[Edito] Pour l’intégrité du journalisme !

 

 

L’intégrité a toujours été son credo dans la pratique de sa carrière professionnelle. Le journaliste franco-israélien, Charles Enderlin s’est bien gardé de se compromettre avec les acteurs du conflit israélo-palestinien qu’il a couvert comme correspondant permanent pour France 2, à Jérusalem de 1988 à 2015. Même si ses détracteurs lui reprochent des prises de parties tendancieuses en faveur de telle ou telle partie de ce conflit de terre qui oppose Israéliens et Palestiniens, depuis le lendemain de la proclamation de l’État hébreu en 1948. Le journaliste se défend. Dans son dernier livre De notre correspondant à Jérusalem, le journalisme comme identité, Don Quichotte, Paris 2021, 343 p., Enderlin revendique la neutralité dans le traitement de l’information liée aux soubresauts de ce conflit historique. « J’ai toujours accueilli avec méfiance les informations provenant des sources officielles », témoigne-t-il (p. 32).

Dès ses premières années de journaliste-reporter – d’abord – à la radio publique israélienne, Enderlin découvre qu’une partie des auditeurs veut qu’il fasse preuve de « patriotisme badigeonné de nationalisme » : « En tant que Juif et Israélien, je ne devais pas diffuser de critique d’Israël, et, surtout, ne pas utiliser le vocabulaire d’un Français républicain. Cela ne me convenait pas. Mentalement, j’ai adopté ma quatrième identité : journaliste » (p. 16). Le choix est fait et assumé. La quatrième identité est adoptée sans négliger les trois premières qui, à des moments précis, le journaliste s’en servira dans l’exercice de son métier. Car, en effet, si « mentalement » il opte pour le journalisme indépendant soucieux de l’éthique et de la déontologie de sa profession, parfois, le terrain dicte le comportement à afficher. Enderlin fera usage de toutes ses identités dans une harmonie quasiment parfaite. C’est le génie du professionnel qui sait s’allier avec ses interlocuteurs sans jamais s’aligner derrière eux.

Avait-il en mémoire cette phrase d’un dirigeant français s’adressant aux Américains. Admirons la formule que nous reformulons à notre manière : certes nous sommes des alliés, mais nous ne serons jamais des alignés. Le dirigeant français voulait signifier aux Américains que la France sera toujours une alliée des Américains. Mais elle gardera toujours son indépendance, sa liberté d’expression et la possibilité d’agir parfois contre la position de l’allié américain sur certaines questions de politiques internationales. Tel semble avoir été le comportement d’Enderlin avec les acteurs du conflit israélo-palestinien. Parfois il s’allie lorsqu’il s’agit de chercher et de dire la vérité. Mais il refuse de s’aligner derrière toute idéologique, notamment communautariste. Le journaliste développe en lui les valeurs d’indépendance professionnelle, de diplomatie avec ses interlocuteurs et de réalisme de terrain, s’adaptant ainsi aux événements, aux acteurs et à sa hiérarchie qui n’a pas toujours été bienveillante.

Par moment, la rédaction de France 2 s’est montrée soupçonneuse à son égard. Un Juif peut-il couvrir le conflit israélo-palestinien sans prise de partie ? « Faire mon travail de journaliste tout en assumant mon identité de Juif, d’Israélien et de Français ne m’avait jamais posé de problème », rassure-t-il dans son livre (p. 67). Et pourtant il se rappelle un épisode où la rédaction de France 2 ne veut pas le suivre sur un sujet qu’il a envoyé pour diffusion : « Le rédacteur en chef de service m’appelle et m’annonce qu’il ne diffusera pas cette propagande israélienne. Pour lui, les Palestiniens ne peuvent pas avoir un tel discours extrémiste. L’intégrisme islamique est – encore – incompréhensible pour la rédaction » (p. 73). Le correspondant de France 2 à Jérusalem enregistre un échec. Il en enregistrera pleins d’autres. Durant sa longue et riche carrière, à tort ou à raison, il se sent attaqué par « une partie de la presse communautaire juive française » qui mène une campagne de dénigrement de sa personne auprès des patrons de médias parisiens pour étouffer sa voix. Ainsi, bien qu’il soit Juif et citoyen israélien, Enderlin se dit classé parmi les « anti-israéliens » (p. 73).  Nul n’est prophète parmi les siens. Il fait l’amère expérience d’un autre Juif, Jésus qui, le premier à son époque, tire cette conclusion: nul n’est prophète chez lui.

Les mots de Jean Jaurès nourrit l’engagement professionnel du reporter longtemps basé à Jérusalem: « Le courage, c’est de chercher la vérité, et de la dire : c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques » (p. 343). Le journaliste aux quatre identités : Français, Juif, Israélien et Journaliste ne fait pas du journalisme militant en faveur de la communauté juive dont lui-même est membre. Pour lui, l’intégrité a un sens.

Nous nous permettons une interrogation personnelle à ce propos: est-il possible d’être un journaliste intègre ? A lire Enderlin la réponse est oui. Une fois indépendant, on peut l’être. Car indépendance et intégrité sont deux conduites liées et corollaires. L’intégrité a un rapport essentiel avec la suffisance matérielle. La condition humaine est un combat qui altère la plénitude du journaliste, son bonheur et son ataraxie. Un journaliste manque d’intégrité quand il néglige son travail, et ne déploie pas un effort pour rechercher la vérité. Certes, le journaliste ne peut pas toujours garantir la «vérité», mais le fait de bien comprendre les faits est le principe cardinal du journalisme. Ceci dit, il doit toujours viser l’exactitude pour donner tous les faits pertinents dont il dispose et s’assure qu’ils ont été vérifiés.

Par respect pour son public, le journaliste prône l’intégrité au nom d’une voix indépendante qui n’agit pas formellement ou informellement, au nom d’intérêts particuliers, qu’ils soient politiques, corporatifs ou culturels. Aussi, est-il admis que la plupart des évènements ont au moins deux aspects. Et bien qu’il n’y ait aucune obligation de présenter tous les aspects de chaque histoire, les histoires doivent être équilibrées et ajouter du contexte. Au contexte, il faut ajouter l’objectivité. Même si celle-ci n’est pas toujours possible et n’est pas toujours souhaitable (face par exemple à la brutalité ou à l’inhumanité), mais des rapports impartiaux renforcent la confiance. L’intégrité impliquant la responsabilité, un signe certain de professionnalisme du journaliste est la capacité d’être responsable. Lorsque le journaliste commet des erreurs, il doit les corriger et exprimer des regrets. Il doit éviter de perdre la foi de son public. Sinon, il court le risque de l’aliéner vers des moyens d’information moins fiables.

Au demeurant, l’objectif du journaliste est de fournir des informations et non d’influencer les résultats. Il est dès lors bien possible d’être un journaliste bon, vrai et juste en ayant comme étendard la neutralité, l’objectivité et l’intégrité. Voici autant d’enseignements que le lecteur du livre d’Enderlin peut retenir. Des enseignements qui peuvent inspirer la nouvelle génération de journalistes, notamment ceux qui, comme Charles Enderlin, n’ont pas été formatés dans des écoles de journalisme.

Pierre BOUBANE /