
Soudain, l’éclaircie en Guinée ! Le pays, ce beau pays, n’a pas trébuché alors que le scrutin présidentiel de dimanche suscitait moult appréhensions. L’albatros hurleur a-t-il plané la veille dans le ciel guinéen ? La colombe, symbole de la paix, a-t-elle inspiré les électeurs dans l‘accomplissement de leur devoir citoyen ? Peu importe la main invisible qui a agi, l’essentiel réside dans le calme qui a prévalu, révélant par dessus tout, une maturation certaine d’un peuple éprouvé qui retrouve ainsi le sens de l’orientation, la retenue et le comportement civique.
Au lendemain d’un vote, sans doute décisif, voilà que l’activité reprend son cours normal dans tous les secteurs, dans l’attente de la proclamation provisoires des résultats. Qui apportera le rameau d’olivier annonciateur de la fin du calvaire ou du déluge ? Depuis 1958 en effet, et même avant, la Guinée broie du noir alors qu’elle est un condensé de richesses. Ce signal, envoyé aux acteurs politiques, montre qu’une élection, quelle qu’elle soit, se résume à un choix de vie, de société, de dirigeants. Le vote exprime ce choix par les urnes.
Pas de guerre, ni de violence, encore moins de manipulation des symboles pour imposer une volonté. Toute intention dans ce sens serait déjà suspecte et alimenterait des réactions disproportionnées au risque de dénaturer la consultation. Il est vrai qu’en Guinée, toutes les élections ont fait l’objet de contestation. A la base d’une telle dérive subsistent une suspicion, un soupçon, une méfiance souvent entretenus par la faiblesse du dialogue politique, l’absence d’un consensus sur le mode opératoire et la désignation d’hommes et de femmes intègres et probes au sein des instances délibératives ou consultatives.
Un fait demeure constant : les Guinéens veulent que les choses changent. Ils ne supportent plus cet immobilisme pernicieux qui fige les populations dans un attentisme sans lendemain et des espoirs (toujours) déçus par une classe politique qui peine à se renouveler malgré une frappante vitalité démographique. Le pays se hâte lentement tandis que les impatiences citoyennes grossissent alors qu’aucune réforme en profondeur n’est impulsée pour amorcer les changements souhaités. Un temps long s’impose.
Qui pour incarner la transformation de la Guinée ? Alpha Condé, homme politique rusé mais ondoyant ? Ou Cellou Dalein Diallo, homme d’Etat, mesuré mais hésitant ? Tous les deux dominent le débat politique depuis plus de deux décennies. Ils sont clairvoyants certes, mais la différence des parcours et, accessoirement la différence d’âge, les séparent dans leur vision d’une Guinée à requinquer pour jouer les premiers rôles dans une Afrique qui se cherche une voie de progrès.
Moins jeune, Alpha Condé n’affiche pas l’enthousiasme pour dégager une perspective clairvoyante. Ses deux mandants décevants ont mis en doute ses capacités, voire ses compétences à sortir la Guinée de l’ornière, de la misère et des affaires. Pour preuve, le changement de constitution par mode référendaire a pollué la vie politique en Guinée au point de pousser l’opposition dans une radicalité qui a fini par isoler le président sortant.
Cellou Diallo, en revanche, en est à sa troisième tentative de convoiter le fauteuil présidentiel. Au plus fort des crises politiques que son pays a traversées, il avait sorti le grand jeu, renonçant à revendiquer une victoire qui se dessinait en 2010 pour privilégier l’apaisement. Cette grandeur d’esprit l’habite. Il en a récolté des dividendes politiques qui débordent sa sphère d’influence. Il a été de toutes les initiatives de l’opposition contestant la volonté du président sortant de briguer un troisième mandat. A l’arrivée, il décide de se présenter à l’élection présidentielle, autre moyen, selon lui, d’accentuer l’isolement du président Condé et de hâter l’alternance démocratique. Les heures qui suivent vont être crispantes et haletantes en Guinée.
L’âge du capitaine sera également une des clés du scrutin en vue en Côte d’Ivoire, fin octobre. Le président Henri Konan Bédié, 87 ans, déjà deux mandats à son actif dans le passé, n’affiche pas la grande forme physique et mentale pour la prochaine présidentielle. Oublie-t-on que l’âge du Président Félix Houphouët-Boigny, été à l’origine des douloureux problèmes vécus par la Côte d’Ivoire.
Celui qui se prenait pour le « père de la nation ivoirienne », s’appuyant sur une croyance ancestrale, n’avait pas souhaité voir de « son vivant » son successeur. A sa mort, ils furent nombreux à revendiquer l’héritage. Le parti-Etat, le PDCI, vole en éclat et, Henri Konan Dédié, alors Président de l’Assemblée nationale évoque la constitution pour assurer l’intérim puisque organise l’élection suivante en introduisant l’infamant article sur l’ivoirité pour écarter Alassane Dramane Ouattara, aujourd’hui à la tête du pays, après deux mandats successifs. L’appétit du pouvoir vient-il en l’exerçant ?
Travailler à bien penser devrait être le lot actuel de la classe politique ivoirienne pour « donner le meilleur d’elle-même » au pays qui en a bien besoin plutôt que de vivre dans la crainte d’une résurgence des fractures sociales qui ont été fatales aux ressorts de puissance qui prédisposaient la Côte d’Ivoire à l’émergence vingt ans plutôt. Ces hommes politiques qui taquinent les 80 ans, courent le risque de dénaturer les régimes politiques en évacuant l’exemplarité comme modèle de représentation. A y regarder de plus près, la postérité ne relève pas de leur vocabulaire politique. Des démons, on en trouve. Mais des Mandéla, on en cherche !
La démocratie secrète-t-elle des pathologies ? Le moins mauvais des systèmes est-il essoufflé ? Traverse-t-il une étape cruciale de son avenir en dents de scie ? Des fissures de l’harmonie apparaissent pour lézarder ce Mur qui serait tout sauf celui des lamentations. Qu’observe-t-on de nos jours ? La parole libérée grâce à la liberté d’expression pousse au ressenti démocratique qui se répand, hélas ! Partout les médiocres se pavanent. La lucidité ayant quitté la scène, le langage heurté s’installe. Durablement.
Aujourd’hui, les « grandes gueules » en sont les parangons. Comble de paradoxe, ils s’appuient sur la démocratie (et ses avantages) pour la détruire de l’intérieur en la dénigrant, en la détournant de sa mission fondatrice d’une société de clairvoyance, de tolérance et d’espérance. Mais la mort de la démocratie pourrait être aussi le fait des démocrates. Ils désertent les plateaux. Ils ne veulent pas (à juste raison) « hurler avec les loups. » Mais cela suffit-il pour endiguer la déferlante alors que l’écume des vagues n’est pas visible à l’œil nu ? La nature a horreur du vide, convenons-en. L’opinion publique est travaillée par les conspirateurs qui ne rencontrent sur leur passage aucune objection. Or par essence, la démocratie vise à asseoir la culture du consensus. Que devient le jeu démocratique sans les démocrates : la jungle des gladiateurs. Ils sont à l’affût.
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