartiers. Ils sont aussi bien mieux organisés grâce à l’émergence du mouvement Black Lives Matter.

«On est déjà passé par là… les gens savent ce qu’est le stress des émeutes, ce que cela fait de détruire son propre quartier», explique à l’AFP John Jones III, responsable associatif dans le Watts, zone populaire et majoritairement noire du sud de Los Angeles.

Acteurs extérieurs

Alors que Rodney King avait été victime de la police de la ville, la mort de George Floyd est survenue à Minneapolis, ce qui rend le drame un peu moins personnel pour les habitants de Watts, estime-t-il.

«Mais cela fait tout aussi mal», souligne M. Jones, et cela n’empêche pas de nombreux jeunes du voisinage d’aller exprimer leur colère ailleurs, jusque dans des zones touristiques et huppées comme Beverly Hills et Santa Monica. Ils y ont retrouvé des manifestants qui ne sont ni noirs ni pauvres, mais tout aussi excédés par les discriminations raciales et les violences policières.

«Maintenant, on voit des acteurs extérieurs qui ne ressemblent pas aux victimes de ces meurtres; des militants blancs qui débarquent, qui cassent et vandalisent», relève Allissa Richardson, qui enseigne le journalisme à l’USC et a écrit un livre consacré au «journalisme smartphone» pratiqué par les militants noirs sur les réseaux sociaux.

Un signe d’espoir

«Avant, on aurait juste vu des gens de couleur faisant des dégâts dans leurs propres communautés, comme pour les émeutes de Watts ou celles pour Rodney King», estime-t-elle.

Pour Jody David Armour, la colère dépasse le seul cadre des violences policières. Inégalités sociales, économiques, sanitaires… «Partout où vous regardez, ce sont des Américains noirs qui sont au fond du trou. De plus en plus de citoyens blancs sortent du déni à ce sujet», dit Jody David Armour, qui y voit «un signe d’espoir».

«Je pense que bon nombre de ces jeunes gens commencent à dire qu’il y a un problème. Qu’en tant qu’Américains, ils ne se sentent pas prêts à faire partie d’un système qui maintient son genou sur le cou de l’Amérique noire», affirme-t-il.

Pour Jessica Hubert, les mouvements de protestation actuels sont aussi un moyen de construire l’avenir, «mon avenir». «Je veux pouvoir être sûre que j’aurai des enfants et qu’ils seront en sécurité».

Dernière différence appréciable par rapport aux décennies précédentes: les émeutes de 1965 et 1992 avaient fait des dizaines de morts, alors qu’aucune victime n’a pour l’instant été déplorée à Los Angeles.

(ATS)