[Edito]En Casamance, retour au village natal !

 

Fin janvier 2021. L’armée sénégalaise mène une opération de sécurité dans certains villages de Casamance. L’objectif étant de favoriser le retour des populations qui avaient fui l’insécurité, à cause des incursions des rebelles du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc). Après plus de deux semaines d’opération, l’armée revendique la prise de bases rebelles. C’est la première surprise de l’année dans cette région-sud du Sénégal. La deuxième surprise est le retour, en cours, des habitants des villages fraichement libérés par l’armée. Que ces populations acceptent de regagner leurs localités est une bonne nouvelle. Car cela prouve qu’elles font confiance en l’armée, notamment dans sa capacité à les protéger.

Les Sénégalais en général, les Casamançais en particulier attendent le retour définitif de la paix dans la région septentrionale du pays en proie à un conflit armé depuis 1982. C’est l’année de la naissance du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), une impulsion indépendantiste. Comme très souvent dans ce cas de figure, à l’origine il y a un problème de justice sociale. Les fondateurs dudit mouvement dénoncent l’injustice et la discrimination dont seraient victimes la Casamance et sa population. Ils cherchent à séparer leur riche région du reste du Sénégal. Ce que le gouvernement central n’acceptera jamais. Des affrontements entre l’armée nationale et Atika, la branche armée de la rébellion, font des milliers de victimes civiles et militaires, ravagent l’économie et poussent de nombreux habitants à fuir les zones de combats, ceux-là, mêmes que les autorités sénégalaises encouragent aujourd’hui à revenir dans leurs villages.

Au fil des années, des tractations pour trouver une issue positive à ce conflit sont initiées. En 2012 Macky Sall est élu président de la République du Sénégal. Il déclare lors d’une émission sur TV5MONDE qu’il accepte de négocier la paix avec les rebelles indépendantistes. Il est prêt à aller la négocier même sur « la planète mars ». Il tient sa promesse. Son régime rencontre les chefs rebelles hors du continent. C’est à Rome que les pourparlers se tiennent discrètement sous l’égide de la communauté catholique Sant’Egidio. Rendue publique, l’initiative reçoit un accueil mitigé par l’opinion publique sénégalaise. Pour les uns, c’est une bonne idée car tous les conflits prennent généralement fin autour d’une table. Pour d’autres, les rebelles veulent tout simplement voyager. Ils sont fatigués en brousse. Les moustiques les piquent tous les jours. Ils veulent dormir dans des hôtels à cinq étoiles, ironisent certains commentateurs qui doutent de leur bonne foi. Malheureusement les négociations parrainées par Sant’Egidio n’aboutissent pas à un accord de paix définitive.

Serait-ce, en partie, à cause de l’internationalisation du conflit ? En effet, dans une contribution publiée dans la presse sénégalaise, un responsable du mouvement indépendantiste célèbre avec un air moqueur l’échec des pourparlers tenus à Rome, en écrivant ceci : « Avec cette affaire de Rome, et n’en déplaise à ses lobbies-partisans, l’option ‘‘Sant’Egidio’’ est morte de sa belle mort. Les jours à venir nous permettront certainement de procéder à son enterrement de première classe ». Il poursuit: « Qu’il nous soit permis, cependant, et en attendant, de rappeler que la paix en Casamance ne viendra pas de l’extérieur. Ni même par la ruse, la duperie ou la tortuosité. Encore moins par effraction ». Selon lui, la paix tant attendue en Casamance consistera dans la « paix par le droit ». Sa proposition est, d’une part, la promotion d’une « dynamique endogène » et, d’autre part, une solution certes fondée sur « La justice et la vérité, mais résolument et expressément consacrée comme telle par une Constitution sénégalaise qui soit, en elle-même, la traduction-fidèle voire l’acte-fondateur d’une nouvelle République et d’un nouvel État sénégalais dans un Sénégal nouveau ». Peut-on dire que le gouvernement du Sénégal est allé dans le sens souhaité par ce leader du Mfdc ?

Il sied de reconnaître que depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, le Sud du pays connaît un relatif moment d’accalmie. Le régime a changé de paradigme dans le traitement du dossier casamançais. Il n’y a plus de “Messieurs Casamance”. L’époque des héros solitaires est révolue. Le président Sall aurait mis fin aux « agissements des nombreux messieurs Casamance qui sillonnaient la Casamance pour attiser le feu dans un conflit qui a fini de causer un préjudice important aux populations et occasionné le retard de développement de la région », écrit Ansou Sané de l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance – Anrac (Senego, 21 Mars 2021). Depuis 2013, le gouvernement aurait injecté plus de 1.200 milliards de francs Cfa pour la Casamance, indique M. Sané. L’argent aurait contribué au désenclavement terrestre, aérien, et maritime de la région-sud du pays. Sur le plan de la géopolitique le Sénégal rétablit de bonnes relations avec ses voisins -sauf avec la Guinée Conakry depuis la dernière élection présidentielle en Guinée -. Car en 2012, lorsque Macky Sall est élu président du Sénégal, l’Angola est militairement présent en Guinée Bissau, un pays voisin de la Casamance, longtemps considéré comme une base arrière du Mfdc. Cette présence militaire angolaise à Bissau ne rassure guère le président sénégalais. Ses relations avec son homologue angolais, d’alors, Edouardo Dos-Santos seraient tendues. Un observateur parle de « duel Macky-Dos Santos » à Bissau. C’est « un jeu d’enfants pour les services secrets angolais de pousser le Paigc à l’insurrection politique, prélude à une guerre civile qui serait une aubaine pour le Mfdc avide de chaos bissau-guinéen pour booster son séparatisme armé », analyse-t-il. « L’autre pays en phase avec les desseins de Dos Santos, poursuit l’observateur, est le Portugal qui n’a jamais pardonné au Sénégal d’avoir successivement remorqué son ex-colonie dans la défunte compagnie Air Afrique et dans la zone Cfa à travers son adhésion à l’Uemoa ». Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. L’Angola a élu un nouveau président de la République. Sa présence à Bissau est devenue plus discrète. De plus, depuis 2020 le général Umaro Sissoco Embalo, un allié et ami du président Macky Sall, s’est hissé à la tête de la Guinée Bissau. Un autre pays voisin considéré, à tort ou à raison, être un refuge de certains combattants du Mfdc, la Gambie est également en odeur de sainteté avec le Sénégal. De fait, le Sénégal respire mieux.

De ce qui vient d’être exposé, l’on peut observer que le gouvernement du Sénégal a marqué des points sur plusieurs plans. Le projet de paix en Casamance ne peut qu’être sur la bonne voie. Presque tous les acteurs directs ou indirects du conflit semblent regarder désormais dans la même direction. Sauf Salif Sadio, l’un des chefs historiques de la rébellion, qui tient à son idée d’indépendance. Dans une de ses récentes sorties médiatiques le vieil homme, qui vit l’âge de ses artères, dit ne jamais abandonner le projet d’indépendance de sa région natale. De son côté, Macky Sall jure qu’aucun chef d’État de la République du Sénégal n’acceptera d’octroyer l’indépendance à la Casamance. Au demeurant, la paix en Casamance reste encore un projet à concrétiser. En attendant les prochains épisodes – nous espérons de tout cœur la signature d’un accord de paix sincère et définitive entre tous ces acteurs impliqués -, réjouissons-nous des belles images diffusées par les médias sénégalais montrant des villageois qui reviennent dans leurs localités qu’ils avaient abandonnées à cause de l’insécurité. Pour les rassurer, l’armée annonce l’installation de nouvelles bases non loin des villages repris des positions rebelles.

Pierre BOUBANE / Tambacounda.info /