Venezuela : Le fléau des grossesses précoces

 

«Tu n’es pas enceinte!» indique l’infirmière. Deiglis, 17 ans, souffle, soulagée. Elle a déjà du mal à s’en sortir avec le bébé de 5 mois qu’elle tient dans les bras au centre de santé de Médecins sans frontières (MSF) de Vidoño, à quelque 300 kilomètres à l’est de Caracas. L’ONG a mis en place dans cette ville moyenne un programme spécial de planning familial pour lutter contre les grossesses précoces qui ont explosé au Venezuela, pays en plein marasme économique, aggravé par des sanctions économiques.

Les moyens de contraception, même les préservatifs, sont hors de portée de la plupart des ménages et Deiglis, sans travail, ne fait pas exception à la règle. «Je n’ai pas d’argent pour en acheter et il n’y a pas de travail pour entretenir un autre enfant», résume, tête baissée, la jeune femme, qui fait partie des centaines de personnes issues de milieux défavorisés se rendant au centre pour des soins gratuits. Venue pour des soins aux yeux pour son bébé, elle bénéficie aussi des conseils et examens du programme. MSF va lui proposer un implant contraceptif.

Avortement puni

Erika Fernandez, l’infirmière, 41 ans, a l’habitude et interroge la jeune femme, brisant peu à peu la glace et la timidité. «Ta dernière relation sexuelle était-elle protégée ?» lui demande-t-elle. MSF propose gratuitement cinq types de contraceptions : préservatifs féminin et masculin, pilule, injection ou implants pour cinq ans. Une tablette de pilules coûte entre 10 et 25 dollars dans un pays où le salaire minimum est de moins d’un dollar. «La grande majorité des gens qui viennent ici n’ont pas l’argent pour ça», raconte l’infirmière, toujours émue par les grossesses des mineures.

«C’est fort. Les mineures enceintes m’impressionnent beaucoup», dit-elle, les larmes aux yeux. Les filles enceintes de 14-15 ans «ont besoin de beaucoup d’aide». Illégal au Venezuela, sauf en cas de danger vital pour la mère, l’avortement est puni de six mois à deux ans de prison.

Sensibilisation

Faibles ressources financières, absence ou difficulté à trouver des moyens contraceptifs, mais aussi manque d’éducation, les grossesses précoces sont devenues «un problème» de l’aveu même du président vénézuélien Nicolas Maduro. Il n’existe pas de statistiques officielles, mais selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), en 2019, 95 naissances sur 1000 étaient le fait de mères ayant entre 15 et 19 ans. Seuls l’Equateur et le Honduras ont des taux plus forts alors que la moyenne d’Amérique latine est de 62 pour 1000.

En 2020, au centre de MSF baptisé «Amis de la Santé», 30% des 10’000 consultations ayant trait à la reproduction ou au sexe concernaient des adolescentes, souligne Lucia Brum, membre de l’ONG. La responsable regrette d’avoir dû lever le pied sur le travail de sensibilisation dans les écoles en raison de la pandémie. «C’est une nécessité de travailler sur le thème de la santé sexuelle et reproductive au niveau communautaire», souligne-t-elle.

Institutrice de 26 ans, Maria Caraballo confirme : «Depuis le temps que je donne des cours, j’ai vu passer pas mal de filles de 13-14 ans enceintes». «Pour beaucoup de parents, il est difficile de s’asseoir pour parler avec leurs enfants» de sujets sexuels, poursuit l’institutrice, qui est aussi patiente du centre. «Après avoir donné vie à mon premier enfant j’ai demandé les prix des contraceptifs dans une pharmacie. J’ai vu que je n’avais pas les moyens. Ou j’achetais le contraceptif ou je mangeais».

(AFP)