[EDITO] Enfin une réelle conscience écologique ?

 

 

Il paraît que si les peuples font leur histoire, ils subissent leur géographie. Les Sénégalais font leur histoire. C’est certain. Mais ils subissent leur géographie. C’est un bel avantage d’être un pays côtier. Car il y a des effets positifs à tirer parmi lesquels l’accès à la mer. Habiter au bord de la mer peut donner le privilège de développer plusieurs activités lucratives. En plus du cadre de vie que l’eau peut procurer. Bordé par l’Océan Atlantique sur toute sa façade occidentale, le Sénégal est séparé de l’Amérique par cette frontière naturelle. De Saint-Louis, au nord, à Ziguinchor, au sud, le littoral du pays, qui a les pieds dans l’eau, matérialise l’essentiel de l’activité économique.

 

Toutefois, observe le journaliste et analyste politique, Cheikh Yèrim Seck : « Notre pays entretient avec l’Atlantique une vieille histoire d’amour faite de passion, mais aussi de tension » (Cheikh Yérim Seck, Ces goulots qui étranglent le Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 49). Car la cohabitation avec l’Atlantique peut virer, si ce n’est déjà le cas, d’une position stratégique à un grave dommage écologique. Du fait surtout de l’incivisme de certains Sénégalais. Ces dernières semaines les prises de paroles pour dénoncer le bradage des terres qui bordent les corniches de la capitale ont été tonitruantes. Pourvu que cela ne soit pas que du théâtre. Mais une vraie conscience écologique des Sénégalais. Car nos compatriotes sont parfois des vrais acteurs comiques même sur des questions ô combien vitales. Ils aiment jouer les : « m’as-tu vu ? ».

 

Reconnaissons que la conscience écologique n’était pas très ancrée dans la mentalité du Sénégalais. Du moins, pendant longtemps la question écologique n’a pas été une priorité pour le Sénégalais lambda, c’est-à-dire, le citoyen ordinaire. Les priorités étaient toujours ailleurs. Elles étaient économiques, politiques, sanitaires…etc. C’est pendant ces dix dernières années que la question climatique est devenue un enjeu vital. Le déclic a été les inondations dans certaines villes du pays, suite aux fortes pluies pendant la période hivernale, entre juin et septembre. Avec les fortes pluies, l’eau de l’Océan Atlantique débordant de son lit envahit des quartiers des villes côtières comme Dakar, Saint-Louis et Rufisque. Les Sénégalais prennent conscience que le pire peut leur arriver. Ils peuvent un jour être réveillés par les vagues dévastatrices d’un tsunami susceptible de les « enterrer sous les eaux ». Des quartiers entiers risquent, en effet, de disparaître à cause de l’érosion côtière ou envahis par les eaux de l’Atlantique. Ils sont surtout conscients qu’ils sont aussi en partie responsables des dégâts causés par l’avancée de la Mer.

 

En effet, plusieurs articles de journaux et des publications de renom ont sensibilisé sur la problématique de l’occupation anarchique du littoral. Des Mamelles, au centre-ville de Dakar, des constructions de tous ordres ont été réalisées au fil des années, obstruant la corniche-ouest et foulant au pied par la même occasion un droit fondamental de l’homme : le principe de l’égalité d’accès à la Mer. En plus des villas « pied dans l’eau » que se sont attribués les pontes et hommes d’affaires nantis et affidés, des hôtels sont venus bousculer les eaux. Plusieurs hôtels construits, comme le complexe Terrou Bi (hôtel, restaurant et casino), l’hôtel Radisson Blue et le centre commercial Sea Plaz ont poussé l’Océan dans ses derniers retranchements. Sa riposte ne s’est pas fait attendre : « La piscine du Radisson, bâtie sur du remblai, s’est affaissée quelques mois après la livraison de cet hôtel 5 étoiles devenu le symbole du luxe à Dakar. Il a fallu une débauche d’énergie, d’argent et de technologie pour la replacer », lit-on dans le livre de Cheikh Yérim Seck cité plus haut (p. 53). En construisant de manière anarchique, notamment sur le littoral, l’Océan est bousculé. Sa seule issue est de se frayer d’autres espaces. Ce faisant, les eaux font régulièrement irruption chez les riverains et causent le désarroi.

 

La vieille ville de Rufisque vit sous la menace perpétuelle de ces eaux. Et peut-être va-t-elle disparaître un jour ? Chaque année on note beaucoup de dégâts causés par l’avancée de la Mer. L’érosion côtière ronge les périmètres de certains quartiers de la ville, comme celui de Thiawlène. En 2011, les eaux « ont englouti le cimetière, déterré des ossements, brisé le tabou de la mort » (p. 50). Les morts qui méritent le respect et le repos éternels, eux, qui ont vécu tant d’épreuves, celles de la vie, sont cambriolés dans le silence pesant des cimetières. L’eau de l’Océan ne connaît pas les codes culturels, hélas ! Les flots ont semé l’émoi chez la population suite à l’excavation des sépulcres. Bref, nous pourrions multiplier les exemples.

Il paraît qu’avec ses quinze millions d’habitants pour 196, 712 km2, le Sénégal a toujours été pour le continent noir : « ce que la tête est au corps : le siège du cerveau qui pense et du système sensoriel qui sent ». Une raison suffisante pour que le Sénégal montre le bon exemple aux autres pays du continent de par son engagement dans le combat pour l’écologie. Les scandales à répétition sur l’octroi indu et l’occupation du littoral dakarois finissent, heureusement aujourd’hui, par mobiliser les citoyens, notamment les jeunes. Ce qui nous réjouit. Aussi, disons-le, au-delà de la problématique spécifique du littoral, c’est la prise de conscience de la primauté de l’intérêt général et du bien commun qui semble habiter, désormais, les Sénégalais. Tant mieux !

Pierre Boubane / www.tambacounda.info /