EDITORIAL PAR MAMADOU NDIAYE: PROMESSES DE VIE ÉPANOUIE

 

Que valent des politiques qui ne tiennent pas compte des réalités ? Depuis l’aube des indépendances, le pouvoir politique a toujours identifié les foyers religieux comme une source de pouvoir avec des figures de la concorde qui ont cohabité sans antagonisme exacerbé. Les mêmes figures allient immersion et détachement, autorité et habileté, sur fond d’une conscience sociale aiguë sans jamais s’exonérer de leurs responsabilités grandissantes.

Des prestigieux fondateurs aux valeureux continuateurs, les confréries au Sénégal, ont vu se succéder à leur tête des visages de l’union, chacun ayant incarné une époque, exalté des sentiments collectifs et construit un imaginaire fixateur. Il est vrai que des turbulences et des fureurs n’ont pas manqué tout au long des trajectoires respectives. Mais des dirigeants d’envergure ont surgi pour marquer de leur empreinte leur magistère propre. Ces aînés des temps pionniers ont érigé dans la durée des leaderships qui combinent valeurs théocratiques et théologiques à la fois.

L’appartenance à la tradition sunnite –en d’autres termes au soufisme- a servi de tait d’union entre des forces bien implantées géographiquement et éclaire sur leurs zones d’influence ainsi que sur leurs modes d’expansion. Le « temple » sunnite a de profondes racines dans notre pays qui doit certes sa stabilité à la consanguinité sociale mais également et surtout à l’Islam sunnite largement majoritaire en dépit des nuances qui le traversent. Le Prophète Mouhamed (SWT) reste « l’abreuvoir » indiscutable du sunnisme sénégalais qui, de part sa cohérence structurelle, constitue un puissant rempart contre la pénétration des courants déviationnistes d’inspiration chiite ou djiahadiste.

Qu’il s’agisse des campagnes ou des villes, les efforts consentis pour convertir les populations reste un marqueur de la doctrine en œuvre, du sens donné à la vie et de la construction personnelle des fidèles, donc des talibè. L’apparence hétéroclite des tarikha n’occulte pas leur commune appartenance à l’Islam fondamental, tolérant, ouvert et riche des diversités qui le composent tout en entretenant son exubérance et sa vitalité.

La promesse d’une vie épanouie en rupture avec les épisodes païens explique l’attrait du Tidianisme et du Mouridisme, conçus et adaptés par deux géants de la pensée islamique, de surcroît grands Esprits de l’orthodoxie de la sunna, en l’occurrence Seydi Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba MBacké. Ils étaient complémentaires dans leur réelle volonté d’épuration des mœurs par une pratique musulmane irréprochable. L’exercice n’a pas été de tout repos : pièges du colonialisme, résistances des pouvoirs locaux, adversité et rivalités en tous genres n’ont guère entamé leur détermination.

Leurs lointains héritiers, les khalifes généraux Sérigne Mountakha Bassirou MBacké et Sérigne Babacar Sy Mansour ont de larges épaules pour tenir la dragée haute. Ils se sont illustrés dans de récentes épreuves en montrant à l’occasion leur sagesse, la qualité de leur écoute, leur faculté d’adaptation et une subtile intuition pour la préservation des acquis. Par des registres différents, ils ont réussi avec brio à s’impliquer dans de grosses mobilisations et de sensibilisations visant à endiguer la pandémie du Covid-19. Le pouvoir politique n’a pas hésité à s’associer à eux pour s’appuyer sur l’exaltation du sentiment religieux afin de toucher les larges couches sociales, cibles potentielles de la crise sanitaire.

L’un a décidé la fermeture de la Grande Mosquée de Tivaouane (et les différents lieux de culte d’obédience) quand le patriarche de Darou Miname a lancé un ndigueul de grande prophylaxie. A Touba, l’office religieux n’a pas cessé à la Grande Mosquée qui, sur instruction du guide, a tout de même respecté à la lettre les consignes sanitaires. En grande partie, les résultats flatteurs obtenus dans cette lutte contre le coronavirus le sont grâce à leur engagement en faveur d’un effort collectif.

Rappelons-nous le déplacement à Touba de l’ancien Premier Ministre, Mouhammad Boun Abdallah Dionne, Secrétaire Général de la Présidence, dépêché par le Chef de l’Etat auprès du saint homme pour l’édifier sans équivoque sur la situation de la pandémie dans notre pays. Pas un mot, pas une déclaration. Mais la Grande prière du vendredi à la Grande Mosquée a suffi pour saisir la portée du message délivré par le Guide des Mourides. Le même, une semaine plus tard, confiait à son porte-parole, Sérigne Bass Abdou Khadre la mission de remettre deux cent millions de francs aux autorités compétentes en guise de contribution.

Ces deux gestes, avec le recul, traduisent l’infinité de précautions du Khalife. La ville sainte est un carrefour stratégique où convergent à flots continus, des fidèles répondant aux événements qui s’y déroulent. Au nombre des précautions figure aussi la gestion des émotions. C’est connu, Touba ne s’abandonne pas aux spéculations qui sont le propre de sphères dépourvues de pouvoir et ne jouissant d’aucune influence pour peser sur les options fondamentales. Ces sphères sont souvent à la périphérie de la hiérarchie mouride et s’activent dans la nuisance. Elles sont clairement identifiées. Elles ne se battent pas. Subversives, parce qu’insignifiantes, elles évoluent en marge.

Les gardiens du temple veillent. Heureusement. Eux en revanche, prônent des valeurs de cohérence auxquelles adhèrent les fidèles autour du fédérateur qu’est Sérigne Mountakha MBacké Bassirou. Lequel accomplit sa mission avec résolution. Imperturbable, il gère les équilibres, parfois non sans délicatesse. A-t-on idée des conséquences d’un report ou d’une annulation d’une édition du Magal ? Qu’en diraient les mauvaises langues ? Si tous les khalifes qui se sont succédé ont eu leur heure de gloire, l’actuel guide des Mourides voudrait tout naturellement inscrire son action dans le sillage de la lignée de ses prédécesseurs.

Sous son magistère, des signes précurseurs s’accumulent encore : l’édification de l’Université à Touba, la souplesse des rapports avec le pouvoir central et ses missions régaliennes, la cohésion de la confrérie, la mort de Cheikh Béthio Thioune, l’inauguration à Dakar de la Grande Mosquée Masalikoun Djinaane, certainement le monument le plus emblématique, en dehors de Touba, classé patrimoine mouride. Il symbolise plusieurs valeurs historiques qui se résument au séjour en transit du Guide fondateur à l’époque du projet funeste du colon de le déporter au Gabon. Et puis la pandémie du coronavirus, vécue dans la discrétion et sans panique, a rassuré pouvoir et opinion sans toutefois dissiper l’équivoque.

On retient le souffle en direction du prochain Magal méticuleusement préparé depuis des semaines pour réussir le pari de l’organisation et de la participation sans débordement excessif. Dans le même élan enthousiasmant, sur instruction du Khalife des Tidianes, la confrérie est arrivée à collecter 4 milliards de francs souscrits pour l’achèvement des travaux de la Grande Mosquée de Tivaouane. Les causes qui justifient de tels engouements existent à foison. La voie de rédemption ou le salut de l’Homme résident dans des gestes augustes.

Mamadou NDIAYE