Une scène mythique d’hier à aujourd’hui : le Théâtre Sorano ravive sa splendeur

 

 

Le Théâtre Daniel Sorano a retrouvé sa splendeur d’antan, à la faveur d’un Spécial « Xawaré ». Sur le thème « Demb ak Tay » (Hier et Aujourd’hui), cette soirée festive et culturelle a réuni deux générations pour une symbiose qui a ravivé joies et nostalgie.

Dans un entretien qu’elle a accordé au «Soleil», il y a quelques semaines, la grande cantatrice Kiné Lam évoquait sa profonde nostalgie des scènes folkloriques du théâtre Daniel Sorano des années 1980. C’est donc tout naturellement qu’elle servait un adorable sourire de marmot et tirait ses meilleures cordes, samedi dernier, lors du « Spécial Xawaré ». Par cette mise en scène conçue par Omar Diaw Seck et distribuée par la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano, la chanteuse a trouvé l’occasion de replonger dans ce qui faisait l’aura du temple culturel. Un antre d’où elle avait démissionné en 1989, pour une carrière solo.

Dans son grand boubou doré et agrémenté de belles parures au même ton, son entrée a eu un bel effet électrique. Le public excité et effervescent répondait par ovations et cris stridents à ses puissantes mélopées. La diva chantait sur les mythiques airs du tube «Waïndé Borso Ndiaye », une épopée qui retrace l’histoire d’un héros injustement occis par le roi damel. Elle était précédée sur scène par Adja Daro Mbaye, Soda Mama Fall et Ndèye Mbaye «Djin ma Djin ma», avant d’être rejointe par Athia Wellé, Ma Awa Kouyaté et Fatou Sakho pour les airs hal pulaar et mandingue. Ce volet répondait au sujet du jour, «Demb ak Tay» (Hier et Aujourd’hui), pour marquer les deux époques de la musique traditionnelle. Ce premier chapitre est clos par Khady Simel Diouf, l’auteure du fabuleux tube «Ndeye Wassanam» qui a traversé et ému les âges durant six décennies. Ces «figures du passé» ont revisité les classiques de l’Ensemble lyrique traditionnel et prouvé encore de leur fraîcheur artistique.

Ce premier temps a fasciné un public qui, pour la soirée, a défait son masque de protection contre la Covid-19. La distanciation physique a également été narguée, la salle remplie à ras bord. Comme pour marquer un pont de bénédiction entre les deux âges, à l’introduction de la nouvelle génération de l’Ensemble lyrique traditionnel, Adja Khar Mbaye Madiaga était de la partie. L’assistance a manifesté son agréable surprise de la voir arriver sur scène. Un grand moment d’enthousiasme dans la salle qui ramène sur scène la doyenne des grandes divas. Khar Mbaye a décroché depuis belle lurette, mais tenait «à venir saluer cette belle initiative de conjuguer les époques du Théâtre Daniel Sorano et de rendre hommage à des anciennes pensionnaires emblématiques». Le public est également ravi de retrouver cette ambiance.

 

Le Sénégal et les époques en rythmes

«C’est formidable de retrouver toute cette ferveur après cette pandémie», s’est extasiée une jeune dame, enjouée devant la foule qui distribue des billets de banque à Maty Thiam Dogo, au pied de la scène. Une autre dame, plus âgée et entre d’autres congénères, est ébahie par les panégyries des comédiennes de la Troupe nationale dramatique. Des textes déclamés par Adjara Fall, Ndèye Fatou Cissé et Yacine Diouf, dans un beau phrasé, une poésie éloquente et une élégance sans pareille. La dame dit se souvenir du temps où Awa Sène Sarr et la «Sambou Toubab» (elle parle de Joséphine Zambo) faisaient cette prestation avec autant de brio. Cette phase déclamatoire faisait intermède aux prestations des actuels pensionnaires de l’Ensemble lyrique. Une nouvelle génération, quoiqu’avec des noms marquants (tels Maty Thiam Dogo, Ndèye Fatou Ndiaye, Mbaye Ndiaye, Arame Camara, etc.), qui a rassuré les puristes.

La liesse a surtout été accentuée par la composition hétéroclite et pluriethnique de l’Ensemble. Chaque communauté du Sénégal a vu ses rythmes résonner, sous la musique d’un orchestre brillant et polyvalent. Chaque morceau a pu prouver la composition pluriethnique de l’assistance, chaque groupe se rassemblant sous le podium au passage du chanteur ou de la chanteuse de sa communauté. Cela a créé une compétition drôle chez le public, chacun se targuant du statut de meilleure facette culturelle. Ces couleurs ont aussi été égayées par les danseurs du Ballet national «La Linguère», qui ont accompagné par le costume et la chorégraphie les morceaux de la soirée. À sa façon, le ballet a participé à l’esprit «Demb ak Tay». Le leader du groupe, Pape Moussa Cissokho, après des acrobaties de la scène aux gradins, atterrit devant sa mère, Oumy Sène «Miss Karaté». Cette dernière, ancienne pensionnaire du ballet, qui doit son sobriquet à son agilité, se lève à son tour pour gratifier de pas qui témoignent de sa maîtrise jamais perdue.

De grands moments de nostalgie qui ont charmé un public conquis. Ainsi se concrétise le vœu du nouveau Directeur de la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano de ressusciter le propre de ce temple de la culture sénégalaise.

Mamadou Oumar KAMARA / LESOLEIL.SN