
Les langues se délient concernant le sort malheureux réservé aux terres du domaine public maritime. Le littoral sénégalais aurait été morcelé et attribué en méconnaissance totale de la loi, notamment à des chefs religieux, des magistrats, des autorités administratives et des hommes politiques sénégalais et étrangers.
D’ailleurs, un fait quelque peu curieux, le président congolais Denis Sassou Nguesso, ainsi que son neveu et ex-chef des renseignements du Congo Jean- Dominique Okemba détiendraient des parcelles de terrain sur le côtier à Dakar.
Tout cela est extrêmement grave ! Plus grave encore, les usurpateurs parviennent à obtenir des titres fonciers et des permis de construire sur des assiettes appartenant au domaine public maritime. La bonne nouvelle pour les sénégalais : toutes ces terres spoliées pourraient être récupérées et restituées à l’État du Sénégal sine die car « le domaine public est inaliénable et imprescriptible » (article 9 du Code du domaine de l’État).
Le littoral fait partie du domaine public naturel. Il s’agit techniquement, pour reprendre le Code du domaine de l’État en son article 5 (a), des rivages de la mer couverts et découverts lors des plus fortes marées, ainsi que de la zone de cent mètres de large à partir de la limite atteinte par les plus fortes marées. Les terres situées dans ces zones maritimes sont inaliénables, elles sont donc incessibles. Par conséquent, les titres fonciers et les permis de construire les concernant sont illégaux, quels qu’en soient la qualité et le rang social des détenteurs. Le domaine public est aussi imprescriptible.
En d’autres termes, nul ne peut se prévaloir d’un titre possessoire sur les terres en question par le fait d’une occupation prolongée et il sera toujours possible, s’il y a lieu, d’exiger la remise en l’état aux frais des occupants. En bref, l’État du Sénégal ne peut pas être dépossédé de son domaine public maritime par le seul écoulement du temps.
Le régime de la domanialité publique – inaliénabilité et imprescriptibilité – protège le littoral contre les agressions diverses dont il fait l’objet.
À l’avenir, un président de la République mû par la satisfaction de l’intérêt public pourra, s’il le souhaite, rétablir l’ordre en récupérant toutes les terres spoliées.
Ensuite, il lui sera loisible de définir un plan d’aménagement du littoral pour le grand bonheur des sénégalais. La mise en valeur du domaine public pourrait nécessiter à cette occasion la délivrance des titres d’occupation précaires et révocables, les seuls autorisés par le code du domaine de l’État (article 13). Il est regrettable que le choix du moment soit le partage des terres du littoral entre « copains et coquins » plutôt que leur protection et mise en valeur.
Par ailleurs, les règles de l’inaliénabilité et d’imprescriptibilité pourraient être neutralisées par deux types d’obstacles : l’un juridique, l’autre social. Premièrement, l’article 19 du Code du domaine de l’État permet le déclassement des terres du littoral.
L’acte de déclassement est une décision qui consiste à sortir un bien du domaine public de l’État pour l’incorporer dans son domaine privé ou dans le domaine national. Une fois classé dans le domaine privé de l’État, le littoral devient alors une dépendance susceptible de transaction commerciale. Le déclassement relève d’une procédure simple : un décret présidentiel décidant que tel littoral fait désormais partie du domaine privé de l’État.
Le Code du domaine de l’État est silencieux quant aux motivations, ce qui devrait d’ailleurs être corrigé pour plus de sécurité. Il serait donc important que les braves défenseurs du littoral vérifient si les terres litigieuses n’ont pas été déclassées. Deuxièmement, quand bien même l’inaliénabilité et l’impressibilité seront toujours invocables, la société pourrait s’opposer à l’application de ce régime juridique de protection.
Les premiers acquéreurs des parcelles du littoral spéculent dès que possible les terres qui leur sont « cédées ».
D’ici quelques années, il sera très difficile de remonter jusqu’aux véritables coupables dans cette affaire, tant les mêmes dépendances feront l’objet de multiple transactions. Ce sont donc les derniers acquéreurs qui risquent de trinquer.
À cet égard, ils pourront assurément compter sur la société pour leur servir de bouclier au nom de leur « innocence » (l’affaire dite « cité Tobago » est parlante ici). Il s’ensuivra soit l’arrêt de l’opération de rétablissement de la légalité, soit l’octroi de parcelles de substitution aux concernés. Dans les deux cas, l’État du Sénégal serait perdant. Les acteurs de la forfaiture sur le littoral sont bien conscients de cette sensibilité de la société sénégalaise et cela les rassure naturellement. Ils savent que la sanction de l’illégalité est dans ce cas plus rare que le passage de Mercure.
L’illégalité dénoncée ici ne concerne pas que le domaine public, elle s’étend aussi au domaine national.
Les dépendances de ce domaine sont soumises à un régime complexe qui emprunte à la fois au Code du domaine national (Loi n° 64-46), au décret portant application de ce code (décret n° 64-573) et au décret régissant l’affectation et la désaffectation de certaines terres du domaine national, modifié plusieurs fois, (décret n° 72-1288). Elles sont très insuffisamment protégées d’autant que l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité ne s’y appliquent pas. Il est urgent de faire une réforme qui verserait le domaine national dans le domaine public afin de mettre fin à la bamboula des collectivités locales sur ces terres.
En définitive, la loi existe. Il appartient aux sénégalais d’exiger son application et de l’améliorer si besoin.
Ferdinand Faye
Docteur en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Reims et à Sciences Po