Lettre ouverte à Sidki Kaba : « Nous vous croyions homme de l’Histoire, et non d’un ministère. » (Mohamed TAMEGA )

 

Vos amis vous disent franc. Alors, permettez-nous de vous dire ce que nous avons à vous dire sans détour, en hommage à votre propre sens de la franchise : le retrait de votre candidature est la pire des décisions politiques qui soient infligées à la majorité des populations de Tambacounda depuis plusieurs décennies.

Votre retrait est une sorte de trahison, mais tout de même une pure démission face aux espoirs en vous placés de milliers d’hommes et de femmes aspirant à un bonheur collectif. C’est de votre part un violent abandon de ces populations, laissées orphelines de leur compagnon de route que vous êtes, depuis votre retour au pays, sur les chemins de quête d’émancipations. C’en est un, et Dieu sait que nous n’exagérons pas, en ceci qu’il fait partir en fumée le plus vieil espoir qu’elles ont nourri depuis tant d’années de dénuement et d’isolement sur la scène nationale. Cet espoir, c’est celui de voir aux responsabilités une figure politique qui fasse une avec leurs rêves, leurs aspirations et leurs clameurs légitimes. Celui de construire leur vivre-ensemble avec un acteur politique plein d’intelligence réelle, pas feinte, des milles et une subtilités de leurs parcours de vie et de leurs histoires collectifs ; un homme ou une femme qui sache, les écouter, leur parler, qui sache et veuille les respecter tout court.

Vous le savez, Sidiki Kaba, les manifestations qui ont suivi l’annonce du retrait de votre
candidature disent avec toute la vérité et la force propres aux mouvements de protestation spontanée l’insupportable douleur, l’incommensurable déception, l’insoutenable frustration et l’insurmontable incompréhension que ressent toute population, consciente de ses responsabilités et des enjeux vitaux d’une élection, quand le choix des candidats lui est imposé du dehors qui doivent prendre des décisions politiques concernant sa vie.

Car, on le sait, et il faut le lui rappeler, Macky Sall, qui a désigné les têtes des listes pour la commune et le département de Tambacounda, ne pouvant se prévaloir de ses fonctions de président de la république dans une telle initiative, l’a fait en tant que chef de L’APR. À ce titre, il n’était pas dans son rôle. C’est du moins une fâcheuse ingérence politicienne, sinon un réflexe révolu de verticalité politique condescendante presque inédite. Cette pratique d’un autre temps fait partie des causes du discrédit qui frappe la politique, les acteurs qui l’incarnent, et alimente la désertion des urnes par les électeurs.

Homme de droit, vous comprenez bien, cher Sidiki Kaba, que le rapport de fonction inverse du droit est le devoir : nos populations ont le droit de voir le bout du tunnel. Elles y tiennent. Leur enthousiasme et leur engouement manifestes pour votre candidature, retirée par le fait du prince, attestent qu’elles trouvent chez vous la vision et la volonté qui correspondent à leurs aspirations. De là se constitue pour vous un devoir, puisque vous êtes dépositaire de cet espoir, et non un messie, d’y répondre.

Ce devoir vous assigne clairement dans un endroit précis de ce moment politique et vous
y attribue des responsabilités, dont la principale est de porter, y compris à rebours de l’arbitraire de Macky Sall, si c’en est la condition nécessaire, le projet politique bien compris de ces hommes et femmes qui n’en peuvent plus de subir l’insouciance cruelle d’un homme d’affaires, qui ne veulent pas devenir la proie de l’incorrigible ardeur carriériste d’un aventurier et entrepreneur politique.

Ce devoir exige de vous que vous reveniez sur votre retrait et retourniez à l’ouvrage en tant que candidat et tête de liste, contre vents et marées, en sachant bien sûr que le cas échéant vous ne serez pas seul et sans doute nous l’emporterons tous ensemble.

Tendez l’oreille, regardez bien dans tous ces yeux qui se tournent vers vous. N’entendez-vous pas ce bruit de fond dans les consciences, le bruissement de cette force, de ce désir, de cette utopie, cette grande idée qui a porté tous les changements significatifs dans le monde, cette idée simple mais irrésistible que le temps est venu d’un vent nouveau; N’avez -vous pas entendu, dès les premiers mois de votre rencontre avec la population de Tambacounda, depuis votre entrée sur la scène de la vie politique locale, le fracas de toutes ces torpeurs s’écroulant, de toutes ces chaînes brisées qui tenaient et écrasaient tous ces jeunes, toutes ces femmes, ces personnes âgées, ces étudiants aujourd’hui tous mobilisés pour votre candidature ? Ne voyez-vous pas leur tristesse inconsolable, leur indignation, et surtout leur détermination aux allures de ” C’est maintenant ou jamais”, prêts à faire triompher leurs idées, leurs rêves, à donner chair et vie à leur projet de société ? Ils comptent sur vous, et vous seul, pour y arriver. Sur personne d’autre.

Aux yeux de ces femmes et de ces hommes, qui ont pris d’assaut votre domicile, pour vous dire leur désaccord inaltérable avec votre décision de vous retirer, vous obliger de revenir à la tâche historique, sachez-le bien, ces élections à venir apparaissent comme la dernière étape à franchir avant la délivrance. Ils ont bien conscience du mépris et de l’humiliation qui font semblant de s’occuper de leur vie à la tête de la commune depuis six ans. Ils veulent en être débarrassés. Mais surtout, ils scrutent le nouvel horizon dont vous avez déplié les grands traits avec eux au cours de ces nombreuses conversations et réunions politiques : l’avènement d’une nouvelle ère politique au niveau local, c’est-à-dire une manière de faire, un cadre d’agir et un faire ensemble où tous seront au soin les uns des autres; où enfin la politique redeviendra ce qu’elle est par essence, une puissance publique au service des plus fragiles, des plus faibles, des plus pauvres, au service du commun.

Nous le savons, en tant que militant des droits de l’homme et avocat , vous avez consacré votre vie professionnelle et militante à défendre ceux que l’histoire a brutalisés, les minorités qu’elle a opprimées, à travers le monde.

Et vous voici aujourd’hui en présence d’une rature politique majeure, dans votre ville natale, qui réduit à néant des espoirs, fait déjà s’affaisser l’intensité de vies entières et laissera certainement d’affligeantes traces pour l’éternité. Quand vous scandiez sur les tribunes du monde les principes universels de l’humanisme radical, joli nom de vos convictions et de votre réputation, vous extirpiez des échardes de la chair de l’existence de personnes et de groupes d’êtres humains en souffrance.

Comment ne pas vous dire que nous en sommes fiers pour vous et pour tous ceux à qui vos engagements ont rendu leur dignité !

Allez-vous entendre cette fois-ci un nouvel appel au secours, tout près de vous mais tout aussi universel, celui des vies déjà abîmées de populations, et de nouveau soumises de force au spectacle apéritif des vautours avant l’interminable festin politicien qui les achèvera ?

Se nouant par nature dans la rupture avec l’ordre injuste des choses et dans la prévention des spectres redoutables et périlleux, l’histoire est aujourd’hui du côté de ces pauvres populations qui réclament votre candidature pour leur éviter le règne de ceux qui les privent d’émancipation. Ce mouvement historique commencera pour vous par la reprise et la poursuite de votre candidature, et non par la continuité avec Macky Sall et au ministère, du moins tant qu’il ne sera pas revenu sur sa décision mortifère.

 

Mohamed TAMEGA