La République des idées: La foi sur un coup de foudre

 

 

La presse s’est fait écho, ces derniers jours, des affrontements à Djohine, dans la région de Fatick, entre les populations et les partisans d’un jeune marabout. D’après ce que m’a rapporté un journaliste sur place, entre autres griefs, il est question de conversion… Si ce qu’on m’en dit est vrai, cela soulève la double question de la fidélité et du mouvement en matière de religion. Ce concept (fidélité et mouvement) est au cœur de la réflexion de Souleymane Bachir Diagne sur l’islam, dans la droite ligne de la pensée du poète et philosophe indien Mohamed Iqbal.

Dans son autobiographie, «Le fagot de ma mémoire» (Philippe Rey, 2021, 160 p.), paru récemment, Diagne revient sur une histoire qu’il avait déjà racontée dans une contribution à un ouvrage collectif paru en 2012 et consacré à la notion de «foi» («Coming to Believe : The (Elusive) Time of Conversion», in Abdou Filali-Ansari et Aziz Esmail (dir.), Construction of Belief. Reflections on the Thought of Mohamed Arkoun, Londres, Saqi Books and Aga Khan University, 2012). Il s’agit de la conversion manquée à l’islam d’Alexis, un adolescent que ses parents, alors fonctionnaires à Ziguinchor, avaient engagé pour être un frère aîné pour le jeune Bachir et dont la tâche consistait, pour l’essentiel, à l’accompagner à vélo à l’école, coranique et française. Son prénom indiquait une conversion au christianisme, mais la réalité était que sa famille et lui-même étaient surtout restés ancrés dans la religion traditionnelle du terroir. Lorsque la rumeur courut qu’il s’était converti à l’islam (ce qui n’était pas encore le cas), Alexis était sommé de retourner immédiatement auprès de ses parents et de s’expliquer sur sa conduite. Au risque de se voir «jeter toutes sortes de sorts» (…)

Dans sa réflexion sur la philosophie de «cet étrange événement qu’est une conversion religieuse», Souleymane Bachir Diagne évoque l’histoire d’Alexis d’abord pour la signification qu’elle donnait à la foi «comme inquiétude et mouvement continu». À son avis, lorsque le Coran condamne ceux qui refusent son message en disant : «Nous avons trouvé nos pères fidèles à une voie. Sur leurs traces nous nous réglons» (43 : 23), cette voie n’est pas seulement inscrite dans les cosmologies préislamiques. «Ce qu’il faut en retenir est que la vraie fidélité est dans un mouvement continu pour sortir de la répétition et de l’imitation des pères : la religion est une réalité vivante, dynamique, et les croyants sont toujours dans le mouvement de s’y convertir», écrit le philosophe. Autrement dit, le croyant se convertit perpétuellement dans sa propre religion, en s’adaptant aux temps qui changent.

Pour ce qui est d’une religion à une autre, les raisons d’une conversion peuvent être variées. Il y en a qui ont basculé dans la foi sur un coup de foudre. Le jeune Alexis, avec la candeur et la naïveté de son âge, voyait dans l’islam un moyen de devenir lui aussi un «patron» comme ces fonctionnaires venus du Nord et dont c’était la religion. Dans notre société, on a tendance à regarder avec suspicion de telles conversions motivées par l’amour d’une femme ou par des raisons mercantiles. Bref, de douter de la sincérité de la foi des personnes qui se sont converties. On oublie souvent ce verset coranique qui dit : «Nulle contrainte en matière de religion». Parmi les nombreuses interprétations, il y a celle-ci : que si la foi est une expérience de l’intime et de l’invisible, entre l’individu et son Créateur, il est difficile, pour une tierce personne, d’en juger la sincérité.

À travers l’histoire d’Alexis, Souleymane Bachir Diagne montre que même dans ce qui présente toutes les apparences d’un calcul, il faut faire droit à ce que le Coran appelle la «ruse de Dieu», qui peut transformer les mauvaises ou les fausses raisons de se convertir en la faveur divine de la foi. «La conversion reste donc une opération mystérieuse qui ne peut pas se penser comme la conclusion nécessaire de prémisses établies. En ce sens, le croyant est celui qui est continuellement en train de l’accomplir».

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