[Édito] L’Afrique noire mal partie !

 

 

 

Avance ou on tire ! Bamako, 18 août 2020. M. Ibrahim Boubacar Keita (IBK) Président de la république du Mali depuis 2013 a été embarqué dans un véhicule par des hauts gradés de l’armée. Même si son arrestation s’est déroulée avec beaucoup de courtoisie la scène a été triste à regarder. En 1962, soit deux années après les indépendances des pays africains francophones, René Dumont publie aux éditions du Seuil, L’Afrique noire est mal partie. Il dresse alors les handicaps du continent noir : mal gouvernance, corruption…etc. Soixante ans plus tard son diagnostic se révèle pertinent. Même les coups d’États militaires qui semblaient n’être que de vieux et mauvais souvenirs refont surface, à cause de la corruption au sommet des institutions gouvernementales. Il est par exemple reproché au Président malien déchu une mauvaise gestion du pays sur fond de corruption. La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’organisation qui regroupe quinze pays de l’Afrique de l’Ouest n’a pas pu calmer les Maliens qui, avant le coup de force de l’armée, dénonçaient dans les rues de Bamako, la capitale, la mal gouvernance du régime de leur Président. La Cédéao n’a pas pu non plus empêcher l’ingérence de l’armée dans la vie politique malienne. Sa médiation a été un échec, sa nième humiliation. De fait aujourd’hui c’est son efficacité même qui est questionnée.

Entre un Président jugé faible et corrompu mais démocratiquement élu et des militaires qui devront chercher une légitimité nationale et internationale pour diriger un pays qui traverse une grave crise sécuritaire, les Maliens optent pour le deuxième choix. Ils ont accepté le coup d’État militaire du 18 août 2020. Mais avaient-ils vraiment le choix ? Car une fois de plus les militaires font irruption dans la sphère politique. En 1968 les militaires renversent le Président de la république de l’époque, Modibo Keïta. Ils promettent de remettre le pouvoir politique aux civils dans les six mois qui suivent leur coup de force. Ils honoreront leur parole vingt-trois ans plus tard. C’est sans doute ce scénario que les Chefs d’États réunis au sein de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) veulent éviter aux citoyens maliens. Ils ne souhaitent pas un vide institutionnel prolongé à la tête du Mali. Cependant avec les échecs enregistrés des précédentes médiations ils peinent à être crédibles et à se faire respecter.

Depuis sa création en 1975, la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est montrée utile notamment sur le plan de l’intégration économique. Parmi ses belles réussites, nous pouvons énumérer la carte d’identité et le passeport Cédéao qui facilitent la libre circulation des biens et des personnes. Cependant cette Cédéao reste peu efficace sur le plan sécuritaire et diplomatique. Son conseil de médiation et de sécurité, sa cellule diplomatique n’a presque jamais réussi à régler une crise sécuritaire et sociopolitique majeure. Aujourd’hui on parle de son échec à Bamako, hier on parlait de son échec à Ouagadougou, lors du coup d’État manqué de 2015. Les verdicts de sa cour de justice sont également régulièrement réfutés par certains pays membres. La Cédéao s’est discréditée au fil des années sur le plan diplomatique.

Quant aux raisons de cette inefficacité, il est reproché à l’organisation les incohérences dans ses prises de décisions ou des sanctions quand la situation l’exige. Les amitiés entre les peuples ou encore les relations fraternelles entre Chefs d’États au sein même de l’organisation influencent, voire dictent parfois, les décisions à prendre à l’encontre d’un pays qui s’est compromis. L’autre élément à ajouter est que l’organisation ne dispose pas de mesures de sanction qui visent les personnes qui foulent aux pieds les institutions démocratiques. Les mesures sont prises contre un pays. C’est dans cette logique que la Cédéao a réagi à travers un texte pour condamner et sanctionner le Mali comme pays, suite au coup de force militaire du 18 août dernier. Le communiqué mentionne : « la suspension du Mali de tous ses organes de décision » et la fermeture des frontières terrestres des pays membres. Ou encore « l’impossibilité des transactions financières entre le Mali et les autres pays membres ». De telles sanctions qui ne visent pas les putschistes en faute (s’ils le sont) seront-elles efficaces ? Pas sûr ! Il ne reste qu’à espérer que les mutins qui ont renversé un Président démocratiquement élu tiennent leurs paroles et organisent des élections dans un délai raisonnable. Car isolé par les institutions internationales (ONU, Union Africaine, CEDEAO) l’État malien risque de s’effondrer au su et au vu de tous.

Au demeurant s’il y a des personnes à qui profite la situation qui prévaut au Mali, ce sont bien les djihadistes islamistes. Ils ont réussi à perturber la bonne marche des institutions à Bamako. Ils ont même créé la panique chez les voisins immédiats du Mali. Car de fait, aucun pays ne peut échapper à une déstabilisation, soit par l’effet des tueries de masse, soit par la fragilisation des institutions politiques démocratiques. En plus l’ambiance qui règne en Afrique noire francophone le permet. Un vent d’affirmation nationaliste et panafricaniste s’est emparé de la jeunesse. Celle-ci est prête à marcher derrière tout illuminé qui se présente en éveilleur de conscience et qui a comme projet la lutte contre ce que les jeunes appellent le « néocolonialisme » de l’Occident. En Afrique de l’Ouest, il y a deux élections présidentielles à l’horizon dans deux pays historiquement et politiquement bouillonnants. Chacun des deux pays représente un vrai danger pour lui-même mais aussi pour ses voisins. Il s’agit de la Guinée Conakry qui envisage d’organiser son élection présidentielle le 18 octobre 2020 et de la Côte d’Ivoire, qui convoque ses électeurs le 31 octobre 2020. Or la Cédéao, qui peut jouer les pompiers en cas de crise postélectorale, est en chute libre dans l’opinion publique chez les citoyens ouest-africains. Le constat est amer. Aujourd’hui l’Afrique de l’Ouest ressemble à une barque qui prend l’eau. Espérons l’écopage avant le naufrage.

Pierre Boubane