Prise de parole publique : Macky, la com’ offensive

 

 

Ses sorties sont de plus en plus suivies de vives polémiques. Le président de la République a adopté, depuis peu, une communication offensive, à la limite menaçante. Des déraillements dans le discours qui ne font qu’augmenter, selon des spécialistes de la com’, le mécontentement de certains Sénégalais à son égard.

Discours guerrier, ton menaçant, mots virulents… le Président Macky Sall s’illustre, ces derniers temps, par une communication assez offensive. Comme s’il avait bouffé du lion, le chef de l’Etat crache du feu. Des écarts de langage qui choquent et dérangent, et surtout irritent au plus haut point l’opinion. La dernière en date a eu pour cadre la cérémonie de remise des cahiers de doléances des syndicats, lors de la fête du Travail le 1er mai. Répondant à ceux qui déploraient la cherté de l’autoroute à péage, le Président Sall a été sec comme un couperet. «Si vous ne voulez pas payer, il y a une route alternative. On veille toujours à ce qu’il y ait une route pour ceux qui ne veulent pas prendre l’autoroute.» Des propos qui ont soulevé l’ire des usagers, faisant réagir leaders de l’opposition et acteurs de la société civile (Ousmane Sonko, Abdoul Mbaye, Guy Marius Sagna…). Avant cela, profitant du Conseil présidentiel pour l’insertion et l’emploi des jeunes, le chef de l’Etat a soldé ses comptes avec les auteurs des émeutes qui ont suivi l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko, du 3 au 8 mars, causant une dizaine de morts et d’importants dégâts matériels un peu partout dans le pays. «Vous croyez qu’il est possible comme ça dans un pays de se réveiller, tout détruire, tout abimer sans conséquence ? Quoique démocrates, il y a des limites que tout le monde doit respecter. Il ne faut pas qu’on croit un seul instant que l’Etat est faible. Ce serait une grave erreur.» Une sortie qui n’avait pas manqué de faire réagir encore une fois ses opposants. L’on se souvient encore de sa déclaration sur les vaccins anti-Covid-19, lorsqu’il menaçait de les offrir à d’autres pays, si les Sénégalais refusaient de se faire vacciner. Là également, les réactions de colère et de frustration ne se sont pas fait attendre. Toutes déplorant l’arrogance et le caractère hautain du chef de l’Etat. Autant de sorties polémiques ayant comme dénominateur commun une communication désastreuse. De quoi se demander ce qui fait parler Macky Sall, pourquoi un tel changement dans son discours ? Journaliste analyste politique, Ibrahima Bakhoum tente le décryptage. «D’aucuns diront que c’est parce qu’il est spontané, sauf que la station qui est la sienne, quand on est président de la République, on n’est pas comme n’importe qui. On s’adresse à des groupes, des communautés, à une Nation, à beaucoup de personnes de sensibilités différentes. L’obligation est faite au président de la République d’avoir un discours un peu plus consensuel, plus apaisé et plus calme. Sinon l’impression que cela peut laisser, c’est que c’est la réaction de quelqu’un qui a peur, mais peur de quoi ?»

«Quand on dirige un pays dans un contexte pareil, on ne peut pas laisser l’impression qu’on est sur la défensive»
Ibrahima Bakhoum s’en explique. Il rappelle l’adage selon lequel la meilleure façon de se défendre est d’attaquer. «Etre sur la défensive tout en étant offensif, on le verrait sous l’angle de quelqu’un qui redoute quelque chose, qu’est-ce qui va se passer, qu’est-ce qui va arriver, et cela peut faire perdre le calme et le discernement selon la personne.» Pour l’analyste, la spontanéité rend un très mauvais service à un président de la République, mais surtout dans un contexte comme celui du Sénégal à l’heure actuelle, avec une situation allant de délétère à relativement calme. «Quand on dirige un pays dans un contexte pareil, on ne peut laisser l’impression qu’on est sur la défensive.» Momar Thiam, Dr en communication et marketing politique, évoque trois raisons pour expliquer ce qu’il appelle les sorties de route du chef de l’Etat. «Soit le président estime qu’il faut ce type de langage, cette manière de parler pour que les Sénégalais comprennent et intègrent ce qu’il veut dire, ce qui, à mon avis, est une fausse route pour la simple raison que le Sénégal est pluriel, et on est dans une société qui est plutôt à vocation orale, donc il faut toujours chercher à policer la parole pour mieux se faire entendre. Soit c’est dans la nature du président, et comme on dit chassez le naturel, il revient au galop. Il peut ne pas se départir de cela parce qu’il est comme ça, mais face à sa fonction et son statut, il devrait jauger l’opinion et adoucir un peu son langage pour être réellement dans ce costume de rassembleur. Troisièmement c’est que le président est toujours dans la logique qu’il faut être direct dans ce que l’on dit aux Sénégalais, il faut être naturel et leur parler comme on est, et à mon sens, compte tenu du contexte dans lequel nous sommes, avec le lot de morts qui a fait suite aux émeutes du début du mois de mars, le Sénégal est un peu traumatisé et risque de ne pas l’entendre. Il y a un traumatisme ambiant qui fait qu’on attend beaucoup plus une communication apaisante de sa part qu’une communication offensive.»

«Il terrorise un peu l’opinion avec ce genre de sorties»
De plus, ajoute-t-il, si le président de la République a ce type de langage, son message risque d’être complètement brouillé. «A la sortie du Conseil présidentiel pour l’emploi des jeunes par exemple, une partie de la presse n’a retenu subsidiairement que ses mises en garde par rapport à l’autorité et la puissance publique, souligne-t-il. Il ne fait pas la part des choses entre ce qui relève, en termes de communication, d’une répartition de la parole publique, parce qu’il y a une parole publique qui appartient au ministre de l’Intérieur, une qui appartient au ministre de la Justice… A partir du moment où il a supprimé le poste de Premier ministre et se positionne en coordonnateur de l’action gouvernementale, il devrait avoir un langage médian, chercher toujours à arrondir les angles pour mieux se faire entendre. Parce qu’on n’a pas besoin d’avoir toujours un langage guerrier pour se faire comprendre.» Et selon Dr Thiam, qui fustige «un langage qui déraille et qui offusque l’opinion», en s’exprimant ainsi lors de ce Conseil présidentiel, le chef de l’Etat était dans son costume d’ancien ministre de l’Intérieur. «Je prends toujours l’exemple d’un ancien ministre de l’Intérieur français, Charles Pasqua qui, face à la vague terroriste en France en 1986, avait sorti cette phrase qui l’a suivi jusqu’à sa tombe : «je vais terroriser les terroristes.» Et j’ai l’impression que le président Sall terrorise un peu l’opinion sénégalaise avec ces sorties qui, à mon avis, risquent de confirmer l’image de ‘’Macky niangal’’ (renfrogné) que les gens ont de lui. S’il y ajoute ce type de communication assez offensive et avant-gardiste, les gens sont tentés de croire que ce ‘’Macky niangal’’ n’est pas seulement un effet de style, mais que c’est la réalité.» De l’avis du spécialiste en communication, le président gagnerait plus à mieux repositionner son langage et sa communication par rapport au contexte ambiant. «L’opinion attend beaucoup plus un président qui est dans l’action, qui fait des choses, plutôt que quelqu’un qui est dans l’action langagière, qui peut être mal entendue et mal interprétée, et devient contre productive.»

«Il a l’obligation d’être plus calme que tout le monde»
D’un autre côté, Ibrahima Bakhoum se demande si le Président Sall ne pense pas dans une langue nationale avant de s’exprimer en français, ou alors s’il n’est pas victime de l’effet micro ou caméra. «Dites en wolof, certaines expressions peuvent mieux passer, mais à la station qu’il occupe, on ne peut pas se permettre certaines choses, parce qu’en matière de syntaxe, la langue wolof a une manière de construire, différente de la langue française, donc si on fait une traduction mot à mot, on a des problèmes.» L’un dans l’autre, le chef de l’Etat devrait pouvoir être plus calme et rassurant”, estime-t-il. «S’il ne le fait pas les gens vont le retrouver sur son terrain, parce que tout le monde peut être dur et dire des mots qui font mal. Mais lui, il ne peut pas se mettre à ce niveau, il n’a pas à être comme les autres, il peut laisser cela à ses sous-fifres et ses seconds couteaux. Comme ça quand les gens auront fini de faire dans la violence, il vient calmer et se donner une posture au-dessus de la mêlée. A la fois par les actes posés et par la manière de communiquer. Il a l’obligation d’être plus calme que tout le monde, et de se dire que les émotions, les sentiments, exprimés dans une langue et rapportés dans une autre, ça peut poser problème.»

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