[ÉDITORIAL] Covid-19 en Afrique : Un an après… et maintenant Ebola ! (Pierre Boubane)

 

 

Mars 2020-Mars 2021. Le nouveau coronavirus a un an en Afrique. Douze mois de riposte parfois dans la confusion. Pour les besoins de cette réflexion citons Stéphane Hessel. En 2010 il publie Indignez-vous. Dans cet essai, il défend l’idée selon laquelle, l’indignation est le « ferment de l’esprit de résistance ». C’est l’idée de résistance qui nous intéresse. Car le message du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’endroit de l’Afrique est une invitation à la résistance : « Le meilleur conseil à donner à l’Afrique est de se préparer au pire et de se préparer dès aujourd’hui » (Le Monde.fr, 19 mars 2020). Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres prédit, lui, des millions de morts sur le continent, provoquant ainsi l’ire d’une partie de l’opinion publique. Un an après tous ces évènements, les statistiques quotidiennes de la Covid-19 dans certains pays semblent donner raison aux lanceurs d’alerte. Avec la deuxième vague, le taux de létalité est sensiblement monté dans certains pays comme le Sénégal. Il est en moyenne de 5 à 10 décès par jour depuis plus d’un mois ; ce qui n’était pas le cas avec la première vague. Le pays déplorait à peine 1 à 5 décès les 24h. Certes l’Afrique est loin des millions de morts prédits – en fin février, sur les 54 pays africains on dénombre plus de 3.500.000 de cas confirmés et plus de 100.000 décès, selon apanews.net -, mais la situation est suffisamment inquiétante pour inviter à redoubler d’efforts dans la résistance. Or le public, notamment jeune, vit comme en temps ordinaire. Il y a de l’ambiance dans l’air : des baptêmes par-ci, des mariages par-là, des manifestations religieuses ou politiques ailleurs…etc. Insouciance ? Incivisme ? Fatalisme ?

Lorsqu’Antonio Guterres prédit une hécatombe sur le continent, sa prophétie choque, au point de susciter des réactions virulentes. Les discours catastrophistes « n’émeuvent plus personne de toute façon » écrit alors François Soudan directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, Jeune Afrique. « Il y a longtemps que la sémantique sarcastique des donneurs de leçons ne trouve plus aucun écho au sud de la Méditerranée », poursuit-il (JA, 9 mai 2020). Sous le coup de l’émotion, personnellement, nous étions de ceux qui estimaient que la rhétorique du diplomate de l’ONU manquait d’élégance. Nous dénoncions une communication pour le moins chaotique. Les gouvernements, les personnels de santé et les populations avaient pris conscience de la gravité de la maladie. Les dirigeants politiques adoptèrent des mesures concrètes et à temps, selon les réalités de leurs pays respectifs pour contrecarrer la propagation du virus. Cela se concrétisa par la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes. A l’intérieur de chaque pays, le mouvement de population furent limités. Ces mesures se révélèrent payantes. La première vague fit moins de victimes. Cependant, par lassitude ou par défiance envers l’autorité politique, le relâchement du public est regrettable. De plus en plus, les populations se montrent hostiles aux mesures de distanciation sociale, de confinement et même du vaccin, bref, elles ne coopèrent plus. Dès lors, tout le monde est en danger. Nous reviendrons !

L’an un de la Covid-19 nous permet de ressasser des regrets sur l’état des systèmes de santé. « Il n’y a pas de pays libre sans une recherche fondamentale libre, ouverte, et il n’y a pas de pays souverain sans une maîtrise des technologies qui façonneront le futur », analyse un homme politique. S’il est vrai que l’Afrique regorge d’un personnel de santé qualifié, certains pays manquent cruellement d’infrastructures de pointe. Il n’est pas rare qu’un établissement hospitalier ne dispose que d’un ou deux appareils respirateurs en salle de réanimation. La pandémie a révélé au grand jour l’état parfois lamentable des hôpitaux. « Avec 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique compte environ 375 producteurs de médicaments contre 10 500 pour la seule Inde », renseigne l’Agence Ecofin, citée par Ouestaf.com dans un article publié le 27 mai 2020. Selon la même source, malgré ce fort potentiel, l’Afrique importe 70% de ses besoins en médicaments. C’est ce qu’il convient de corriger en vue d’un avenir meilleur. Les recherches dans le domaine médical demandent d’être soutenues par des financements substantiels. C’est une priorité. Surtout, cela permettra aux États africains d’être moins dépendants des autres régions du monde. Leurs dirigeants éviteront à leurs populations la panique, chaque fois qu’il sera décidé, pour des raisons politiques ou autres, que les pharmacies de leurs pays ne seront plus fournies par celles des pays du nord, comme il semble avoir été le cas pendant cette pandémie.

Une autre leçon est à tirer de cet anniversaire d’un an de la Covid-19. Les dirigeants des pays riches baignent à fond dans l’esprit de l’école réaliste: seul compte le rapport de forces dans la géopolitique (de la Covid-19) comme l’a montré la bataille autour de l’acquisition des masques chirurgicaux. Nous avons assisté à des scènes surréalistes, celles de pays développés détournant dans des aéroports des lots de masques qui étaient destinés à d’autres pays. Désormais leurs affrontements s’organisent autour du vaccin, devenu une véritable arme de géopolitique. Quant aux Chefs d’État africains, ils se tiennent en retrait de ce jeu d’influence géostratégique. Certains essaient désespérément de relancer leurs économies. Mis sous pression, ils demandent l’annulation des dettes contractées auprès de leurs créanciers. La maxime selon laquelle, les États n’ont pas d’amis mais seulement des intérêts s’est révélée pertinente pendant ces douze derniers mois de crise sanitaire planétaire.

Le message de l’OMS et de l’ONU reste d’actualité. La pandémie fait et fera beaucoup de morts. Cela doit interpeller tout un chacun dans sa manière d’exercer sa liberté dans l’espace public. Hélas, l’ambiance qui règne dans les villes africaines ne rassure guère. La religion en bandoulière, le public juvénile brille par l’insouciance et l’insolence. Un choix cornélien s’impose – or un choix cornélien est un choix difficile à faire, il oppose la raison aux sentiments – ceci dit, ou bien le public fait le choix de la raison, en respectant les mesures de distanciation sociale, le seul moyen sûr d’éviter la maladie, alors des vies seront sauvées; ou bien il fait le choix des sentiments d’ambiance, en organisant toutes sortes de manifestations, alors les cimetières seront remplis des victimes de la Covid-19. Les premiers, « Les vieux nous quittent ». Beaucoup sont fauchés par ce virus que chacun participe à répandre par la négligence et le déni. En enterrant nos vieux, c’est la sagesse qui s’éteint au moment où nos sociétés en ébullition en ont tant besoin.

Enfin, que dire de l’avenir en commun que nous avons en partage avec le reste du monde ? Nous (Africains) donnons à nos contemporains, notamment ceux de l’hémisphère nord, une bonne occasion de nous laisser sur le bas-côté de la route dans cette aventure humaine. Pour notre humiliation, ils continueront à nous fermer leurs aéroports avec comme argument le virus a encore de beaux jours dans nos pays par notre faute. Il est impératif que la résilience individuelle et collective prime sur toute autre conviction et comportement. Car nous parlons de santé publique. C’est une question de vie ou de mort. Et comme si la pandémie de Covid-19 n’était pas déjà suffisamment préoccupante, pour notre malheur, le virus Ebola refait surface. Un an de coronavirus et maintenant Ebola. À moins d’un sursaut rationnel et surtout un engagement responsable à renoncer à certaines de nos libertés individuelles et collectives au nom de la vie, le pire est certainement devant nous.

Pierre BOUBANE