
Lors du dernier Conseil des Ministres, le président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour consolider le développement durable du secteur pétrolier et gazier. De l’élargissement du COS – PETROGAZ à la finalisation des textes légaux et règlementaires relatifs à la répartition des revenus issus de l’exploitation de nos ressources en hydrocarbures, en passant par la loi sur le contenu local. Pour davantage comprendre les enjeux de ces nouvelles orientations, Emedia.sn a offert une tribune à un professionnel aguerri du secteur. Serigne Momar Dièye, ancien Directeur général de la compagnie Oryx et actuel président de l’Association Sénégalaise pour le Développement de l’Energie en Afrique (ASDEA) nous livre ici sa lecture éclairée des dernières décisions du chef de l’Etat sur le secteur de l’Energie.
« Le Chef de l’Etat a, au titre des nouvelles orientations stratégiques pour consolider le développement durable du secteur pétrolier et gazier, informé le Conseil après avoir présidé, le 21 août 2020, une réunion sur le secteur. Il a, à cet effet, demandé au Ministre du Pétrole et des Energies de finaliser, sans délai, le dispositif réglementaire relatif à :
(i) l’élargissement du COS – PETROGAZ à la Société civile et à l’Opposition ;
L’élargissement du COS-PETROGAZ aux acteurs de la société civile offrira en retour à l’autorité de tutelle un éventail de réflexions et de recommandations spécifiques, constructives et inclusives sur le secteur pétrolier et gazier. Bien entendu, cette complémentarité reposera sur des fondamentaux intrinsèques de compétences liées à l’exploitation et à la gestion des ressources pétrolières, de bonne gouvernance, de connaissance de l’industrie pétrolière et des enjeux juridiques et environnementaux, etc. Néanmoins, les rôles et les missions devront être clairement définis par l’Etat du Sénégal et satisfaire l’adhésion de toutes les composantes impliquées.
Enfin, il faut apprécier à sa juste valeur cette ouverture d’esprit sans cesse renouvelée de la part des autorités qui favorise l’intégration et l’implication de tous les sénégalais compétents et patriotes pour la réussite du Sénégal dans le secteur du pétrole et du gaz.
(i) la loi sur le contenu local avec la création du Comité de Suivi et, en particulier, du Fonds d’Appui au contenu local.
Il faudra mettre un accent particulier sur la composition du Conseil national de Suivi du Contenu local (CNSCL). Doivent y figurer les sénégalais qui ont des compétences techniques avec une expérience nationale ou internationale des opérations pétrolières.
Le Fonds d’appui au contenu local devra consacrer le renforcement des capacités plus ou moins spécifiques. Il devra servir principalement à l’éducation, à la formation, à la recherche et au développement dans le domaine du pétrole et du gaz et dans le respect des conditions de sécurité, de santé, de sureté, d’hygiène et d’environnement.
Le Fonds pourrait être alimenté par :
1. Une contribution des exploitants titulaires d’un permis d’exploitation,
2. Les recettes pétrolières et gazières, les prélèvements,
3. Les subventions et les autres sources de revenus,
4. L’appui des partenaires au développement (BM, BAD, etc.).
Le Fonds doit aussi avoir un volet contenu local pour les communautés environnantes par un soutien à la formation des ressortissants et un accès à l’emploi, etc….
Le Chef de l’Etat a, par ailleurs, demandé au Ministre du Pétrole et des Energies et au Ministre des Finances et du Budget de veiller au renforcement de l’ancrage d’une gouvernance, selon les meilleurs standards internationaux, des sociétés à participation publique qui évoluent dans le secteur des hydrocarbures.
Pour renforcer et ancrer la gouvernance, il serait nécessaire de mettre en place une autorité de surveillance et de régulation du secteur pétrolier et énergétique globale. Cette autorité composée de professionnels expérimentés du secteur pourra permettre de contrôler, de mettre en place et d’imposer les bonnes pratiques et standards internationaux dans le secteur de l’énergie. Seront concernées les sociétés à participation publique évoluant déjà dans le secteur des hydrocarbures et les plus récentes (telle que RGS S.A., société créée par PETROSEN, SENELEC et FONSIS pour assurer le transport du gaz des sites de production vers les lieux d’utilisation), et autres à créer dans toute la chaine de valeur des hydrocarbures.
Le Président de la République a, dans le même élan, instruit le Ministre des Finances et du Budget de finaliser, en relation avec le Ministre du Pétrole et des Energies, les textes légaux et réglementaires relatifs à la répartition des revenus issus de l’exploitation de nos ressources en hydrocarbures.
Les importants enjeux induits par ces nouvelles richesses naturelles et leurs perspectives de mise en production à partir de l’année 2023 doivent nous imposer des textes légaux et une bonne répartition des revenus.
Dans un tel contexte le pays sera confronté à trois défis principaux qu’il faudra relever afin de garantir la stabilité des finances publiques :
1. Faire face à la volatilité des recettes du fait de l’instabilité des prix du pétrole ;
2. Ces ressources étant limitées et non renouvelables posent ainsi le problème de la répartition intergénérationnelle ;
3. Il faudra éviter la négligence des autres secteurs de l’économie qui aurait pour conséquence ce qu’il est convenu d’appeler le « Syndrome Hollandais ». Il faut veiller à diversifier nos revenus et aussi penser à investir ces revenus dans l’éducation, l’agriculture, la recherche, les énergies renouvelables etc. La pandémie de la COVID a douloureusement impacté les pays dont l’économie est trop dépendante du pétrole.
Comme annoncée lors de la journée de concertation nationale du 12 juin 2019, l’option du Gouvernement milite pour la création et la distinction des trois types de fonds de gestion des revenus pétroliers et gaziers à mettre en place avec des objectifs spécifiques pour chacun de ces fonds.
• Les fonds de développement national, destinés aux investissements publics,
• Les fonds de stabilisation économique,
• Les fonds pour les générations futures ou intergénérationnels.
L’utilisation de ces fonds des ressources pétrolières et gazières, aux fins de stabilisation et d’épargne future est une option fondamentalement équitable pour les générations présentes et futures du pays.
Toutefois il faut espérer que la clé de répartition qui serait institutionnalisée dans la loi d’orientation devrait aussi pouvoir évoluer et être adaptée aux évolutions des politiques économiques futures.
Une gouvernance rigoureuse et irréprochable de ces fonds nécessiterait la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel dans l’intérêt de toutes les couches de la population du Sénégal.
C’est dans ce sens que les recommandations suivantes peuvent être formulées par rapport au processus de mise en place et aux règles et procédures de gestion de ces fonds.
• Fixer la répartition de ces fonds et des objectifs spécifiques sans équivoque ;
• Réglementer l’utilisation de ces fonds par des procédures normales d’affectation budgétaire dans le cadre du budget de l’État ;
• Établir des règles budgétaires, pour les dépôts et les retraits, qui soient alignées sur les objectifs des fonds ;
• Supervision des fonds par des organismes indépendants qui seront chargés de surveiller le fonctionnement de ces fonds et de faire respecter les règles (les organes de contrôle de l’Etat : Cours des Comptes, IGE et IGF) ;
• Instituer la divulgation périodique des informations essentielles à l’attention des populations sur le fonctionnement des fonds ; leurs bilans, les revenus enregistrés, les placements effectués, les dépenses et leurs affectations ;
• Institutionnaliser une procédure d’audits externes des fonds par des commissaires aux comptes indépendants ;
• Institutionnaliser la publication des rapports et des conclusions des organismes de contrôles et d’audits de ces fonds.
L’Etat aussi doit bien communiquer et informer les populations que les revenus du pétrole (environ 500 milliards CFA attendus par an) ne pourront pas régler tous les problèmes du Sénégal
Nous avons des modèles de bonne gestion (pertinence et transparence) comme la Norvège que nous devons adapter à nos réalités.
Les textes légaux et réglementaires doivent avant validation par l’assemblée nationale, être partagés avec la société civile et les populations. »
Par Serigne Momar DIEYE
Président Association Sénégalaise pour le Développement de l’Energie en Afrique (ASDEA)