Liban : Dans l’attente d’un gouvernement au service des urgences

 

 

 

Au Liban, après la démission du cabinet du Premier ministre Hassan Diab, le 10 août dernier, un nouveau gouvernement doit être formé. Il aura la lourde responsabilité de proposer une issue positive à la crise économique et financière, d’organiser l’État dans la lutte contre le nouveau coronavirus et, enfin, de mobiliser les moyens nécessaires pour la reconstruction du port de la capitale dévasté par la double explosion du 4 août. Les Libanais espèrent la formation d’un cabinet capable de trouver des solutions appropriées à ces trois urgences. La question est celle de savoir si ce cabinet aura suffisamment de marge de manœuvre dans son action politique pour conduire avec succès sa mission ?

 

La presse locale rapporte que le Courant Patriotique Libre (CPL) du Président de la république, Michel Aoun opte pour un gouvernement « productif ». Pour Nabih Berri, le Président du parlement et aussi chef du parti Amal allié du Hezbollah, le prochain gouvernement doit être un cabinet « rassembleur ». Le dirigeant du Parti Socialiste Progressiste (PSP) le druze, Walid Joumblatt appelle à la formation d’un gouvernement qui « traite d’abord de la situation économique ». Hassan Nasrallah, Secrétaire Général du Hezbollah (mouvement chiite) souhaite un gouvernement « d’union nationale ». Samir Geagea des Forces Libanaises (FL) estime qu’il faut d’abord se « débarrasser du parlement actuel ». Car, selon lui, il est « impossible que les choses continuent comme elles sont après l’explosion le 4 août ». Certes tous ces leaders politiques ne parlent pas à l’unisson. Mais au moins ils s’accordent sur l’essentiel : il faut un cabinet au service des urgences du moment. Cependant quand il s’agit du Liban les dirigeants des pays occidentaux et ceux du monde arabo-musulman se sentent concernés.

C’est l’animation de la vie politique libanaise basée sur le partage des pouvoirs selon les communautés confessionnelles existantes qui permet l’ingérence extérieure. Certes, cette formule a ses points forts. Elle accorde aux différentes communautés une existence sur la scène politique. Mais elle a aussi ses points faibles. Elle facilite l’ingérence des puissances étrangères dans les affaires internes proprement libanaises. Certaines parmi elles en profitent pour véhiculer leurs idéologies religieuses, politiques ou culturelles au Liban, mais aussi au Liban hors-les-murs, c’est-à-dire dans toute la région Proche orientale. Cette fameuse formule prévoit que le Président de la république soit toujours chrétien maronite. Le Premier ministre doit être musulman sunnite (généralement sous influence de l’Arabie saoudite). Et enfin, le Président de l’Assemblée nationale est chiite (souvent sous influence de l’Iran). La France ne reste pas indifférente à ce qui se passe au Liban. Elle évoque un devoir historique. Le pays du Cèdre fut un protectorat français au lendemain de la Première Guerre Mondiale. C’est le seul pays francophone de la région. Quant aux Américains ils s’intéressent au Liban pour soutenir Israël. L’Iran menace de rayer l’État hébreu de la carte. Or le pays des Mollahs a un relai fiable au pays du Cèdre, le Hezbollah (Parti de Dieu) que Washington qualifie de mouvement terroriste. De ce qui précède, l’on notera qu’il devient malaisé pour un gouvernement libanais d’être totalement au service du pays sans être sous influence de ces acteurs qui jouent parfois les pompiers-pyromanes. Ils manipulent parfois les dirigeants politiques libanais au gré de leurs intérêts géopolitiques ou géostratégiques.

Ainsi à propos de la formation du futur gouvernement chacun de ses acteurs s’active ouvertement ou manœuvre en coulisse. Washington, par la voix de David Hale son Sous-secrétaire d’État pour les Affaires du Proche-Orient indique que les « Libanais doivent avoir leur mot à dire dans le choix de leurs représentants au pouvoir ». Téhéran met en garde contre toute volonté « d’exploiter » la crise pour imposer des « diktats » au Liban (L’Orient-Le Jour). Paris souhaite « un gouvernement d’urgence pour sortir le pays des crises ». Selon un communiqué officiel de la Présidence de la république libanaise, le mercredi 12 août dernier, le président français s’est entretenu au téléphone avec les présidents iranien et russe. Emmanuel Macron invite l’Iran « à faire les gestes nécessaires pour éviter tout accroissement des tensions » au Liban et dans la région. Il s’est également entretenu avec le président russe qui est un autre ‘’soutien’’ du Hezbollah dans la région. En effet, la Russie et le Hezbollah collaborent en Syrie aux côtés de Bachar el-Assad dans la lutte contre Daesh. Le président français sollicite « la participation de la Russie au mécanisme mis en place lors de la Conférence internationale de soutien à Beyrouth et au peuple libanais » qui s’est tenue par visioconférence sous l’égide de l’ONU et de la France. Notons que Moscou n’a pas participé à cette réunion internationale au cours de laquelle une aide d’urgence de 252,7 millions d’euros a été promise au Liban.

Il y a donc du monde qui se bouscule à Beyrouth avec des intentions parfois obscures. Des Libanais se lâchent sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette situation dont les premiers responsables, disent-ils, sont leurs hommes politiques. Ils les accusent, non seulement d’être « corrompus », mais aussi d’être « manipulés » par certaines de ces forces extérieures. « C’est la preuve que les Libanais ne savent pas se gouverner seul. Soit USA, soit Iran, soit France, soit empire Ottoman depuis 40 ans » se désole un jeune Libanais rencontré à la place des Martyrs à Beyrouth. Lors de la célébration de la fête de l’Assomption, le 15 août dernier, le patriarche de l’Église maronite a dénoncé la classe politique qui aurait « fatigué le peuple et la communauté internationale ». Face aux nombreuses crises qui secouent son pays, le prélat maronite suggère une solution politique qui soit « conforme aux constances du Liban et aux aspirations des Libanais, compatible avec son identité, son affiliation arabe et sa charte nationale. Cette solution doit représenter le partenariat islamo-chrétien ». Au cœur de ce tohu-bohu socio-politico-diplomatique, le patriarche maronite défend la souveraineté et l’identité du Liban et des Libanais. Du reste le peuple attend du prochain gouvernement qu’il apporte, dans le plus bref délai, une solution durable à la crise économique qui a jeté au chômage des centaines de Libanais. En attendant la mise en place du nouveau gouvernement tant attendu, le cabinet Diab démissionnaire exécute les affaires courantes.

Pierre Boubane, à Beyrouth