Apocalypse à Beyrouth: la colère gronde

 

 

Plus de 100 morts, des milliers de blessés et des quartiers entiers ravagés: les Libanais toujours sous le choc ont crié leur colère mercredi après une catastrophe l’explosion de tonnes de nitrate d’ammonium.

«La situation est apocalyptique, Beyrouth n’a jamais connu ça de son histoire», a lancé le gouverneur de Beyrouth, Marwan Abboud, qui avait éclaté en sanglots mardi devant les caméras dans le port dévasté. Jusqu’à 300’000 personnes sont sans domicile, a-t-il dit. L’état d’urgence a été décrété pendant deux semaines au lendemain de la double explosion présentée comme accidentelle par les autorités. Le gouvernement cherche également à «assigner à domicile» les responsables du dossier de stockage du nitrate d’ammonium.

Au milieu des ruines, les secouristes continuent leurs recherches pour trouver d’éventuels survivants, alors que des dizaines de personnes sont portées disparues selon le gouvernement.Une femme au milieu des gravats.

De nombreux pays ont commencé à envoyer des aides – matériel médical et sanitaire, hôpitaux de campagne, secouristes – notamment la France, dont le président Emmanuel Macron, sera au Liban jeudi.

D’après les autorités libanaises, un incendie déclaré dans l’entrepôt où étaient stockées depuis six ans quelque 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, «sans mesures de précaution» au port, sont à l’origine des énormes déflagrations, les pires vécues par le Liban.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux citoyens libanais ont appelé au départ de l’ensemble des dirigeants du pays, tenus responsables de cette tragédie, alors que la classe politique est accusée de corruption et d’incompétence face à une crise économique et sociale inédite.

«Partez tous! (…) Vous êtes corrompus, négligents, destructeurs, immoraux. Vous êtes des lâches. C’est votre lâcheté et votre négligence qui ont tué les gens», a lancé un journaliste libanais connu, Marcel Ghanem, dont l’émission télévisée jouit d’une grande audience.

«Pas de mots»

La diaspora libanaise a réclamé également des comptes.

«Il n’y a pas de mots», lance Hazaa Khalil, propriétaire d’un restaurant à Londres. «Nous avons déjà assez souffert: la pandémie de coronavirus, les gens qui meurent de faim, notre argent bloqué à la banque (…) Et maintenant, nous devons gérer un désastre. Personne n’est tenu pour responsable, ni les politiciens ni le gouvernement».

«Cette tragédie est une preuve de plus de l’incompétence de la classe politique qui a gouverné le Liban depuis plusieurs décennies», s’indigne Antoine Fleyfel, philosophe et théologien franco-libanais, vivant en France.

La puissance des explosions a été telle qu’elles ont été enregistrées par les capteurs de l’institut américain de géophysique comme un séisme de magnitude 3,3. Et leur souffle a été ressenti jusqu’à Chypre, à plus de 200 km de là.

Selon un dernier bilan provisoire du Ministère de la santé, au moins 113 personnes ont péri, 4000 ont été blessés. «Il y a certainement encore (des victimes) sous les décombres.»

Les hôpitaux, eux, ont été rapidement saturés.

Tous au courant

Le gouverneur de Beyrouth a estimé les dommages à plus de trois milliards de dollars.

Au port quasi-détruit, les conteneurs ressemblent à des boîtes de conserve tordues, les voitures sont calcinées, le sol jonché de papiers provenant de bureaux soufflés par l’explosion. Des quartiers de Beyrouth sont dévastés.

L’Agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, la FAO, craint à brève échéance un problème de disponibilité de farine pour le Liban, des silos de céréales installés près du port ayant été éventrés.

Trois jours de deuil national ont été décrétés. Les autorités ont proclamé Beyrouth «ville sinistrée».

«Il est inadmissible qu’une cargaison de nitrate d’ammonium, estimée à 2750 tonnes, soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution. C’est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire», a dit le premier ministre Hassan Diab, honni par une partie des Libanais.

Le nitrate d’ammonium est une substance entrant dans la composition de certains engrais mais aussi d’explosifs.

Selon des sources de sécurité, les autorités du port, les services des douanes et des services de sécurité étaient tous au courant que des matières chimiques dangereuses étaient entreposées au port mais se sont rejeté mutuellement la responsabilité du dossier.

Verdict reporté

«Par respect pour les innombrables victimes» des explosions, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a annoncé reporter la lecture du jugement, initialement prévue, pour vendredi, dans le procès de quatre hommes accusés d’avoir participé en 2005 à l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri.

Ce drame survient alors que le Liban connaît sa pire crise économique, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie, une hyperinflation, des licenciements massifs et des restrictions bancaires drastiques.

«Même avec le coronavirus, et tout ce qui est arrivé dans le pays, j’ai toujours gardé espoir. Mais maintenant c’est fini, je n’ai plus aucun espoir», dit Tala Masri, une bénévole, en dégageant le trottoir des bris de verre du quartier de Mar Mikhaël.

La mairie de Tel-Aviv aux couleurs du Liban

La métropole israélienne Tel-Aviv a illuminé mercredi soir son hôtel de ville aux couleurs du drapeau libanais en solidarité avec le pays du Cèdre, toujours techniquement en état de guerre avec Israël, au lendemain de deux explosions meurtrières à Beyrouth.

D’après les autorités libanaises, quelque 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium, stockées «sans mesures de précaution» dans le port de Beyrouth, sont à l’origine des deux déflagrations qui ont fait mardi plus de 100 morts et des milliers de blessés, dévastant une partie de la ville.

En soirée, la large façade de la mairie s’est illuminée de deux barres rouges ceinturant un cèdre vert sur fond blanc, alors que des Israéliens se rassemblaient à proximité sur la place Rabin en solidarité envers le Liban, a constaté un photographe de l’AFP.

«Ce soir, nous illuminerons la mairie (de Tel-Aviv) avec le drapeau libanais. L’humanité passe avant tout conflit et nos coeurs sont avec le peuple libanais suite au terrible désastre qui l’a frappé», avait déclaré avant l’événement sur Twitter Ron Huldai, le maire de la métropole côtière israélienne, membre du Parti travailliste (gauche).

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a de son coté présenté mercredi les condoléances du gouvernement au peuple libanais lors d’un débat à la Knesset, le Parlement.

(AFP/NXP)