[ÉDITO] Que les âmes des fidèles défunts reposent en paix !

 

 

Depuis le début de l’année 2020 des élites religieuses notamment musulmanes nous quittent l’une après l’autre. Certaines sont arrivées au soir de leur vie. Dieu les rappelle auprès de lui. Hélas, personne n’échappera à cette issue. D’autres de ces saints hommes sont fauchés par la Covid-19 qui secoue le Sénégal et la terre entière. En écrivant ces lignes nous viennent en mémoire ces mots de la romancière Mariama Bâ : « On ne prend pas de rendez-vous avec le destin. Le destin empoigne qui il veut, quand il veut » (M. Ba, Une si longue lettre, 1979). Nous croyons sincèrement que les illustres disparus sont désormais avec le Tout-Puissant et Miséricordieux. A nous tous, Dieu ouvrira sa Maison. Il l’a promis. Car Il est amour. « Dieu est amour » – Deus caritas est – (1 Jean 4, 8).

Les serviteurs de Dieu récemment arrachés à notre affection, en leurs rangs et qualités, Serigne Pape Malick Sy, Cheikh Ahmad Tidiane Ibrahima Niass et tous les autres nous laissent, non seulement orphelins, mais surtout dans l’inquiétude. Nous vivons une ère terrible où la paix sociale au Sénégal n’a peut-être jamais été autant mise à rude épreuve. En lieu et place des débats d’idées nous avons des insultes publiques, des provocations parfois à connotation confessionnelle…etc. Bref, il y a à manger et à boire pour tout le monde sur la toile. À ce sujet Umberto Eco écrit avec pertinence : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel : c’est l’invasion des imbéciles », conclut Umberto Eco. Nous ne parlerons pas d’invasion des « imbéciles » sur la toile sénégalaise. Mais comme Umberto Eco, le cœur lourd, nous observons qu’internet permet tout. Du moins certains de ses utilisateurs se permettent tout. De la pire des manières ils règlent leurs bisbilles privées et personnelles sur le web. Quelle voix pour rappeler à la communauté nationale les bonnes manières proprement sénégalaises de résoudre les différends dans la cité ? De par leurs comportements provocateurs, certains Sénégalais mettent en péril cette longue tradition du vivre-ensemble. Les sages s’en vont au moment où le pays a vraiment besoin d’eux.

En guise d’hommage nous les saluons. Ils étaient des artisans de paix. Leurs paroles publiques édifiaient. Car elles rassuraient tant elles étaient sages et sincères. Certains parmi ces sages s’étaient illustrés par leur style de vie sobre, humble et respectueux. Ils inspiraient la confiance de tous. Ils étaient des modèles de vie. D’autres encore nous illuminaient par leur sourire qui nous rappelait que malgré les vicissitudes de la vie, il faut rester positifs, mettre sa foi dans son créateur et vivre pleinement l’espérance. Car « Qui de (nous), par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ? (Mathieu 6, 27). Bref la vie de ces sages fut un témoignage sur l’islam, une religion parfois assimilée à la violence. Pour nous autres qui n’avons qu’une idée vague et superficielle de cette religion, nous avons appris quelque chose, à travers les paroles, les faits et gestes de ces élites que nous pleurons aujourd’hui. L’islam comporte d’extraordinaires éléments de libération, d’espoir, de rapport à l’amour, de générosité et de densité de vie.

Que deviendra le Sénégal sans la bienveillance de ces élites religieuses disparues ? A juste titre, certains Sénégalais craignent en ces temps qui courent le risque d’une montée des fanatiques religieux dans le pays. Il faut se préparer à y faire face. Le rôle des autorités religieuses s’avère plus que jamais déterminant. La question est celle de savoir si celles qui sont aujourd’hui en responsabilité seront à la hauteur de ce qu’une société qui donne l’air d’être en perdition peut attendre d’elles ? L’interrogation est permise ! Le futur nous édifiera.

Pour les défunts prions : Que leurs âmes reposent en paix ! Ainsi soit-il !

Pierre Boubane,

à Beyrouth