[ ÉDITO ] Liban: aux sources jaillissantes de sa vitalité économique de tous les temps

 

 

Hanté par une guerre civile qui a traumatisé toute une génération, occupé militairement par la Syrie, régulièrement bombardé par Israël, à cause du Hezbollah, le Liban rebondit après chaque épreuve. « Après la crise financière qu’il traverse depuis 2019, il rebondira encore fois, inch’Allah », promet Mona rencontrée au détour d’une avenue de Beyrouth. Elle croit en la vitalité de l’économie de son pays. Sur quoi repose l’économie libanaise ? Sur trois piliers essentiellement ! Grande enquête à Beyrouth !

L’émotivité mobile prompte à l’aventure

Selon Michel Chiha (1891-1954) homme politique, philosophe et journaliste très cité dans les universités libanaises, cette étroite bande de terre bordée par la Méditerranée sur 240 km de côte est un « site éternel ». Bien sûr, Chiha parle du Liban. Le peuple qui l’habite, estimé à six millions au dernier recensement, est « un peuple élu » par Dieu, professe Chiha. Sa conviction, au relent nationaliste, confirme une vérité historique. Plusieurs fois meurtri par des guerres, dont celle la plus meurtrière, de 1975 à 1990, le pays du cèdre n’est jamais anéanti, en tout cas pas complètement. Du trou le plus profond, il est toujours sorti vivant, à chaque fois. A l’été 2006, dans sa guerre contre le Hezbollah, l’aviation israélienne cible des ponts et des routes au Sud-Liban. Le but est d’isoler le mouvement chiite de tout ravitaillement. L’opération israélienne dure au moins 30 jours. Tsahal laisse derrière elle plusieurs infrastructures endommagées. Elles sont vite reconstruites. Le Liban ne périra pas !

Après la double explosion du port le 4 août 2020, Beyrouth ressemble à une ville bombardée. Six mois après la tragédie, les quartiers touchés par la déflagration ont, presque entièrement, été reconstruits. Avec quel argent car le Liban est en crise politique, doublée d’une crise financière sans précédent, depuis octobre 2019 ? C’est-là tout le paradoxe libanais. « Le Liban construit et se reconstruit en grande partie avec l’argent de la diaspora », renseigne Chams, elle est agent bancaire. Cette information est confirmée par plusieurs de ses compatriotes. Chaque famille a un ou plusieurs membres qui vivent en France, aux États-Unis, au Canada, dans les pays du Golfe ou en Afrique. Dans ces pays d’accueil, ces immigrés libanais sont de véritables acteurs économiques. Certains sont simples commerçants. Ou ils sont dans le business dans l’import-export. C’est le cas des Libanais d’Afrique qui résident à Dakar, Abidjan, Lagos, Kinshasa. D’autres sont cadres supérieurs dans des entreprises mondialement reconnues. Carlos Ghosn, ancien patron de Nissan est un de leurs représentants. Ce franco-libanais a fait les grands titres de la presse internationale après son évasion d’une prison japonaise. Depuis, il vit au Liban, un pays dont il est citoyen. Ceci dit, les revenus de la diaspora est le premier pilier sur lequel repose l’économie libanaise. Car selon des informations recueillies à Beyrouth, chaque année, 5 à 7 milliards de dollars sont transférés dans les banques libanaises par les Libanais de l’étranger.

Des banques inondées par les dollars des pays arabes

Dans les années 1990, le Liban est considéré comme la Suisse du Proche-Orient. Sur le plan politique, c’est une démocratie. Sa politique économique est le libéralisme. C’est durant ces années que plusieurs pays arabes se découvrent producteurs de pétrole. Le Liban ne l’est pas encore. Mais il est l’un des rares dans la région à avoir un système bancaire développé. Ses banques sont inondées par les dollars des pays pétroliers du Golfe. Le secret bancaire est respecté, favorisant ainsi la circulation des pétrodollars. Les bénéfices liés à ces transactions enrichissent le Liban qui connaît alors son âge d’or. C’est le deuxième pilier de sa vitalité économique. Mais c’est aussi à partir de ces années, où le lait et le miel coulent à flot, que les mauvaises habitudes, telles que la corruption ont largement été pratiquées, accuse la nouvelle génération des Libanais. Celle-là même qui a déclenchée en 2019 la Thaoura-Révolution- et qui scandait partout : كلّن يعني كلّن (en arabe libanais, Kellon ya’ani kellon. Ce qui signifie, tous, c’est tous !). Le message s’adressait à tous les acteurs politiques jugés « corrompus » qui ne chercheraient qu’à « s’enrichir ». Ils doivent tous quitter la vie politique. Peine perdue ! La Thaoura n’aura pas servi à grand-chose. Les principaux acteurs politiques sont toujours aux du pays.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres… Beyrouth prend le relai de Haïfa

Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit l’adage. Ouvert sur la Méditerranée, Beyrouth a une position stratégique dans la région du Proche-Orient. En 1948, toute la région est secouée par la question des réfugiés palestiniens. L’État hébreu vient de naître. Des Palestiniens sont contraints de quitter leurs territoires. Israël contrôle le port de Haïfa sur la Méditerranée. C’est par ce port que des paquebots commerciaux en prévenance des pays arabes transitent pour l’Occident et le reste du monde. Le port de Haïfa étant désormais contrôlé par Israël, le Liban et ses voisins se replient sur le port de Beyrouth qui devient incontournable. Le pays du cèdre tire les bénéfices économiques de cette réorganisation des voies maritimes. Les recettes du port de Beyrouth constituent le troisième pilier de la l’économie du Liban. Il faut aussi ceci : après la naissance de l’État d’Israël, les dirigeants arabes se sentant coupable de n’avoir pas suffisamment soutenu les Palestiniens tentent de se racheter. Ils soutiennent les fédayins qui, depuis le Liban, organisent la résistance contre Israël. Des millions de dollars sont injectés et virés dans des banques libanaises. En 1982, Yasser Arafat et l’OLP sont contraints à l’exiler à Tunis. Selon des sources au fait de ce pan de l’histoire du Proche-Orient complexe et compliqué, cette aide financière des alliés arabes de la cause palestinienne reste dans des banques libanaises.

D’abord, un état d’esprit ouvert à l’aventure, ensuite une politique bancaire unique en son genre dans toute la région du Proche-Orient, et enfin, une position géographique stratégique, ont fait du Liban un pays prospère sur le plan économique, et ce, malgré les différentes tragédies qu’il a vécues depuis la proclamation de sa République moderne, en 1943. Notons également que dans chaque région du pays, on n’y cultive, soit des olives, des oranges, (Liban-Sud), soit des pommes et des raisins (dans la Békaa). Enfin, le pays du cèdre revendique le statut de pays touristique. Il dispose de plusieurs sites historiques. Avant la pandémie de Covid-19 le secteur du tourisme générait des recettes non négligeables.

Selon la légende, Adam et Ève étaient libanais. Ils vivaient de la cueillette des pommes. Et pourtant ils se croyaient au paradis. Le peuple libanais vit le même paradoxe lui qui constate la chute libre de son pays, à cause de la mauvaise gouvernance et dont la corruption est un des caractéristiques. Mais malgré tout, ce peuple révolté reste pragmatique, toujours fidèle à la philosophie résumée dans ce dicton : la première richesse du Liban sont les Libanais. Quelle que soit les épreuves, le pays du cèdre survivra, promet-on à Beyrouth, où ils sont nombreux ceux qui croient que le Liban est un « site éternel » et que les Libanais, eux-mêmes, sont « un peuple élu ».

Pierre BOUBANE, à Beyrouth / Tambacounda.info /