[Edito]Le patriotisme : Ce qu’il est, ce qu’il n’est pas !

 

 

 

Dakar et plusieurs autres grandes villes sénégalaises sont en flammes. Des jeunes manifestants (des Patriotes comme ils se présentent) sont déterminés à faire libérer l’homme politique, Ousmane Sonko. Président du parti Pastef, il a été arrêté le mercredi 3 mars pour trouble à l’ordre public. Arrivé en troisième position avec 15 % des voix lors de la dernière élection présidentielle de 2019, Sonko est le principal opposant du régime en place. Il y a un mois, il a été accusé de viol par une jeune femme d’un salon de massage dakarois. Tout est parti de la plainte déposée contre lui pour viol. Il clame son innocence et dénonce « un complot » orchestré par le président de la République, Macky Sall. Il invite ses partisans à la « résistance » pour combattre un harcèlement politique. Le message est reçu cinq sur cinq. Depuis son arrestation ses partisans et sympathisants occupent les rues. Plusieurs commerces sont saccagés, vidés de leurs contenus, voire brûlés.

Certains activistes de la société civile mais aussi des hommes et femmes politiques manifestent leur soutien. Ils articulent leur engagement autour du triptyque : soutien à Ousmane Sonko, défense de la démocratie sénégalaise en péril à cause du président Sall qui a promis de réduire l’opposition sénégalaise à sa « plus simple expression », et enfin, défense des libertés des citoyens menacées par un « régime dictatorial » qui multiple les arrestations de tous ceux qui s’opposent au régime. Les images des manifestations et surtout celles des scènes des pillages sont apocalyptiques. Des Sénégalais réclamaient leur révolution. Ça y est ! Celle-ci est-elle enfin en marche ? Ces Sénégalais sont, en effet, convaincus que les révolutions sont utiles parce qu’elles préparent la société à évoluer. Cependant ont-ils compris que pour que la société évolue, il faut que les membres qui la composent aient fait évoluer leurs mentalités ? Les mentalités évoluent-elles dans le bon sens ? L’interrogation est permise. Passons !

Pour les besoins de cet exposé remémorons les mots de Mouammar Kadhafi sur la colère du peuple: « Que j’aime la liberté des foules, leur élan enthousiaste après la rupture des chaînes, lesquelles lancent des cris de joie et chantent après les plaintes de la peine. Mais comme je les crains et les redoute! Comme elles sont si affectueuses dans les moments de joie portant leurs enfants au dessus d’elles. Elles ont porté Hannibal et Périclès…Savonarole, Danton et Robespierre…Mussolini et Nixon…Et comme elles sont si cruelles dans les moments de colère. Elles ont comploté contre Hannibal et lui ont fait boire le poison, elles ont brûlé Savonarole sur le bûcher…envoyé Danton sur l’échafaud…fracturé les mâchoires de Robespierre, son bien-aimé orateur, traîné le corps de Mussolini dans les rues, craché à la figure de Nixon ». La morale est qu’il est difficile de maîtriser le mouvement d’humeur de la foule surtout dans des manifestations populaires et spontanées. Car la foule abaisse le niveau intellectuel de ses membres et les rapproches de leurs instincts primaires. Il est très difficile de manipuler un homme. Mais lorsque vous le mettez dans une foule, c’est-à-dire dans un contexte qui va permettre de l’associer à d’autres personnes, là, il va se transformer en mouton. Il renonce à son esprit de discernement. Voilà pourquoi dit l’adage : qui contrôle les foules, gouverne le monde. Toutefois, il ajoute aussitôt que la chute est inévitable lorsque la foule ne croit plus en celui-ci.

Dans le cas précis qui nous intéresse, l’avertissement vaut pour le président Sall qui, par deux fois de suite, a été porté à la tête de l’Etat du Sénégal. Manifestement il a déçu nombre de Sénégalais. Au nom de la paix sociale renouer le dialogue avec le peuple devient un impératif pour lui. L’avertissement vaut aussi pour l’opposant Ousmane Sonko, celui par qui, le pays est en ébullition depuis quelques jours. Faut-il le rappeler ici les hommes peuvent entendre le même discours mais l’interpréter et le comprendre différemment. L’appel à la résistance est en train de produire une situation qui embarrasse plus d’un. Avec les pillages des commerces et les autres dégâts enregistrés, ici et là, des voix montent pour s’indigner contre la stratégie de défense de l’opposant depuis l’éclatement de cette affaire a priori privée. Gagner la sympathie de l’opinion publique est une victoire partielle. Etre blanchi et absout par la justice de son pays, c’est encore mieux. Du reste aucune justice au monde n’est parfaite, donc la justice sénégalaise, non plus n’est pas parfaite. Cependant elle mérite la confiance des citoyens. Le droit civil faisant le trait d’union entre les citoyens dans leurs grandes diversités ethniques, culturelles, confessionnelles…etc. La justice doit continuer de juger, condamner et acquitter, dans la mesure du possible en toute indépendance. Ceci pour mériter la confiance du peuple car bien sûr toute confiance se mérite.

Enfin « Tout roi est comptable des crimes qui ont été commis sous son règne ». Suivant ce dicton, Macky Sall peut être tenu pour responsable de ce qui se passe dans le pays. Mais le simple observateur ne peut s’empêcher de s’interroger sur le principe de responsabilité individuelle et collective de tous les Sénégalais, surtout de leurs comportements dans l’espace public. Quel lien existe-il entre cette volonté de défendre l’honneur d’un leader politique, de la démocratie et des libertés et les vols signalés dans des magasins qui appartiennent à des particuliers ? Par ces comportements qui n’honorent personne, ceux qui participent à ces actes de vandalisme et de destructions nivellent tristement le pays par le bas. Rappelons que le patriotisme ne peut se limiter aux simples discours. Il est et il doit être un comportement responsable dans l’espace public pour le bien de tous et de chacun.

 

 

Pierre Boubane