
Dans la grisaille ambiante, une ou deux bonnes nouvelles : le prix du kg d’arachide est fixé à 250 FCFA et le reflux du Covi-19 s’inscrit dans la durée. Ces perspectives réjouissantes, disons apaisantes pour faire bonne mesure, ont été occultées par l’effusion de sentiments et la profusion de commentaires qu’ont suscitées les « suicides » en mer de jeunes gens obnubilés par les fictions de réussite, l’apparition soudaine de lésions dermatologiques chez des pêcheurs ou le bras de fer entre parents d’élèves et écoles privées à propos du gel des cours pendant le confinement. Même le sucre, denrée prisée et convoitée, a renoué à l’occasion avec son mal récurrent : la controverse (ou l’appétence) !
Si les campagnes sourient, les villes, elles, font la grimace. La production d’arachide va battre en 2020 un record avec 1,8 millions de tonnes prévues. La hausse de 40 francs enregistrée cette année serait de nature à accroître le pouvoir d’achat des paysans dont la seule source de revenus demeure leurs récoltes. Une telle embellie ravive le monde rural. Voici donc un acte à intention salutaire. Mais ce geste de haute portée économique et symbolique a été écrasé par les polémiques qui enflammaient les médias, les réseaux sociaux et les grand’ places. Le relèvement du prix au producteur dissipe ainsi bien des hantises.
L’effet immédiat se traduit par un pouvoir d’achat accru qui ôte des épines des pieds des paysans. Déjà le retour des pluies, abondantes et correctement réparties, avait soulevé l’enthousiasme que confortait la justesse des prévisions de l’Anacim. Il s’en était suivi une extension des surfaces emblavées même si cela s’est fait au détriment des zones arborées qui, hélas, se rétrécissent à vue d’œil. Passons. L’agriculture sénégalaise semble renaître pour qui sait observer les tendances lourdes. En même temps qu’elle revêt des habits verts, elle s’accommode aussi des contraintes actuelles : installation tardive des pluies, disponibilité de variétés hâtives, renchérissement des coûts des intrants, surenchères et spéculations.
Par effet de surprise, la commercialisation est entrée en vigueur lundi, ce qui a réduit la marge de manœuvre des intermédiaires aussi voraces que cupides toujours à l’affût ou aux aguets pour se sucrer sans effort sur le dos des pauvres paysans. Instruit par l’expérience, le département de l’agriculture a anticipé la préparation de la campagne de commercialisation en coupant les relais de transmission des options ou des simulations d’achat. Ce court-circuit a désorienté la faune des « vautours » qui tenteront par d’autres moyens de se réintroduire dans le jeu s’ils détectent la moindre faille dans le dispositif de collecte des productions. En clair, ils n’ont pas dit leur dernier mot.
Inoxydables, ils survivent à toutes les épreuves de vie et ne reculent devant rien pour continuer à agir cyniquement, impunément. Des scénarios optimistes tablent sur des campagnes de collectes efficaces. Pourvu que tous les acteurs des différents échelons jouent le jeu. Il suffit de quelques lenteurs dans la mise à dispositions des ressources financières pour que le doute s’installe dans l’esprit des cultivateurs. Or en conformant l’acte (d’achat) à la parole donnée (promesse du kilo à 250 FCFA), les pouvoirs publics s’imposent à la fois comme interlocuteurs et arbitres pour réintroduire le bien en chassant le mal de l’univers agricole au demeurant infesté de pratiques illicites.
A cet égard, les banques d’affaires, spécialisées dans le financement de l’agriculture, peuvent, avec écoute, humilité et pédagogie, aider les paysans à jouir sainement de leurs revenus et à acquérir des biens durables pour améliorer leur ordinaire. Faudra-t-il aux pouvoirs publics des « séquences d’immersion » dans les authentiques milieux agricoles pour recréer du lien et convaincre que la prospérité n’est nullement l’apanage des gens des villes ? A l’instar de l’urbain, le rural aussi vit et veut s’accomplir en se soignant, en envoyant ses enfants à l’école, bref en s’épanouissant sur ses propres terres sans lorgner ailleurs avec naïveté et légèreté.
Au plan démographique, les statistiques nationales relèvent toujours le poids du monde rural à hauteur de 70 % de la population totale. En moins de trois décennies, ce taux a chuté de près de 25 %, entraînant un dépeuplement des campagnes et un gonflement des villes qui se transforment en agglomérations avec un essor impressionnant des bidonvilles. Mais les mêmes statistiques révèlent qu’un exode urbain s’observe. De plus en plus de citadins, découvrant la quiétude des campagnes, s’y installent et modifient le paysage par des choix de vies autres : villas, voitures, grandes surfaces, affinités. Leur arrivée peut, dans une certaine mesure, bousculer les conservatismes et les féodalités du monde rural.
Les idées nouvelles s’acclimatent. Mais attention : l’élan de générosité des paysans est constitutif de leur identité propre. Toucher à ce marqueur peut déboucher sur une fragmentation de nature à renverser le sens de la vie en société. Après tout les villes ont perdu leur âme en se cloisonnant davantage, ce qui a vidé la solidarité de sa substance au bénéfice d’un égoïsme qui s’exacerbe. Dès lors, il est à craindre une accentuation de la fracture citoyenne en laissant s’accumuler des facteurs d’hostilité sur fond d’incompréhension et d’humiliation.
Oui, la pauvreté est humiliante. Elle avilit. Le Plan Sénégal émergent (PSE) place le capital humain au cœur de son projet de transformation de l’économie. En écho, le plan national d’aménagement du territoire veut forger un ensemble d’unités cohérentes dans lesquelles fonctionnent la justice et l’équité. Il s’agit de redonner la priorité au local. Ainsi, chaque commune, érigée en pôle d’activités dédiées, joue son avenir en mettant en avant ses atouts et ses attributs propres. Autaznt dire qu’il reste du chemin à parcourir.
Dans une seconde phase, les similitudes rapprochent les zones et favorisent des convergences d’approches tout en maintenant leurs trames respectives. Le maillage progressif du pays en ouvrages et en infrastructures rompt l’isolement de certains marchés qui deviennent accessibles et compétitifs. Bientôt, le lait qu’on versait et les pommes de terres qui pourrissaient faute de débouchés relèveraient d’une histoire ancienne. Car, par un cumul de petites avancées, les légumineuses du Potou peuvent se retrouver dans le Fouladou, les céréales (riz et maïs) du Nord inonder les étals du centre ou les poissons de Cayar arriver frais à Podor ou à Tambacounda. L’éclosion de ces échanges inaugure une nouvelle ère de mobilités au sein d’un Sénégal qui change de dimension en restant le même : inventif et intensif.
Emediasn