On n’opère plus du cœur au Centre cardio-pédiatrique Cuomo de l’hôpital de Fann, la Covid-19 bloque la chirurgie cardiaque

 

Il n’y a plus d’opération du cœur au Centre cardio-pédiatrique Cuomo de l’hôpital de Fann. Les enfants meurent en attendant l’opération. Le dernier décès en date : celui du jeune Ndiawar Sène qui a rendu l’âme, mardi 4 mai dernier, après six mois d’attente. Faute d’opération !

Ndiawar Sène avait déboursé 3.500.000 FCFA pour subir une opération du cœur. Mais il ne sera jamais opéré. Il finit par mourir sans assistance après six mois d’attente. Plusieurs centaines d’enfants se trouvent dans une situation désespérante comme celle du cas Ndiawar. La situation est alarmante. En attente d’une opération depuis plusieurs mois, beaucoup d’enfants malades du cœur meurent avant d’être opérés. C’est à se demander si l’urgence est une priorité au Sénégal pour attendre des mois, voire une année pour se faire opérer du cœur.

Le centre Cuomo est à l’arrêt. Un cardiologue que nous avons joint pointe un management inopérant et un problème de fonctionnement. Pis, nous confie-t-il, il y a un problème de compétence et d’équipe. «C’est un sentiment partagé par les cardiologues. Le cas de Ndiawar est illustratif de l’amateurisme. S’il était opéré à temps, il n’allait pas mourir », nous dit-il, la mort dans l’âme. Pour lui, il s’agit d’un laxisme qui gangrène le secteur public. « Dans ce secteur, les gens peuvent travailler sans être payés parce qu’ils ne sont soumis à aucune d’obligation de résultats », déplore ce cardiologue qui opère dans le privé. « La cardiologie et la chirurgie cardiaque est d’abord une profession faite d’humanisme. C’est lié à la compétence. Les cardiologues n’envoient plus leurs patients à Fann car la machine  ne fonctionne pas.  Tous les patients qui sont sur la liste d’attente sont en sursis. Et la plupart d’entre eux meurent », alerte-t-il.

 « Les opérations cardiaques sont programmées par priorités cliniques. Pour les retards dans les interventions cardiaques, les délais constatés sont liés au manque de lits aux soins intensifs. Le ciblage des enfants à opérer est du ressort des cardiologues. Ils les repèrent selon la gravité et l’urgence », nous confie-t-on. C’est dire qu’à Cuomo, l’attente d’un rendez-vous pour se faire opérer achève bien des vies. Ce n’est pas tout. La Covid-19 a énormément impacté sur les opérations cardiaques à Fann. Ce, en raison des infections Covid. Il suffit qu’il y ait un cas d’infection, les opérations sont arrêtées.

30.000 enfants atteints de cardiopathies graves

Au Sénégal, on estime aujourd’hui à plus de 30.000 le nombre d’enfants atteints de cardiopathies graves: des cardiopathies congénitale et des cardiopathies acquises essentiellement dues au rhumatisme articulaire aigu. Chaque année, naissent entre 800 et 1000 enfants avec une cardiopathie congénitales et, faute de soins spécialisés, 80% d’entre eux meurent avant l’âge de 5 ans. A rappeler qu’en prélude à la cérémonie officielle d’ouverture du centre Cuomo en février 2018, le directeur de l’hôpital de Fann avait expliqué l’ampleur et la souffrance dont sont victimes ces enfants atteints de pathologies rhumatismales. Ce qui est plus grave, c’est le manque de soins appropriés qui nécessitaient leur évacuation à l’étranger et le coût onéreux de la prise en charge. Ce qui se traduisait par la mort de 80% d’entre eux avant leur cinquième anniversaire.  La prise en charge des enfants souffrant de pathologies rhumatismales et dont la prise en charge n’est pas encore comprise comme une priorité en Afrique. Alors que d’après les spécialistes ces pathologies font des ravages au sein des populations.

Pas moins de 10 chirurgiens cardiaques au Sénégal

Il y a un déficit en personnel qualifié et en centre médico-chirurgical de cardiologie équipé et fonctionnel au Sénégal. Il y a un centre de cardiologie pour 16 millions d’habitants au Sénégal. Et l’on ne peut parler de centre de chirurgie que l’on atteint 600 opérations normes par an selon les normes de l’Oms. Avec ce seul centre de chirurgie cardio-vasculaire adulte -pas fonctionnel à temps réel- et un seul service de chirurgie infantile, le secteur public sénégalais est incapable de répondre aux besoins de prise en charge. Selon un chirurgien cardiaque, une  opération nécessite huit personnes: 3 chirurgiens (dont 2 seniors et 1 interne), 1 anesthésiste, 3 infirmières (dont 1 anesthésiste, 1 instrumentiste et 1 dite «circulante») et encore 1 perfusionniste. Le Centre Cardio pédiatrique Cuomo  pour  les  opérations des malades  du cœur qui a été réalisé grâce au financement de la Fondation Cuomo, à hauteur de 5 milliards Cfa, est le seul en Afrique de l’Ouest censé faire les opérations chirurgicales. Depuis la création de ce centre en 2018, près de 200 enfants qui souffraient de cardiopathies graves dues aux angines négligées ou mal soignées, y ont été opérés.

Quand le Covid retarde les opérations du cœur

La Covid 19 a perturbé les opérations au centre ­cardio-pédiatrique Cuomo. Selon une source généralement bien informée, ce centre qui est dédié aux enfants âgés entre 0 et 16 ans a été utilisé pour accueillir les cas graves de Covid-19. La raison ? Ce centre dispose d’un matériel de dernière génération. Pendant ce temps, les malades du cœur souffrent.

Mais avec l’avènement de la pandémie de Covid 19, ce centre qui était dédié aux enfants semblent plutôt l’affaire des adultes. Selon notre interlocuteur dont nous tairons le nom, la chirurgie cardiaque est toujours un sujet à problème dans notre pays. C’est la raison pour laquelle, dit-il, nous ne cessons de dénoncer les faits malheureux que nous constations. Parmi ces faits, notre interlocuteur cite la fermeture de la chirurgie cardiaque pour adulte faute de matériels. « Ce centre n’est pas outillé. C’est pourquoi avec l’avènement de la Covid, on a amené les adultes au centre Cuomo où on devait opérer spécialement les enfants âgés entre 0 et 16 ans. Cependant, il faut préciser qu’il y’avait beaucoup de mort chez les adultes. C’est ainsi qu’ils les ont transféré au centre Cuomo mais à quel coût ? Ceux qui payaient 1.850.000 fcfa payaient par la suite 3.500.000 fcfa. Et ceux qui n’avaient pas les moyens sont finalement décédés », a déploré notre interlocuteur.

Notre source révèle aussi qu’avec l’avènement de la Covid, on avait arrêté les opérations à un moment donné. Pour limiter la propagation de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), il a décidé de réduire le nombre d’interventions chirurgicales non urgentes, ce qui a créé des retards en chirurgie. Parce que, renseigne-t-elle, le centre qui était dédié aux malades du cœur a été affecté aux cas graves de Covid 19. Ce qui, selon lui, a augmenté la liste de personnes en attente d’être opérées. « C’est un nombre incalculable qui attend actuellement. Nous avons presque 300 personnes sur la liste. Lorsque la personne est atteinte de polyvalvulopathie, elle ne doit pas vivre longtemps avec la maladie. En Europe, ils te diront que c’est risqué. C’est une opération d’urgence qu’on doit lui faire », a-t-il aussi dit. Par ailleurs, il constate que la distance qui sépare la chirurgie cardiaque et le centre Cuomo ne fait pas plus de 5 mètres. « Les personnes qui traitent au centre Cuomo ce sont ces mêmes personnes qui traitent la chirurgie cardiaque. Donc, s’il y’a une infection à la chirurgie cardiaque, on peut facilement transporter le virus au centre Cuomo », se désole-t-il. Avant de déplorer encore le fait qu’on mélange des enfants et des adultes. Pour régler ce problème, notre interlocuteur propose à ce que les centres de traitement dédié aux malades du cœur soient multipliés. « On peut créer un hôpital spécial à Diamniadio. Et on va l’appeler centre d’épidémiologie. Mais, ça fait un an que nous vivons avec la Covid et depuis lors aucun centre n’a été créé. Pis, la pandémie a créé des problèmes à l’hôpital Fann », martèle-t-il. Sur une question de savoir est-ce que les privés traitent les malades du cœur, il a répondu par l’affirmative. Mais, précise-t-il, le coût est élevé. « Les privés opèrent à  7.500.000 FCfa, alors qu’à Fann c’est à 3.500.000 FCfa et en France 13.000.000 », -t-il dit.

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