
Dans les profondeurs du bois sacré, les militaires balisent, nettoient, assurent et sécurisent. Sans bavures. Et proprement. Qui pour contester cette nette victoire à mettre à l’actif du Président de la République ? Personne. Pas même Ousmane Sonko, empêtré, lui, dans une affaire de mœurs aux relents politico-judiciaires qui lui tombe comme une tuile sur la tête.
Jamais un chef d’Etat n’avait pris un tel ascendant sur ce sempiternel conflit au sud du pays. Le leader du Pastef, en politicien madré, a tenté de retourner en sa faveur la situation en lui donnant une tournure plus politique que judiciaire. L’étau pourrait se resserrer davantage avec le récent vote du Parlement saisi pour lui ôter son immunité et ainsi, redevenir justiciable devant répondre à une convocation du juge d’instruction.
Ne manquant pas d’énergie, il déplace le curseur sur d’autres polarités pour s’éloigner des ténèbres et reprendre l’initiative. Celle-ci est lourde d’ambitions. Entend-il convaincre qu’il est porteur de solutions définitives en Casamance ? Veut-il mettre sur la balance ses succès électoraux à Ziguinchor pour montrer que la gravité de la crise justifie son implication dans la recherche de solutions ? Sonko en mode sauveur ou aiguillon ? Il ne traîne pas de réputation sulfureuse. Heureusement.
Ainsi, face à la presse, la semaine écoulée, le jeune opposant s’est montré combattif. Son discours, encore radical, du moins dans l’intonation, s’assouplit quelque peu dans la tonalité lorsqu’il évoque -et c’est nouveau- la possibilité de passer pour un missi dominici mandaté par Macky Sall en Casamance. Se voit-il en héraut au destin messianique dans la région sud en voie de pacification ? Il est sans doute très tôt pour le dire. En politique, ne jamais dire jamais équivaut à admettre une hypothétique rencontre des montagnes.
Cette éventualité dont il se taille déjà les habits neufs à la mesure de sa corpulence ouvre une perspective de dialogue avec l’adversaire et non l’ennemi. Là dessus, les deux s’entendent. Mieux, ils s’accordent à tout le moins. Ces amabilités convenues, l’un et l’autre regardent chacun midi à sa porte. Avec les yeux rivés sur l’horizon 2024, considéré comme la mère des batailles entre deux rivaux qui ne se feront sûrement pas de cadeaux à mesure que l’échéance approche à grandes enjambées.
De fraîche culture politique, Sonko pose des actes, parfois sans précaution, dont la radicalité séduit les franges les plus jeunes qui s’enhardissent à chaque sortie de leur « président », ainsi l’appellent-ils. Par empressement ou par accoutumance ? Le loup solitaire s’apprête-t-il à changer de fusil d’épaule ? Sa récente sortie constitue-t-elle à cet égard un signal fort envoyé dans le camp présidentiel ?
La démarche brutale de l’ancien inspecteur des impôts amuse le Président Macky tenté d’y déceler un fond résiduel d’immaturité aggravé par l’absence dans son entourage d’hommes et de femmes rompus à la stratégie de l’édredon. Les cinglantes répliques, même abondantes, ne constituent pas un socle politique. Pour le Chef de l’Etat, Sonko et Cie, pressés, ne donnent pas du temps au temps en adoptant l’esquive comme un moyen politique de riposte. Tandis que chez le patron de l’APR, le temps compte. Il marche à l’allure de sénateur, tout président qu’il est.
Ce faisant, Macky Sall laisse à celui qui le défie le soin de « gérer la parole » quand lui s’obstine à multiplier les actes à fort impact social. La conjoncture sanitaire offre au Président l’occasion de se montrer préoccupé par la santé des populations en réceptionnant ici des cargaisons de vaccins, là des lots d’équipement médical et, joignant le geste à la parole, se porte candidat à l’inoculation du sérum au cours d’une cérémonie ostensiblement retransmise par des chaînes de télévision. Objectif : montrer l’exemple et vaincre les réticences, même si sa « boutade » a jeté un trouble dans le landerneau médiatique.
A quand le tour de Sonko pour se faire vacciner ? Le marquage serré à la culotte doit toutefois se sentir moins dans ces moments de crispation et de doute alors que tout un peuple se pose la question de sa propre survie. Parce que la mort rôde et la courbe ne s’infléchit pas encore. Tout le monde doit donc être attentif à l’évolution de la pandémie qui inquiète. Admirez le silence d’une frange importante de l’opposition ! Elle est presque inaudible. Ce vide, Sonko l’investit naturellement. Puisque ceux qui devraient lui porter ombrage sont eux-mêmes aphones.
N’oublions pas que le Sénégal compte plus de trois cent partis politiques. Mais l’animation politique reste circonscrite à une poignée de formations qui se contentent le plus souvent de déclarations de principes en cas de nécessité absolue. Karime Wade et Khalifa Sall se taisent toujours. Leur absence à la dernière élection présidentielle a laissé leurs électeurs potentiels sans choix du cœur. Sonko, arrivé troisième à l’issue de ce vote, a sûrement bénéficié d’un report de voix. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. Mais est-il pour autant « propriétaire » du suffrage exprimé en sa faveur ? Qu’adviendrait-il demain si les deux premiers nommés annonçaient leur retour dans l’arène politique ? Y aurait-il une redistribution des cartes ? L’échiquier politique connaitrait-il un bouleversement ou un renversement de hiérarchie ?
Cette perspective hante Sonko. Il la redoute même. Car un tel scénario ouvrirait les yeux sur le poids politique de chacun et leur représentativité réelle ou supposée. Cette affaire de mœurs tombe mal pour le dirigeant du Pastef englué dans une situation embarrassante. Comment va-t-il se reconstruire après l’épreuve qu’il traverse en ce moment ? Qu’il s’en sorte d’abord. Le reste suivra. Car, une fois son immunité levée, l’agenda judiciaire va s’imposer à lui. Et tout le monde le sait : le temps de la justice n’est pas celui de la sphère politique.
Autrement dit, ce dossier, s’il quitte le Parlement pour le Temple de Thémis, obéira à une logique autre de traitement. Gageons que le dénouement ne chevaucherait pas avec des rendez-vous électoraux majeurs en vue. Les vieux schémas fonctionnent toujours dans ce Sénégal très peu porté vers les audaces politiques. L’opinion goûte également peu aux signes ostentatoires d’arrogance.
Néanmoins, le jeune dirigeant, a appris de ses erreurs, de ses emportements et de ses coups d’audace qui, assemblés, font de lui une figure de proue de l’opposition. Au point que certains l’affublent du titre de chef de cette opposition dès lors que Idrissa Seck a rejoint la majorité et le pouvoir. A quoi ressemblerait une opposition privée de chef ? La Déesse de la Justice et de la Loi tient les plateaux de la balance…
NB. Vous cliquez ce jour, sur le 104ème numéro de l’Editorial du mardi de www.emedia.sn/ Vous êtes nombreux à nous faire des retours forts instructifs. Juste un souffle, et ça repart… ! Merci.