ERRANCES AFRICAINES

 

 

Une année anxiogène s’achève. Douze longs mois ponctués d’épreuves vécues indistinctement dans la douleur par des populations médusées, partagées entre surprise et étonnement, recluses par nécessité et exaspérées par le lancinant désœuvrement qui dégrade tout sur son mortel passage. Deux mille vingt, une année magique ? A l’entame, pas de doute avec ces chiffres joliment agencés ! Mais au bout ou à l’arrivée, l’hécatombe. Entretemps, le covid-19 a tué. Et il tue encore. Malgré la lueur d’espoir qu’apporte le vaccin dédié à la lutte contre cette terrible pandémie.

Le coronavirus s’est imposé à nous comme un trouble-fête, perturbant nos modes de vie, évacuant nos règles pour nous dicter sa loi non écrite, tout en nous forçant à l’accepter comme le mal avec lequel nous devons vivre sans abdiquer. Sortirons-nous indemnes de cette crise sanitaire sans précédent ? Allons-nous changer nos comportements et nous façonner un nouvel état d’esprit ? Sous nos yeux, s’opère une révolution mal négociée.

Notre fragilité humaine se découvre davantage avec le viol répétitif de la nature. Désormais les humains et les animaux cohabitent à l’intérieur d’un espace jadis vaste mais qui se rétrécit chaque jour un peu plus. Une frontière invisible les sépare. Tandis que des éléments pathogènes circulent sans possibilité de retracer le mode de transmission.

Les virus appartiennent à cet univers clos déverrouillé par la main tremblante de l’homme dont la boulimie foncière et l’excès d’appropriation ruinent l’équilibre naturel du cosmos. L’appétence irréfléchie menace les espèces. Un duel sans merci, dur, long et incertain est ainsi engagé alors que le seul combat qui vaille d’être mené s’appelle justement : préservation de la nature. A elle seule, elle justifie l’impérative modification de la carte des affrontements pour orienter les énergies vers la sauvegarde de la civilisation. Alors que les logiques de simplification empêchent de voir la problématique dans sa globalité.

En une semaine, à partir de son foyer émissif, la Chine, le covid-19 a franchi les continents et les océans laissant entrevoir une riposte d’égale résonance basée sur une addition d’expériences qu’il ne faut surtout pas juxtaposer sous peine de subir les logiques marchandes. Ce serait cruel pour la santé en Afrique. Pour s’affirmer, le continent a besoin de se doter de plateaux médicaux de rang mondial conformes aux défis du temps présent. L’expertise existe. Mais elle est sous utilisée, si ce n’est le politique qui tente d’actionner ses propres leviers d’influence pour l’asservir. Compte tenu de la centralité de sa position géostratégique, l’Afrique peut se faire elle-même en se fondant sur un projet d’essence panafricaine.

La brutale disparition de Soumaïla Cisséa a secoué l’Afrique. De partout fusent des témoignages achevant de faire comprendre la dimension qu’avait atteinte ce digne fils du Mali. Plusieurs fois ministre, Cissé a connu la gloire, la fortune, l’infortune, la solitude et les avatars de vie. Il a aussi subi les outrances. Mais en homme avisé, très tôt aux prises avec les adversités, il a su surmonter les obstacles, dissipé les malentendus et pardonné à ceux qui l’ont un jour offensé sans jamais se départir de sa réserve habituelle. Il prouvait le mouvement en marchant. Ce qui lui a permis de se hisser au sommet et de se sentir chez lui partout en Afrique. En outre, il était l’artisan d’un… renouveau de la politique menée avec détachement, désintérêt et détermination. Dans ses rares confidences, il se désolait de voir la cécité politique envahir les acteurs. L’empressement en était une des causes explicatives de même que le manque de sens des convenances.

L’ancien Président de la Commission de l’UEMOA s’évertuait à reconstruire une société de confiance qui lui tenait à cœur dans l’ultime but de réhabiliter la notion d’intérêt général. La classe politique en Afrique est truffée de piètres acteurs adeptes des demi-mensonges ou des fausses vérités, ce qui finit par former un discours versatile, à géométrie variable sur fond d’hypocrisie affligeante. Il avait le sourire facile, la poignée de main franche et les mots apaisants émis d’une voix de douceur qui traduisait profondément son attachement à de saines relations. A son corps défendant, il a vécu sa dernière mésaventure en héraut, sans l’avoir voulu du reste et, à sa sortie, un peuple requinqué l’avait accueilli avec enthousiasme dans les rues de Bamako.

Pendant ses mois de captivité, pas un dirigeant politique n’a levé le plus petit doigt en guise de protestation ou de condamnation. Mais à sa mort, des torrents d’émotions ont ruisselé comme à la borne fontaine. L’art de la contorsion serait-il un jeu favori des politiciens de tous acabits ? Cette faune peuple l’espace politique africain avec sa pensée tatillonne et son langage abrupt. Hélas ! Avec les effets collatéraux de son décès, le Mali, dévasté, remettra son ouvrage sur le métier en retravaillant plus que de raison son corps social et politique. Le leadership se conçoit dans la durée.

A vol d’oiseau, à Niamey, est-ce le coup de maître pour Mouhamad Issoufou au Niger ? Il avait promis de se limiter à deux mandats tel que le stipule la constitution nigérienne. Il a tenu parole. Mais à quel prix ? En se choisissant un dauphin, -loyal et méritant au demeurant-, il a récusé le choix des militants si bien évidemment l’opportunité leur était offerte. Dès lors qu’il est président sortant, en restant en fonction n’influence-t-il pas le vote lui-même ? Ensuite, il a écarté un opposant redoutable, Hama Amadou en l’occurrence, coupable, aux yeux de la justice, de trafic de bébés. Trente candidats en lice dans un scrutin uninominal majoritaire à un tour, mais très peu de têtes d’affiche. Les jeux sont faits…

En quittant le pouvoir, sûrement Issoufou n’ira pas en Guinée pour revoir son ami Alpha Condé. Les deux sont en froid. Ils ne se parlent plus. Et pourtant leur amitié, solide parce que forgée sur les braises du Quartier latin, n’a pas résisté aux appétits de pouvoir du Guinéen devenu sourd aux appels à la raison. Nanti du son troisième mandat, Condé se voit maintenant en un point d’aboutissement des temps. Il cherchait à rompre le lien avec un passé qu’il abhorre aujourd’hui, parce qu’il en est peu fier. Est-il besoin de détruire quand tout se décompose ? Réponse d’évidence : non, bien sûr.

L’élection présidentielle au Niger est éclipsée dans les médias par cet autre scrutin à enjeux en République centrafricaine. Il s’agit sans doute de l’élection la plus surveillée par des hommes en kaki. C’est à croire que le nombre de militaire en mission sur cette terre de feu n’équivaut pas au nombre d’électeurs ! L’inégal niveau de sécurisation du vote est lourd de risques avec le surprenant réveil des milices excitées par le discours de haine prononcé par l’ancien président François Bozizé. Sa candidature invalidée par la Cour constitutionnelle, Bozizé scelle sans conviction une alliance avec l’ancien Premier Ministre Anicet Georges Dologuélé. Pas pour longtemps puisqu’il finit par reconstituer ses milices et les déploie à nouveau dans les provinces tout en appelant les Centrafricains au boycott de l’élection présidentielle. L’ONU veille. Centrafrique, pauvre pays, si riche…

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