
Bonne nouvelle : il pleut partout au Sénégal. Mauvaise nouvelle : des dégâts causés partout par de très fortes précipitations. Entre la générosité du ciel et l’incurie humaine, le pays subit les conséquences et les populations, presque à l’abandon, pataugent dans l’eau qui ne s’écoule ni ne ruisselle. Ce n’était pas le déluge mais les trombes d’eau déversées ont inquiété plus qu’elles n’aient apaisé. Pour peu, l’eau cesserait d’être source de vie pour ne devenir qu’épouvantail !
En soixante douze heures, une bonne partie du pays, excepté le Nord, a enregistré d’abondantes pluies, diluviennes même dans le sud, ce qui conforte l’ANACIM (météo) dans ses formidables prévisions d’une pluviométrie exceptionnelle en 2020. Nous étions donc avisés. Et à temps. Autorités et citoyens ne peuvent nullement invoquer l’effet de surprise ou l’ignorance pour imputer à un « bouc émissaire » le présent calvaire. Le pluvieux week-end passé nous a saisi d’émoi. Il ressort de ce qui précède que des dispositions n’ont pas été prises par anticipation pour atténuer le choc ressenti. Puisqu’il n’y a personne pour endosser la responsabilité, celle-ci se dilue. Pour autant elle ne s’évacue pas.
Car les terrifiantes scènes de vie filmées le plus souvent par des amateurs, témoins oculaires, représentent mieux la tragédie qui se joue depuis des décennies. Au milieu de ce chaos, fusent des sourires de gens simples et modestes. Qu’à cela ne tienne, le problème est connu, le malaise cerné. Des solutions sont préconisées. De grosses opérations, souvent ponctuelles, sont envisagées pour faire face à des urgences cumulées. Le Sénégal est-il doté d’une cartographie des réseaux hydriques urbains ? Qui prospère quand surviennent ces intempéries ? A qui profitent les… primes de secours destinées aux prisonniers des eaux ?
Pourquoi cette absence chronique de prévenance pour ces pauvres occupants des aires impropres à l’habitat ? A eux les ténèbres ! Aux autres la lumière ! Ce cantonnement, qui n’en est pas un, fige les Sénégalais dans des camps mortifères. Les victimes des inondations s’estiment prises dans le piège des solutions, d’apparence technique, mais toujours trompeuse, puisque ne résistant pas à l’épreuve du temps.
Des images insoutenables proviennent des banlieues : une vieille dame, hors du temps, recluse au sein d’un réduit, n’a dû son salut qu’à la promptitude de son petit-fils venu la cueillir à contrecourant d’un puissant torrent d’eau. Une jeune femme désespérée cherche sous un matelas trempé son trésor caché : un collier en or. Ailleurs, ce mur qui s’effondre, laissant apparaître l’intimité d’une famille ruinée et sans voix. Des déchets enfouis flottent, de même que des cadavres d’animaux domestiques. Des dalles de fosses septiques cèdent sous le poids des ruissellements, giclent comme des geysers et incommodent par les odeurs pestilentielles qui s’échappent. L’enfer, en un mot !
L’étendue du désastre transforme les lieux en un théâtre d’ombre, de peur et d’accusation. Les pouvoirs publics, mis à l’index, rasent les murs et s’empressent de dépêcher des plénipotentiaires apprécier l’ampleur des dégâts. Partout la même désolation se lit sur les visages : à Kaolack, à Kaffrine, à Fatick, à Sokone, à Thiès, à Saint-Louis, à Ziguinchor, des familles entières sont sur pied de guerre, debout dans l’eau ! Des nuits entières sans sommeil.
Des actions non concertées s’ensuivent : pompes, tuyaux d’évacuation (vers où ?), des bennes de sable, sont déployés sous les yeux des populations désabusées. Sans franches concertations, sans planification, sans stratégie, les opérations initiées (sans lendemain) traduisent l’effondrement de la puissance publique. Il est vrai que tout est prioritaire, de surcroit inscrit dans l’urgence.
Mais le manque de coordination et l’inefficacité des solutions entraînent des erreurs coupables des dirigeants politiques à la manœuvre. Les techniciens sont très peu écoutés par les décideurs. Ils n’ont pas la même lecture des urgences. Les premiers alertent sur les impératifs de planification pour couper court à la survenue des catastrophes. Les seconds, obnubilés par les résultats à « effet immédiat », se focalisent sur les dividendes politiques des actes qu’ils posent. Les mêmes ferment les yeux sur l’occupation des zones non ædificandi c’est à dire non constructibles en raison d’un enchevêtrement de contraintes, traditionnellement associées à une présence pérenne de l’eau.
Toutes ces agglomérations reproduisent à l’identique des schémas urbains dépourvus de sens et de viabilité durable. Les voieries et les réseaux divers se confondent dans les mêmes finalités d’usage, œuvre de promoteurs à la moralité douteuse et dont la cupidité mesquine le dispute à la rapacité toute brutale. Paumés, les propriétaires découvrent des forfaitures ensevelies sous des montagnes russes. Ils étouffent leur colère. Mais attention : l’enchaînement des colères est imprévisible. Impossible de les détecter. Elles ne sont sous les feux de la rampe que bien plus tard quand l’immobilisme s’ajoute à l’ambiguïté du discours des tenants du pouvoir.
Dire la vérité aux populations est un acte de courage. Prendre les décisions qui s’imposent, fussent-elles impopulaires, relève d’un acte de vérité, donc de redevabilité à l’égard des mandants. Clairement, les élections locales sont en vue. Or la fureur, provoquée par ces inondations, s’amplifie chaque jour un peu plus. Dans la foulée, viendra l’exaspération, ultime moment de tension pour déclencher –qui sait ?- une surenchère sociale sur fond de contexte politique ravivé à l’occasion. Ces enjeux débordent de loin l’épuisante question du leadership de l’opposition sur laquelle pérorent depuis des semaines certains dirigeants en mal de représentativité. Est-il décent d’entretenir ce débat au moment où les populations vivent dans l’eau ? N’est-il pas plus judicieux de renoncer à ces prétentions sans consistance pour privilégier la sainte alliance face aux menaces climatiques ?
Le retour d’une civilité politique se juge par l’exemplarité des acteurs dont la tenue et la retenue devraient inspirer les comportements. L’indiscipline et l ‘incivisme règnent en maîtres. L’opinion ne s’émeut guère des déviances qui se généralisent. Un irrésistible désir se fait fortement sentir pour une nouvelle approche des réalités de terrain. En plus du déclenchement du Plan Orsec, le Président de la République, Macky Sall, devrait, toutes affaires cessantes, mouiller la chemise en se rendant sur les zones inondées dans le but de constater les préjudices, rencontrer les acteurs et les populations encerclées et en même temps trouver les mots (et la tonalité appropriée) afin de soulager les maux en joignant le geste à la parole pour donner du contenu à sa vision de l’aménagement du territoire national.