UE: Brexit: «Il y a toutes les chances que nous n’y arrivions pas»

 

 

Le Premier ministre Boris Johnson se rendra à Bruxelles «dans les prochains jours» pour y rencontrer la cheffe de l’exécutif européen Ursula von der Leyen, une mission de la dernière chance pour débloquer les négociations post-Brexit toujours dans l’impasse.

«La situation semble très compliquée et il y a toutes les chances que nous n’y arrivions pas», a cependant averti un responsable britannique.

A l’issue d’un entretien téléphonique très attendu, Boris Johnson et Ursula von der Leyen n’ont pu que constater, à nouveau, «que les conditions» pour finaliser un accord n’étaient «pas réunies».

Le jour de la venue du Britannique n’est pas encore fixé, mais il ne participera pas, dans tous les cas, au sommet européen prévu jeudi et vendredi dans la capitale belge.

Les deux dirigeants ont souligné que les discussions achoppaient toujours sur les trois même sujets: l’accès européen aux eaux britanniques, la manière de régler les différends dans le futur accord et les garanties exigées à Londres par l’UE en matière de concurrence en échange d’un accès sans tarifs ni quotas à son immense marché.

Au cours d’une rencontre lundi matin avec les ambassadeurs des Vingt-Sept, le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, n’avait pas caché l’absence de progrès sur ces trois sujets.

Il avait ensuite estimé lors d’un autre point avec des eurodéputés qu’une décision sur la possibilité de conclure ou non un accord devait être prise d’ici mercredi, à la veille du sommet européen. Avant de reprendre les échanges avec son homologue britannique David Frost.

«L’an prochain»

En amont de son coup de fil avec Boris Johnson, Ursula von der Leyen s’était entretenue par visioconférence avec le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel et le président du Conseil européen Charles Michel, officiellement pour préparer ce sommet européen. Mais le Brexit a fait partie des discussions.

En fonction du résultat des tractations, les 27 dirigeants de l’Union européenne pourraient être invités jeudi à examiner les grandes lignes d’un accord… ou à acter un échec, exigeant alors la préparation de mesures d’urgence face au choc de la rupture.

Les négociateurs travaillent sous la pression inexorable du calendrier puisqu’un éventuel accord commercial – de plus de 700 pages – devra encore être ratifié par les parlements britannique et européen avant d’entrer en vigueur le 1er janvier, ce qui apparaît de plus en plus hypothétique avec cette nouvelle prolongation des négociations

«Si les esprits ne sont pas prêts, revoyons-nous l’an prochain» avait déclaré à l’AFP l’eurodéputée Nathalie Loiseau.

Un porte-parole de Boris Johnson a cependant rejeté l’éventualité de continuer à négocier en 2021.

Il faut aussi compter avec l’extrême vigilance des Etats membres qui espèrent un accord, mais s’inquiètent de concessions trop importantes aux Britanniques, certains, comme la France, menaçant d’un veto un accord qui ne lui conviendrait pas.

Nouveau choc

L’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques, un sujet qui ne semble toujours pas avoir progressé, reste hypersensible pour certains Etats membres, France et Pays-Bas en tête.

Mais le point le plus compliqué reste les conditions de concurrence équitable, destinées à garantir une convergence en matière d’aides publiques, de normes sociales ou environnementales. La difficulté est de trouver un système qui respecte la souveraineté retrouvée de Londres tout en protégeant les intérêts européens.

Signe d’apaisement, le gouvernement britannique s’est dit lundi disposé à renoncer aux clauses controversées d’un projet de loi remettant en cause le traité encadrant le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, une concession à Bruxelles pendant cette dernière ligne droite. Les Européens étaient en effet furieux de voir les Britanniques remettre en cause cet accord.

Depuis son départ officiel de l’UE, le Royaume-Uni continue d’appliquer les règles européennes. Ce n’est qu’à la fin de cette période de transition, le 31 décembre, qu’interviendra sa sortie du marché unique et de l’union douanière.

Faute d’accord, les échanges entre Londres et l’UE se feront dès le 1er janvier selon les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), synonymes de droits de douane ou de quotas, au risque d’un nouveau choc pour des économies déjà fragilisées par le coronavirus.

Les trois sujets de blocage

  • La pêche

Les Européens avaient promis un accord rapide sur la pêche, afin d’apaiser leurs pêcheurs, qui craignent de ne plus avoir le même accès aux eaux britanniques, très poissonneuses.

Mais l’inflexibilité des deux côtés de la Manche n’a pas permis de concilier des positions de départ aux antipodes: le statu quo dans l’accès à ces eaux côté européen, un contrôle total pour Londres avec des quotas négociés chaque année.

L’activité ne représente qu’une part négligeable de l’économie des 27 et du Royaume-Uni puisque les Européens pêchent chaque année pour 635 millions d’euros dans les eaux britanniques et les Britanniques pour 110 millions d’euros dans celles de l’UE.

Le sujet n’en reste pas moins explosif et très politique pour une poignée d’Etats membres (France, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Irlande). Et hautement symbolique pour Londres.

Les 27 conviennent qu’ils vont devoir restituer au Royaume-Uni une partie de ce qu’ils capturent chaque année dans ses eaux, aussi bien sur les côtes qu’au large. Mais ils sont loin de s’entendre avec Londres sur la taille de cette restitution.

Les deux parties sont également en désaccord sur la durée de la période de transition garantissant un statu quo de quelques années dans l’accès des bateaux européens aux eaux britanniques.

Enfin, les Européens entendent lier tout accord sur la pêche à l’accord économique dans son ensemble, ce que le Royaume-Uni refuse.

  • Concurrence

L’UE est prête à offrir à Londres un accord commercial inédit sans droits de douanes ni quotas… mais pas à laisser se développer à sa porte une économie dérégulée, qui la concurrencerait de manière déloyale.

Pas question, par exemple, de voir le Royaume-Uni s’autoriser à polluer un peu plus, quand les producteurs du continent devraient respecter des normes environnementales strictes.

Sur l’environnement, comme sur le droit du travail ou la transparence fiscale, Bruxelles a donc une demande: que les Britanniques s’engagent à ne pas les réduire.

Mais elle réclame aussi une «clause d’évolution» pour s’assurer d’une certaine convergence dans le temps. Parmi les éventualités, chaque partie pourrait suggérer des mises à niveau, qui pourraient ensuite être avalisées d’un commun accord.

L’UE va plus loin sur un sujet qui l’inquiète particulièrement: les aides d’Etat. Elle craint que le Royaume-Uni ne subventionne ses entreprises et son économie à tour de bras, alors que les règles européennes sont très rigoureuses. Sur ce point, les demandes de l’UE sont encore plus restrictives.

En cas de divergence, l’UE souhaite pouvoir recourir à des contre-mesures unilatérales et immédiates comme des droits de douane, avant même que le différend ait été tranché par une procédure d’arbitrage classique, ce que Londres rejette.

  • Gouvernance

Londres et Bruxelles ne sont pas encore parvenus à s’entendre sur la «gouvernance» du futur accord, en particulier les mécanismes à mettre en place en cas de différend.

Le verrouillage juridique du futur texte est primordial pour les Européens depuis le projet de loi britannique remettant en cause certaines parties du précédent traité conclu entre les deux parties: l’Accord de retrait, qui encadre le départ du Royaume-Uni le 31 janvier dernier. Ce revirement a sérieusement entamé la confiance de Bruxelles.

Les deux parties négocient un mécanisme de règlement des différends: un tribunal d’arbitrage en cas de violation de l’accord, à l’image de ce qui existe dans d’autres traités commerciaux à travers le monde.

Principal point de rupture: l’idée d’une clause, réclamée par Bruxelles, qui permettrait, en cas de violation d’une partie de l’accord, de prendre des sanctions sur un domaine différent.

Par exemple, si le Royaume-Uni ne respectait plus l’accord sur la pêche, l’UE pourrait appliquer des droits de douane sur les automobiles.

Bruxelles pourrait en revanche devoir lâcher du lest dans sa volonté de voir la Cour de justice (CJUE), qui siège au Luxembourg, jouer un rôle dans ce processus pour toute question liée au droit européen.

Face aux réticences de Londres, la Commission étudie désormais la possibilité de ne pas mentionner la CJUE dans le futur texte et d’éviter toute référence au «droit communautaire», selon plusieurs sources européennes.

(AFP/NXP)