Éditorial – Par Mamadou Ndiaye: LE VERTIGE MÉDIATIQUE

 

En Afrique, l’univers de la presse paraît impitoyable. Le pouvoir politique l’ignore. Les annonceurs hésitent. L’opinion la soupçonne de connivence avec plusieurs centres d’intérêts. Autant dire que la presse a mauvaise presse par les temps qui courent. En y ajoutant une saturation du marché, le secteur perd sa vitalité, en un mot sa force.

Coup sur coup, ce manque de tonicité entraîne une érosion des audiences, les publics se détournent et infligent aux médias la pire des sanctions : la désaffection. Un malheur n’arrivant jamais seul, les pouvoirs s’en méfient. Ils accordent très peu de crédit à la presse. Pour preuve, les déclarations importantes à impact national ou régional sont faites sur des chaînes étrangères qui, en les relayant, cristallisent les attentions.

La récente sortie du Président Macky Sall sur France 24 et Rfi relève de cet exercice insolite de vouloir s’adresser à ses concitoyens par médias extérieurs interposés. A cet égard, elle est riche d’enseignement. Face aux deux journalistes de l’audiovisuel public français, le chef de l’Etat décortique sa politique intérieure, dissèque sa stratégie de gouvernance, se prononce sur des options fondamentales et annonce des décisions majeures en vue au sortir des élections locales de janvier 2022.

En filigrane de cet entretien aux « allures domestiques » se faufile une intention cachée de préférer la presse française. Dans les temps anciens, les chefs d’Etat s’évertuaient à ne pas évoquer la politique nationale une fois à l’étranger. Ils se retenaient, par élégance républicaine. En d’autres termes, il s’agissait pour eux d’un code d’honneur auquel ils étaient attachés et qu’aucun n’a voulu transgresser.

De nos jours, les habiletés contemporaines consentent à inviter la presse étrangère dans les Palais nationaux pour disserter sur tous les sujets : droits humains, remaniements, dissensions, oppositions, élections, codes électoraux, politique, économie, diplomatie, entre autres. Cette subtile inversion des pratiques tend à se répandre. Elle évite ainsi le reproche facile de parler de la politique intérieure à l’extérieur. Pour autant, rien ne change puisque les médias invités confisquent le débat et privent la presse africaine de sources d’information.

Ils sont légion à s’y adonner comme s’ils s’étaient passés la consigne. Feu Idriss Déby du Tchad en usait au point d’en abuser. Kabila, Kaboré, Faure, Condé et la kyrielle de dirigeants maliens se plaisaient à plastronner sous les lambris des studios de circonstance. Ouattara et Macky Sall, et le nouveau venu sur la scène, Bazoum du Niger, ne sont pas en reste. Ils adorent la presse étrangère. Ils sont à « tu et à toi » avec les journalistes dépêchés auprès d’eux.

Ces derniers aussi tirent avantage de leur proximité avec les dignitaires. Doit-on leur en vouloir ? Sont-ils en phase avec les opinions publiques africaines ? Au micro de Rfi et de France 24, le président sénégalais révèle que « dans sa tête » le prochain Premier Ministre est tout trouvé avec le retour du poste dans l’architecture institutionnelle après une suppression de plus deux ans. Quel média autre que national aurait dû avoir la primeur ? Pourquoi cette préférence « extérieure » continue-t-elle de prévaloir ? Qu’est-ce qui se trame dans la tête de nos dirigeants ?

Il ne viendrait jamais à Macron l’idée d’exposer sa politique intérieure via des journalistes américains ou anglais ? Cela lui paraîtrait incongru puisque la finalité est de collecter les faveurs des concitoyens. Alors pourquoi se montrer si prompt à accueillir des médias dont les priorités et les grilles de lectures jurent d’avec les préoccupations des Africains ?

Le président Macky Sall pouvait bien mettre la force du verbe au service de la pédagogie pour partager ses options de gouvernance. Mieux, alors qu’il s’apprête à prendre la présidence de l’Union Africaine (UA), l’occasion était bonne pour lui de convier une poignée de journalistes chevronnés du continent avec lesquels il échangerait sur la destinée de l’Afrique. Les sujets et les thématiques ne manquent Cela aurait plus d’écho, de charme et de spontanéité.

Dans un débat de bonne facture, les chefs d’Etat d’Afrique peuvent prôner un esprit pratique, sorte de dénominateur commun pour amorcer une phase de réconciliation avec les opinions africaines. Celles-ci mûrissent plus vite, contrairement à la croyance très répandue. Elles sont plus aguerries et mieux informées pour démêler le langage des éléments de langage. Même sous cet angle, les dirigeants africains sont plus réceptifs aux conseils des communicants européens qu’aux professionnels africains. Un gâchis. Et une perte d’autonomie aggravée par l’arrivée massive des médias européens.

Le prochain président en exercice de l’UA doit composer avec les forces montantes du continent au sein desquelles se trouvent des personnalités susceptibles d’influencer le cours des événements majeurs. Entendons-nous bien : loin de nous l’idée de frapper d’ostracisme les médias européens ou américains. Ramenée à des proportions strictement professionnelles, la concurrence entre médias est du meilleur effet pour les divers publics ciblés. Personne n’ignore cependant que les armes sont inégales.

La presse africaine, toutes sensibilités confondues, peine à accéder aux dirigeants qui s’affichent pourtant de manière ostensible avec les confrères occidentaux dans les grandes rencontres internationales. Avec eux ils se lâchent, font fuiter des informations confidentielles, relevant plutôt des huis clos. Ces journalistes obtiennent tout de leurs « amis » présidents quand les représentants de la presse africaine font le pied de grue au pied des hôtels dans l’espoir de glaner d’hypothétiques informations. L’absence de contacts fréquents nuit à la crédibilité de la démocratie souvent chahutée par les pesanteurs de la société.

S’il faut beaucoup d’efforts de vérité pour gagner une confiance, il suffit d’un mensonge pour la perdre. La quête d’entente cordiale est à ce prix. C’est dire que les Africains observent la scène politique panafricaine pour déceler les vecteurs d’unité et les facteurs de cohésion. En revanche, la conjoncture qui sévit fait craindre un engrenage d’inflation, qui se met progressivement en place. Les gouvernants sont avertis. Tant redouté, le choc de l’inflation, s’il venait à se réaliser, prendrait une ampleur inattendue.

Le changement d’époque introduit un tout autre scénario marqué par des impatiences difficiles à satisfaire : les gouvernants doivent parler aux gouvernés. Sans intermédiaires. Or les médias extérieurs qui servent de relais d’opinion s’apprécient comme des forces d’injonction au détriment de la presse africaine réduite à amplifier l’écho.

Et pourtant la conquête des libertés en Afrique a été menée sans ces médias occidentaux qui raflent désormais les mises, les opportunités et les marchés sans coup férir. Où étaient-ils quand les régimes d’exception embastillaient des opposants dont certains, arrivés au pouvoir par de surprenantes alchimies électorales, finissent par s’accommoder au système ?

En clair, les acquis démocratiques ne sont jamais définitifs. Les tripatouillages électoraux en sont des exemples exaspérants. HÉLAS… !

Mamadou NDIAYE