Québec: Les Autochtones brisent le silence sur le racisme à l’hôpital

 

 

«Le silence, c’est fini»: à 26 ans, Uliipika Kiguktak, une Inuk originaire du Nunavut, refuse de taire plus longtemps les expériences de racisme qu’elle a subies depuis l’adolescence dans le système de santé québécois. La mort récente d’une Atikamekw de 37 ans, Joyce Echaquan, dans un hôpital, après avoir essuyé des insultes et commentaires racistes de deux soignantes, a suscité un tollé dans tout le pays, enflammé Twitter et poussé des milliers de manifestants dans la rue.

Elle a aussi incité de nombreux Autochtones à élever la voix. «On devrait se sentir en sécurité quand on va dans un hôpital, sentir qu’on est égal à quelqu’un d’autre», confie cette étudiante de l’université de Montréal. «Notre sang est de la même couleur».

Joyce Echaquan, admise pour des douleurs au ventre, s’est éteinte le 28 septembre à l’hôpital de Joliette, près de Montréal. Peu avant sa mort, elle avait filmé avec son téléphone une vidéo diffusée sur Facebook dans laquelle on entend les propos jugés racistes d’une infirmière et d’une aide-soignante à son chevet.

Elle a subi «la pire forme de racisme», selon le Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui a fait de la «réconciliation» avec les peuples autochtones une priorité de son gouvernement.

Perte de confiance

Uliipika Kiguktak se rappelle avoir dû batailler, à 19 ans, auprès d’un médecin dans un hôpital de Montréal, jusqu’à menacer de retirer elle-même son stérilet ou de se tuer, avant qu’il n’accepte de le faire. «Avec l’historique des femmes autochtones stérilisées de force au Canada, j’ai vraiment vu cela comme de la violence: on ne veut pas que j’aie d’enfants et on refuse de retirer mon stérilet», explique-t-elle.

Elle se souvient avoir attendu des heures en avril avant d’être traitée pour une hémorragie vaginale et avoir été interrogée par un médecin pour savoir si elle se droguait. «Si j’avais été Blanche, si je n’avais pas été Autochtone, ça ne se serait pas passé comme ça», assure-t-elle, précisant avoir «perdu confiance dans le système de santé». Le racisme existe «partout”: pour trouver un logement, un emploi, regrette-t-elle.

«Un avant», «un après»

La mort de Joyce Echaquan survient un an après la publication d’un rapport d’une commission d’enquête publique, qui concluait que «les membres des Premières Nations et les Inuits du Québec sont bel et bien victimes de discrimination systémique dans leurs relations avec les services publics».

«Quand les Autochtones racontent ce qu’ils ont vécu, la majorité des gens ne les croient pas», observe Carole Lévesque, anthropologue spécialiste des questions autochtones, précisant qu’»il y aura un avant, il y aura un après».

«Je n’ai pas besoin qu’il y ait un propos explicitement raciste pour savoir qu’il y a des biais inconscients qui existent partout», souligne Odile Joannette, directrice de Wapikoni mobile, un studio de créations audiovisuelles pour les Premières Nations. «Il faut vivre le racisme pour comprendre». Cette Innue de 45 ans explique s’être éloignée du système de santé pour se tourner vers les produits naturels après avoir reçu une erreur de diagnostic dans sa jeunesse liée à une présomption d’alcoolisme. «On est extrêmement vulnérables quand on va dans le système de soins», déplore Mme Joannette.

Plus souvent dans l’urgence

Préjugés, discriminations, traumatismes liés à l’héritage colonialiste, barrière de la langue, isolement culturel… Les Autochtones fréquentent moins les systèmes de santé et se retrouvent, en conséquence, plus souvent dans des situations d’urgence, selon les experts.

«On pense que cette personne va être automatiquement violente, agressive, on va mettre en avant un diagnostic qui présume une intoxication à des substances psychoactives», énumère le président de Médecins du monde Canada, le Dr David-Martin Milot. Il pointe le «double fardeau» de beaucoup d’Autochtones, en situation de précarité et d’itinérance.

L’ONG a mis en place, depuis 2019, trois «navigateurs autochtones» pour les accompagner dans les services de santé de Montréal et se félicite d’avoir créé de «meilleurs liens de confiance et de répondre à leurs besoins». «Ca fait des générations et des générations que ça se passe dans le silence», fustige Odile Joannette, se félicitant toutefois de la «pression» mise sur les autorités depuis la mort de Joyce Echaquan. «Il faut dénoncer le racisme qu’on voit, il faut arrêter de ne pas le dire à haute voix», insiste-t-elle.

(AFP/NXP)