
Après les groupes «Top cas» présents sur facebook, c’est au tour des adolescents de suivre la tendance. «Flash-cas», c’est le pseudo que portent, depuis quelques jours, plusieurs comptes sur Instagram. Créés par des inconnus dans le but de dénigrer et répandre des rumeurs ou même de partager des vidéos ou images obscènes des élèves dans les établissements de façon anonyme, ces derniers sont de plus en plus à la page. Immersion dans ce monde de commérages.
La mine grise, le regard perdu, Fanta Diop est seule devant la grande porte du Collège Sacré-Cœur. Recroquevillée sur elle-même, le masque de protection lui recouvrant la moitié de son visage, la jeune fille est insensible au vrombissement de voitures qui passent. Vêtue d’une jupe bleue de nuit, assortie à une chemise, la potache en classe de Seconde semble avoir la tête ailleurs. Depuis deux jours, la jeune fille âgée de 16 ans vit un véritable cauchemar. Une vilaine rumeur qui circule sur son compte, l’a mise sous les feux des projecteurs. La faute à «Flash cas», un compte anonyme sur Instagram, ce nouveau phénomène qui s’étend dans plusieurs établissements scolaires. La voix tremblotante, un peu hésitante, elle confie : «Avant-hier soir, alors que j’étais en train de me connecter sur les réseaux sociaux, j’ai reçu beaucoup de messages de mes amis qui m’ont dit que ma photo était postée sur cette fameuse page.» Après vérification, Fanta est presque tombée des nues, lorsqu’elle voit son nom placardé sur la story de la page. «Il disait que je sortais avec notre professeur de Français, alors que ce dernier a l’âge de mon père. C’est totalement faux. Le lendemain, mon nom était sur toutes les lèvres. Certains me regardaient bizarrement, d’autres me toisaient. Heureusement, je suis quitte avec ma conscience, je n’ai rien à me reprocher. D’ailleurs, je ne m’abaisserais pas à contacter celui qui se cache derrière ces racontars», révèle Fanta.
A l’instar de Fanta, d’autres écoliers ont été victimes de ces mercenaires du clic. Derrière le speudo «Flash cas», plusieurs comptes anonymes ont été créés sur Instagram, suivis du nom d’un établissement. Leur but étant de colporter des rumeurs, diffuser des photos ou vidéos compromettantes de leurs camarades. Un phénomène qui tend à prendre de l’ampleur dans les établissements scolaires. Tout est parti de la série «Virginie» produite par Marodi. Dans cette fiction, un élève, sous le couvert de l’anonymat, a mis sur pied une page intitulée «Flash cas» afin de mettre à nu les secrets enfouis des élèves et du corps professoral, provoquant ainsi chez ces derniers une panique totale, à chaque fois qu’une publication est faite. Sauf que la fiction a fini par dépasser la réalité. «Flash cas» a fait des émules dans différents collèges et lycées de la place. «Flash cas Sacré-cœur», «Flash cas Protestant», «Flash cas Saint Michel», «Flash cas Galandou», «Flash cas Khadimou Rassoul», toutes ces pages ont été créées, en l’espace de deux jours. Elles font déjà des ravages dans le milieu éducatif…
«Cela fait un peu peur. On a tout le temps l’impression d’être épié»
En cette fin de matinée, un vent frais balaie les alentours de l’Ecole Protestante. A l’intérieur du collège, une vaste cour abrite un terrain de football et deux imposants bâtiments de deux étages peints entièrement en blanc. L’endroit est animé. Les élèves, dans leurs tenues floquées du logo de l’établissement, forment des groupes. Des rires par çi, des cris par là. Dans ce capharnaüm, il est difficile de s’entendre ni de prononcer un mot. Le regard scotché sur son téléphone, Amsatou est très concentrée. Vêtue d’une jupe et d’une chemise blanche, la jeune fille en classe de Quatrième est insensible au bruit autour d’elle. Dans sa bulle, elle est obnubilée par les publications sur le réseau social Instagram, notamment sur la page «Flash cas Protestant». Amsatou est abonnée au «Flash cas» de son établissement, pour ne pas rater une miette de ce qui s’y dit. «Franchement, personne ne connaît la personne qui a créé la page. Mais, on a l’impression qu’elle est au courant de tout ce qui se passe dans l’école», explique la donzelle avec sa voix fluette. La mine radieuse, les tresses qui tombent sur ses épaules, elle enchaine : «Depuis avant-hier, on a vu un rush dans le groupe. En l’intervalle de deux jours, la page comptabilise maintenant plus de 1 000 followers», assure l’élève en classe de Seconde. Amsatou avoue ne plus se sentir en sécurité. «Il faut reconnaître que cela fait un peu peur. On a tout le temps l’impression d’être épié», souligne-t-elle avant de rejoindre sa classe le pas pressé. Un peu plus loin, Dieynaba est debout. Elle aussi est une adhérente de «Flash cas». Habillée d’une jupe noire avec des ballerines du même ton, cette élève en classe de 3e reconnaît s’être abonnée à cette page pour juste se tenir informer. «Cela me permet d’être au courant des derniers potins de l’école. Et franchement, je ne prends pas au sérieux ce qui s’y raconte», sourit-elle. Cependant, l’élève en classe d’examen âgée de 16 ans, s’abstient de faire des commentaires sur la page. «Certes, j’y suis abonnée, mais je ne fait jamais de commentaires sur la vie des personnes vilipendées. Je lis juste et je passe. C’est tout», lâche la jeune fille.
«Ils agiront plus consciencieusement de peur que leurs secrets ne soient divulgués»
Autre lieu, quasiment le même décor. Devant la grande porte du Collège Sacré-Cœur, règne un vacarme indescriptible. En petit cercle, les élèves taillent bavette. Ils devisent sur beaucoup de sujets de discussions. Celui sur la page «Flash cas Sacré cœur» est de loin la plus passionnante. Ici, la nouvelle page tient en haleine les mômes. «C’est une page qui compte maintenant beaucoup de followers. Pourtant, sa date de création est récente. Et, vous voyez, tout le monde en parle», explique Ibrahima Diouf. Du haut de son mètre 70, le jeune homme vêtu d’une chemise bleu-ciel avec un pantalon de couleur sombre, estime que cette page permettra désormais aux élèves de mieux se comporter. «C’est une bonne chose que cette page soit créée. Les élèves se comportaient très mal. Et ils n’avaient peur de rien. Dorénavant, ils agiront plus consciencieusement de peur que leurs secrets ne soient divulgués devant tout le monde», confesse l’élève en classe de Première. Poursuivant, il soutient que «la plupart du temps, ce sont les secrets des élèves les plus célèbres, ceux qui ont plus la cote, qui sont divulgués. C’est triste pour eux», dit-il un brin compatissant.
Mimétisme, quand tu nous tiens !
Au collège Saint-Michel, la cloche retentit. Comme des fourmis, les élèves sortent de leurs classes. Seuls ou en petits groupes, ils envahissent la vaste cour de l’établissement. Autour d’eux, règne un brouhaha indescriptible. Certains d’entre eux investissent le terrain de basket, tandis que d’autres sont installés en petits groupes sur des sièges placés autour du terrain. Ici, les discussions vont bon train. La page «Flash cas St Michel» est au cœur des conversations. Assis sur une chaise, entouré de plusieurs copains de classe, Moustapha converse. Le verbe facile, il enchaîne : «Je ne connais pas le propriétaire de la page, mais j’ai l’impression qu’il connaît tous les élèves de l’école. Et rien de ce qui se passe dans cette école ne lui échappe.» Abonné sur la page «Flash cas St Michel», le jeune homme âgé de 16 ans estime que les informations privées des personnes publiées, sont d’une part avérées. «Les informations sont certes calomnieuses. Mais, il y a une part de vérité sur ce qui se dit. Nous savons tous que les élèves ne sont pas blanc comme neige», nargue-t-il. Contrairement à Moustapha, Ramata Fall ne semble pas donner du crédit à ce qui se raconte sur la page : «Je ne suis même pas abonnée sur cette page. D’ailleurs, je sais que tout ce qui s’y raconte est faux. Les élèves veulent juste copier ce qui se passe sur cette série. Alors que la réalité et la fiction sont diamétralement opposées.» Le timbre haut, la jeune fille vêtue d’un jean avec une chemise à carreaux, et des bottines, poursuit : «Après tout, ce ne sont que des rumeurs. Rien ne prouve que ce qui se dit sur la page soit vrai. Et même si c’était le cas, je pense que personne ne mérite d’être jeté en pâture, d’être vilipendé de la sorte», confesse l’élève en classe de Terminale.
Du côté de l’Administration, Mariama Diouf, secrétaire de la chargée des études de l’établissement, est ployée sous une pile de formulaires éparpillés sur son bureau. La voix suave, madame Diouf avoue ne pas être au courant de l’existence de cette page. «C’est vous qui me l’apprenez», s’exclame-t-elle. Et d’ailleurs, l’établissement n’a reçu aucune plainte de la part des victimes. «Aucune élève n’est venue se plaindre à nous. La page divulgue des rumeurs et non des informations pédagogiques. En tant qu’Administration, nous ne sommes pas intéressés par cela», conclut la secrétaire avant de continuer sa tâche…
En revanche, le phénomène du «Flash cas» est très pris au serieux par le ministère en charge de l’Education. D’ailleurs, les autorités compétentes sont en train de prendre des mesures énergiques contre ce phénomène. D’après, les informations qui nous sont parvenues, depuis hier soir, des agents travaillent d’arrache pied pour avoir l’identité de ces personnes anonymes. «C’est une chose extremement grave. On va les pister. Les sanctions vont tomber très prochainement», révèle notre source, haut placée…
MOHAMED MOUSTAPHA DIAGNE, DIRECTEUR DE LA FORMATION ET COMMUNICATION, PORTE-PAROLE DU MINISTERE DE L’EDUCATION : «Des sanctions administratives mais également pénales seront prises»
«L’école ne servira pas de tremplin pour porter atteinte à la vie privée d’autrui». Le message est on ne peut plus clair. Mohamed Moustapha Diagne, le porte-parole du Men est intransigeant : ceux qui se cachent derrière ces comptes anonymes pour colporter des rumeurs sur le dos de leurs camarades ou du personnel des établissements, s’exposent à des sanctions.
«Les producteurs de séries télévisées devraient faire attention aux scénarii qui portent sur l’école. Dans ces films diffusés, certaines scènes peuvent être reprises par des individus mal intentionnés qui sont dans ou hors de l’école et qui peuvent porter atteinte aux élèves, aux enseignants ou aux personnels administratifs. Comme c’est le cas dans l’affaire «Flash cas». Le ministre Mamadou Talla a mobilisé depuis hier, tous ses services. Nous sommes en relation avec les autorités compétentes pour traquer les personnes qui sont derrière ces comptes, afin de les mettre hors d’état de nuire, en les livrant à la justice. Le ministère de l’Education nationale ne permettra jamais que des élèves ou des particuliers se cachent derrière des pseudo comptes pour nuire à leurs camarades ou au personnel enseignant. Internet est un outil qui doit être utilisé comme un support pédagogique et non comme un instrument de règlement de comptes. Nous mettons en garde les auteurs de ces méfaits. L’école ne servira pas de tremplin pour porter atteinte à la vie privée d’autrui. Pour les personnes qui seront prises en faute, en plus des sanctions administratives, il y aura également des sanctions pénales. Il s’agit de la vie privée de citoyens. La protection des données privées est primordiale. Il n’est pas admis que des images d’autrui soient utilisées sans son autorisation. Nous prendrons des mesures strictes à cet effet pour que pareille chose ne se produise plus.»
lobs.sn