France: «Je crie à l’aide. Je me demande si ce sont de vrais policiers»

 

Quatre policiers ont été suspendus jeudi après le tabassage d’un producteur de musique, documenté par une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux. Cela intervient en pleine polémique sur le droit de filmer les forces de l’ordre en opération.

Cette nouvelle affaire a éclaté à la faveur de la publication par le site Loopsider d’images qui montrent un homme noir, Michel, roué de coups par des fonctionnaires de police dans l’entrée d’un studio de musique du XVIIe arrondissement de la capitale.

«On m›a dit ‹sale nègre’ plusieurs fois et en me donnant des coups de poing», a dénoncé la victime en venant porter plainte, avec son avocate, au siège parisien de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). «Je voudrais juste que le travail (de l’IGPN, ndlr) soit fait», a-t-il dit au sortir de sa déposition. «Je n’ai aucun doute là-dessus», a-t-il ajouté.

Sitôt les images diffusées sur les réseaux sociaux, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé au préfet de police de Paris Didier Lallement de suspendre les policiers concernés.

Trois premiers ont d’abord été suspendus. Puis un quatrième, arrivé en renfort et soupçonné d’avoir lancé une grenade lacrymogène dans le studio de musique, a à son tour été suspendu, a indiqué dans la soirée à l’AFP une source proche du dossier.

«Révocation»

Invité du 20h00 de France 2, M. Darmanin a annoncé qu’il demanderait «la révocation» des policiers, «dès que les faits seront établis par la justice». Il les a accusés d’avoir «sali l’uniforme de la République». Interrogé sur une éventuelle démission du préfet de police de Paris, Didier Lallement, le ministre a dit souhaiter qu’il continue «d’exercer ses fonctions».

Gérald Darmanin a été reçu par le président Emmanuel Macron jeudi après midi, selon une source gouvernementale. Interrogé, l’Elysée a seulement indiqué que le président suit la situation de près. Plusieurs proches du président de la République ont exprimé sur Twitter leur indignation après le passage à tabac du producteur.

Dans une rare déclaration publique, le procureur de Paris Rémy Heitz a souhaité que l’IGPN, saisie du dossier, enquête «le plus rapidement possible».

Matraque

Selon leur procès-verbal consulté par l’AFP, les trois policiers suspendus sont intervenus samedi dernier pour tenter d’interpeller Michel pour défaut de port du masque. «Alors que nous tentons de l’intercepter, il nous entraîne de force dans le bâtiment», écrivent-ils.

Sur les images de vidéosurveillance de ce studio, on voit les trois fonctionnaires de police entrer dans le local en agrippant l’homme puis le frapper à coups de poing, de pied ou de matraque. Dans leur rapport, les policiers ont écrit que l’homme les avait frappés

Selon ces mêmes images, Michel résiste en refusant de se laisser embarquer, puis tente de se protéger le visage et le corps. Il ne semble pas porter de coups. La scène dure cinq minutes.

Dans un second temps, des personnes qui se trouvaient dans le sous-sol du studio parviennent à rejoindre l’entrée, provoquant le repli des policiers à l’extérieur et la fermeture de la porte du studio. Les policiers tentent ensuite de forcer la porte et jettent à l’intérieur du studio une grenade lacrymogène.

Suite à cette interpellation, l’homme a dans un premier temps été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête ouverte pour «violences sur personne dépositaire de l’autorité publique» et «rébellion». Mais le parquet de Paris a classé cette enquête et ouvert mardi une nouvelle procédure cette fois pour «violences par personnes dépositaires de l’autorité publique» et «faux en écriture publique».

«Si nous n’avions pas les vidéos, mon client serait peut-être actuellement en prison», a dit à l’AFP, Me Hafida El Ali, avocate de Michel.

«Mal à ma France»

Son client bénéficie d’une incapacité totale de travail (ITT) de six jours. C’est «assez surprenant compte tenu des coups qui lui ont été portés», a dit Me El Ali, indiquant qu’une nouvelle expertise allait avoir lieu.

«Sur ces images, ce n’est pas une police républicaine, mais une milice barbare hors de contrôle», a dénoncé sur Twitter Jean-Luc Mélenchon (LFI).

«J’ai mal à ma France», a réagi sur Twitter le footballeur Antoine Griezmann, en mentionnant Gérald Darmanin. L’attaquant-vedette de l’équipe de France et du Paris SG Kylian Mbappé a ensuite dénoncé «une vidéo insoutenable» et «des violences inadmissibles». «Stop au racisme», a-t-il conclu.

La vidéo des violences avait été vue près de neuf millions de fois sur les réseaux sociaux jeudi dans la soirée.

Loi controversée

Cette affaire survient après l’adoption cette semaine par l’Assemblée nationale de la proposition de loi «Sécurité globale», qui suscite de vives critiques de la part des journalistes, des défenseurs des libertés et de l’opposition.

Son article 24, le plus polémique, réprime d’un an de prison et 45’000 euros d’amende la diffusion de «l’image du visage ou tout autre élément d’identification» de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte «atteinte» à leur «intégrité physique ou psychique».

Jeudi soir, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé qu’il allait instaurer «une commission indépendante chargée de proposer une nouvelle écriture de l’article 24» de la proposition de loi «Sécurité globale», a indiqué Matignon. La commission, créée sur proposition du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et qui verra à sa tête le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), Jean-Marc Burguburu, doit rendre ses travaux «pour la fin du mois de décembre».

L’objectif est de «nourrir utilement l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale en janvier au Sénat dans le respect des prérogatives de la représentation nationale», ont indiqué les services du Premier ministre. Jean Castex a annoncé la création de cette commission au terme d’une réunion avec une délégation de syndicats d’éditeurs de presse et représentants de collectifs de journalistes, dont Reporters sans frontières, mais boycottée par les syndicats de journalistes et les sociétés de journalistes.

«Usage disproportionné de la force»

L’affaire du producteur tabassé intervient en outre trois jours après l’évacuation brutale, lundi soir, d’un camp de migrants place de la République à Paris. Le parquet de Paris a ouvert deux enquêtes pour des «violences» dont sont soupçonnés des policiers sur un migrant et un journaliste.

L’IGPN a communiqué jeudi que le commissaire divisionnaire qui a fait un croche-pied à un migrant en marge de cette évacuation a commis un «manquement par un usage disproportionné de la force». «Ce commissaire qui fait ce croche-patte totalement injustifié, je prendrai des sanctions contre lui, je demande la réunion du conseil de discipline», a déclaré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, invité du 20h de France 2.

(afp/joc)