ÉDITORIAL – PAR MAMADOU NDIAYE: DEGEL

 

La diplomatie internationale s’anime. Mieux, elle s’active. Et une perspective de dégel se dessine. Déjà Américains et Chinois se parlent. Au sommet. Par la magie d’Internet, les deux dirigeants, Joe Biden et Xi Ji Ping, redécouvrent, par le biais d’un sommet virtuel, les vertus du dialogue pour davantage se rapprocher sans perdre la face.

Ils se focalisent sur les principaux sujets : le commerce, le climat, les nouvelles technologies et les droits humains. Oui les droits humains ! Car Pékin, autant que Washington, considère la question comme cruciale puisqu’elle conditionne l’acceptation du leadership chinois sur la scène internationale. Ce dégel qui s’observe traduit une lecture nouvelle de la marche du monde plus crispé qu’il ne l’a jamais été, même au plus fort de la guerre froide ou de la « paix chaude » au sortir des années de guerres mondiales.

L’Europe ne ferme plus les portes à la Turquie. Celle-ci, pour rompre son isolement, s’en ouvre à la Russie prompte à « voler au secours » du nouvel ami qui « se noie ». Ankara et Moscou travaillent ainsi d’arrache-pied pour consolider un axe censé contenir les assauts de l’Occident plus craintif qu’actif. La crise des migrants, aux frontières de la Biélorussie et de la Pologne (membre de l’UE) empoisonne les relations déjà crispantes voire tendues entre Bruxelles et Minsk.

Pour rappel, l’élection présidentielle en Biélorussie en 2020 fut considérée par l’Europe comme « calamiteuse » au point de contester les résultats qui donnaient Alexandre Loukachenko vainqueur. Ce dernier digère mal le déni européen. Il supporte d’autant moins l’affront qu’il est perçu comme le dernier « dictateur d’Europe ».

Pour d’aucuns, l’afflux de migrants venant du Proche et du Moyen-Orient se transforme en une crise humanitaire accentuée aujourd’hui par le grand froid, donc l’hiver, qui s’abat sur cette région orientale de l’Europe. Le HCR est appelé à la rescousse pour s’interposer entre les puissances antagonistes. Un espoir de décrispation s’enclenche.

Face au drame, des voix s’élèvent, exigeant de l’Union européenne l’accueil, à titre humanitaire, de ces exilés. Une bonne partie de l’opinion internationale indexe Loukachenko comme responsable, accusé de vouloir prendre sa revanche sur l’Europe restée indifférente à son sort.

Dans cette crise, et sur d’autres fronts du large spectre d’influence de la Russie, Poutine manœuvre. Il actionne des leviers puissants : l’Ukraine avec des troupes russes massées le long de leurs frontières communes, le gaz, le pétrole et le tracé du pipe-line devant alimenter l’Europe elle-même. En usant de ces moyens de pression, le « patron » de Moscou devient incontournable.

Les dirigeants européens ne peuvent l’ignorer. Ils s’accommodent du « fait Poutine » qui est une « réalité tangible » selon des analystes. En arrière-plan de ce « jeu à somme nulle » se cache une volonté européenne de décrisper la crise malienne avec la nouvelle donne : Wagner. Une société paramilitaire russe spécialisée dans la vente d’armes de … « secondes mains » est soupçonnée d’être le « bras séculier » de Poutine en Afrique. Cela horripile Paris qui y voit la présence inopinée du « loup dans la bergerie ».

Coup de gueule, méprises, dénonciations pleuvent sur les dirigeants de la junte malienne accusée de vouloir saper le moral des troupes françaises en mission « périlleuse » sur le sol du Mali. Le ton monte. Inacceptable, selon le Président Emmanuel Macron. A son tour, l’opinion africaine juge inacceptable l’arrogance du Chef de l’Etat français. Le dégel viendrait-il de ce coup de fil de Macron à Poutine au sujet des migrants orientaux ?

Le pas est vite franchi dès lors que le sujet est apprécié à l’aune de la géostratégie mondiale. Celle se redéploie avec une perception plus nette des rapports de forces qui se déplacent de plus en plus sur des enjeux économiques et financiers et de moins en moins sur le déploiement des armes, fussent-elles dissuasives.

La soft power entre désormais en ligne de compte. L’influence s’apprécie par le comportement, la conduite et l’appropriation. Et non par un impressionnant déploiement d’armes sophistiquées. Cela est passé de mode. Même si la puissance se mesure encore et toujours par l’arsenal militaire détenu.

La « guerre des valeurs » entre en action : rude compétition sur les avancées technologiques, âpre bataille de gestions de données (un enjeu majeur), manipulation des prix (flambée, pénurie ou spéculation). Cette réalité est pour tout le monde.

Depuis l’éclatement du Covid-19, les Etats se soucient de renforcer leurs stocks de sécurité en tout : produits industriels, céréales, matières premières, entre autres. Il s’agit de se mettre à l’abri de tout retournement de conjoncture. Or à cette fin, l’Afrique regorge de richesses convoitées par les grandes puissances. Les Etats-Unis ne s’en cachent plus. Washington intègre le continent dans sa géostratégie.

Sa diplomatie ne change certes pas sa doctrine, fondamentalement. Mais elle tient compte des forces d’influence à l’échelle mondiale. Si bien que l’Amérique, pour charmer l’Afrique et la séduire, multiplie les actions de séduction : financement d’opérations de sauvetage de populations en proie aux famines, déploiement de troupes d’élite sur certains théâtres d’opération, appui logistique aux états-majors militaires en guerre contre le jihadisme et le terrorisme.

C’est dans ce cadre que s’apprécie la tournée du Secrétaire d’Etat Us, Anthony Blinken en Afrique. Il se rend au Kenyz, au Nigeria et au Sénégal. Ce choix n’est guère fortuit. Il obéit plutôt à une lecture lucide. Elle serait même audacieuse. Car les dynamiques en cours sur le continent dépassent des considérations sentimentales. En se rendant dans deux pays anglophones et un autre francophone, Anthony Blinken abat des cartes intéressantes.

Nairobi et Abuja comptent au nombre des alliés naturels des Etats-Unis. Chacun de ces deux pays a des atouts-maîtres : puissance soft power pour l’un et géant économique pour l’autre. Qui plus est, les deux Etats entretiennent de cordiales relations dont se félicite Washington pour davantage miser sur les forces montantes.

Le Sénégal jouit, pour sa part, d’une réputation établie, notamment sa stabilité politique qui est un levier d’influence. A cela s’ajoute une classe dirigeante jugée « sereine et lucide » face aux périls qui environnent le pays. L’Amérique vante ces mérites sénégalais. Même son parcours démocratique enchante.

Selon des médias américains, les libertés existent et fleurissent davantage, les débats contradictoires ont cours, les élections se tiennent malgré des reports répétitifs, les résultats sont proprement proclamés tout en intégrant des recours dans des limites encadrées par la loi électorale en vigueur.

Ce crédit accordé à Dakar intervient dans un contexte de turbulences sous régionales. En janvier prochain, la présidence de l’Union africaine va échoir au Président Macky à la suite du Congolais Félix Tschisekedi.

De larges opportunités de rendre visibles les causes africaines s’offrent à lui. Au creux du cycle de crises, l’Afrique doit remonter la pente avec de nouvelles aspirations qui transcendent les clivages classiques. Au président sénégalais d’impulser le rythme.

emedia.sn /