
Il y a 202 ans, le mardi 7 mars 1820, l’ancien royaume du Walo vécut l’un des épisodes les plus tragiques de son histoire avec le sacrifice des femmes de Nder, qui eurent préféré se brûler vives que de devenir captives. Loin d’être une légende, cette tragédie est une réalité historique bien documentée aussi bien par des sources écrites qu’orales. On ne peut raconter l’histoire de la tragédie de « Talatay Nder » sans relater un épisode tragique de l’histoire française, celle du naufrage du « radeau de la Méduse ». Nombreuses sont les personnes qui apprécient le magnifique et terrible tableau de Géricault qui se trouve actuellement au musée du Louvre à Paris connu sous le nom du « Radeau de la Méduse ». Beaucoup plus rares sont celles qui sont capables de localiser, de dater l’événement et de le relier à l’épisode tragique des femmes de Nder. Après la défaite des armées napoléoniennes face aux Britanniques, un traité de paix dit de Vienne fut signé entre la France et l’Angleterre comportait une clause qui stipulait la rétrocession des possessions françaises au Sénégal. L’Angleterre acceptait de remettre le comptoir de Saint louis (qu’elle occupait de 1809 à 1817) aux Français à la condition qu’ils abolissent la traite négrière. Afin de prendre le contrôle de la colonie du Sénégal, la France envoya une expédition navale le 17 juin 1816 composée de la corvette “l’Echo”, de la flûte “la Loire” et du brick “l’Argus” et de “La Méduse” ayant à son bord plus de 400 passagers appareilla sous les ordres du commandant Hugues Duroy de Chaumaray, avec à son bord le futur gouverneur du Sénégal, le colonel Julien Désiré Schmaltz accompagné de sa femme, de leur fille, de scientifiques, de soldats et de colons. L’inexpérience de l’équipage provoqua l’échouage de la Méduse sur le banc d’Arguin sur la côte nord mauritanienne.
(…)
Hostilité et Réaction des peuples voisins à la colonisation agricole du Walo
Cette alliance économique et militaire entre les royaumes du Walo et de la France entraîna des réactions hostiles de tous les royaumes voisins dont le Fouta et l’Emirat du Trarza. En ce début du XIX ème siècle, le Fouta était secoué par une grande instabilité institutionnelle ; après un cinquième règne, l’Almamy Youssou Ly fut destitué et s’ensuivi une vacance de pouvoir à la tête du pays de plusieurs mois ; ce qui provoqua une vive tension entre la province du Toro et le reste du Fouta. Le Gouverneur Schmaltz escomptait sur une éventuelle sécession du Toro vis-à-vis du Fouta pour réduire toute menace orientale à son alliance avec le Walo et à ses projets agricoles. Ensuite, Birame Ibra Wane fut élu une seconde fois Almamy et il régna de septembre 1819 à Juillet 1821, période coïncidant avec les événements de Talatay Nder. Afin de renforcer son nouveau pouvoir sur ses provinces occidentales du Toro, l’Almamy du Fouta Birame Ibra Wane déclara que la construction d’un fort militaire au village de Dagana serait un casus belli. De cette place forte de Dagana, les Français avaient la possibilité d’attaquer leFouta. L’Almamy envoya une correspondance au Brack lui demandant de rompre le Traité avec les infidèles français sous peine de lui déclarer la guerre et lui rappelant que le village de Dagana était une possession du Fouta depuis le règne de l’Almamy Abdou Khadr Kane. Devant le refus du Brack, l’Almamy Birame Ibra Wane s’allia avec l’Emir du Trarza Amar-Ould-Mokhtar et en juillet 1819, leurs armées réunies traversèrent le fleuve pour envahir le Walo. Le Brack Amar Fatim Borso Mbodj mobilisa son armée à la tête de laquelle, il nomma le Prince héritier le Briok Yérim Mbagnick Tégue Rélla qui marcha à leur rencontre et infligea une lourde défaite aux coalisés à la bataille du village de Téméye situé entre Thiago et Ndombo.
Deux mois après, le 21 Septembre 1819, les troupes défaites de l’Emir du Trarza Amar Ould Moctar qui étaient campées sur la rive droite à Tokochcoumba, avec la complicité du mulâtre saint-louisien Pellegrin attaquèrent par surprise le village de Thiaggar (à quelques kilomètres de Rosso) ou le Brack Amar Fatim Borso MBODJE tenait un conseil du trône.
(…)
La tragédie de Talatay Nder et la Riposte militaire du Walo
C’est face à ce pouvoir isolé, avec la démobilisation de la majeure partie des kangams blessés ou démotivés par l’accaparement du pouvoir par les tédiecks de la branche Aissa Naléw qu’a eu lieu le Mardi 7 mars 1820 la tragédie de Nder. L’Emir du Trarza Amar Ould Mokhtar traversa le fleuve au niveau du village fortifié de Thiaggar, ancien verrou militaire de Nder et engagea le combat près de la rivière Nathie avec les troupes du Briock Yérim Mbagnick qui furent rapidement submergées, laissant la voie libre pour la prise de la capitale Nder. La Linguère Fatim Yamar Khouriyaye avertie de la défaite de son neveu s’habilla en tenue de guerre et prit les armes, suivie de la garde royale dirigée par son aide de camp le M’béye-M’boyo et les femmes de la cour dirigée par la Ndoukane. Les assaillants furent d’abord repoussés, mais en entendant les youyous de victoires, ils revinrent à l’assaut en découvrant que leurs ennemis étaient dirigés par une femme. La capitale Nder fut encerclée, la Linguère Fatim Yamar Khouriyaye réussit à évacuer à Ronkh ses deux jeunes filles, les futures Linguères Ndjeumbeut et Ndaté Yalla chez leur tante paternelle Ndickou Fatim Borso. Conseillée par deux membres de sa suite, Mbarka Demba Laobé Boh Ndiaye et Seydané la Linguère déclara Bess bi niaaw na té khédiouma thi Gathié. Elle fit saupoudrer la case royale de poudre et y mit le feu. Au milieu des hymnes de la famille tédieck chantés jadis par les Ganghores, elle préféra se brûler vive avec sa cour que d’être captive et outragée.
Yoro Boly DIAW dans ses célèbres cahiers relate cette tragédie en ces termes :
(…)
La capitale royale Nder fut pillée et brûlée, l’assemblée des Seb Ak Baor confia la régence au Briock Yérim Mbagnick Tégue Rella, qui fut digne de ses nouvelles fonctions, il rassembla les débris de l’armée du Walo défaite à Nder et à Thiaggar et fit une levée en masse dans tout le royaume. La nouvelle armée fut réunie à Dagana et le Gouverneur Schmaltz leur fournit beaucoup d’armes et de munitions et le Briock entreprit de porter la guerre sur la rive droite en pays Trarza, afin de forcer les maures à quitter le Walo. Deux colonnes se formèrent, l’une traversa le fleuve à hauteur de Ronkh, l’autre à Dagana. Le Briock attaqua les Trarza au lieu-dit Brékhat au nord de Dagana et leur en leva un camp, huit jours après, il battit les Trarza et les brakna réunis dans l’ile de Bakhla, devant Bokhol, et leur tua plus de cent cinquante hommes ; il les bat de nouveau à N’dour, sur la rive droite au-dessus de Dara ; vingt jours plus tard, il les attaqua encore à Bourtréfié, environ à 15 km sur la rive droite en face de Richard-Toll.
Renforcé des volontaires venant de Saint-Louis conduits par Biram-Toute et Mambaye Ngoné, le Briock Yérim Mbagnick acheva de disperser l’armée des Trarza, aux puits de Bouchef le. Le Briock triomphant, revint au Walo avec un immense butin dont Yoro Boly Diaw relate l’importance en ces termes « Mon père Fara Peinda, âgé en ce moment de 7 ou 8 ans, m’a dit qu’il n’avait jamais vu ni entendu dans aucune tradition un aussi considérable butin que celui ramené dans le Oualo du pays des Trarzas par Yérim Mbagniéck. » Après un bref séjour de repos au Walo avec ses guerriers, Yérim Mbagnick reprit les hostilités, épaulé par le Diawdine Madiaw Khor Aram Bakar Diaw remis de ses blessures, le Béthio Sakoura Diop et les troupes maures alliées de Mohamed Ould Kawri, il traversa le fleuve Sénégal à Breune et battit les troupes maures de Amar Ould Moctar à Ouara Ouar qui se réfugia dans l’Adrar, laissant sur le terrain plus de 200 morts dont le grand chef de guerre Ely-Khamlech, tué par le Béthio Sakoura Diop de sa propre main ainsi que le fils de l’Emir Birahim Ouali. Ayant capturé le Makhchare (tente royale) de l’Emir, le Briock par vengeance coupa les oreilles comme trophée de guerre de toutes les princesses maures dont l’épouse de l’Emir, Mrasse. Il délivra des centaines d’habitants de Nder faits prisonniers.
(…)
Réconciliation des peuples du Trarza, du Fouta et du Walo
Après l’échec de la colonisation agricole française, vers 1830, une guerre civile secoua le Walo, opposant le Brack Fara Peinda Adam Sall Mbodj au prétendant Dyoss Khérfi Khary Daro Mbodj. Et les troupes de l’Emir du Trarza Mohamed El Habib Ould Amar Ould Mokhtar en profitèrent pour envahir le royaume du Walo et y mener des activités de rapines et de dévastations. Pour sauver son peuple de l’anéantissement, la Linguère Ndieumbeutt fille de la martyre Linguère Fatim Yamar Khouriyaye offrit sa main à l’Emir du Trarza Mohamed El Habib fils de l’Emir Amar Ould Mokhtar qui avait détruit Nder. Le mariage fut célébré en grande pompe à Dagana le 18 juin 1833. Ce qui provoqua l’ire du Gouverneur Français du Comptoir de Saint-Louis Mr Quernel, qui ne voulait en aucune façon que les deux rives du fleuve Sénégal soient sous le contrôle par la nouvelle alliance entre le Trarza et le Walo. En représailles, les Français canonnèrent et incendièrent tous les villages du Walo et la capitale Khouma forçant la Linguère Ndieumbeutt à se réfugier au Cayor auprès de son cousin le Damel Meissa Teinda Dior Fall. Le 26 janvier 1834, la France n’acceptât de signer un traité de paix avec le Trarza et le Walo qu’à condition qu’un enfant issu de ce mariage ne puisse prétendre au Trône du Walo. De ce mariage naquit le fils unique de la Linguère Ndieumbeutt, l’Emir Ely Ndieumbeutt Fall ou Ely Ndieumbeutt Ould Mohammed Al-Habib Ould Amar Ould Mokhtar qui fut Emir du Trarza de 1873-1886.
Symbole de la réconciliation entre le Traza et le Walo, l’Emir Ely Ndieumbeutt épousa la Saint-Louisienne Kheiyvatte Ndiawar Guèye (tante du Député Ngalandou Diouf) et eut deux filles ; Coumba Fall Ely qui sera l’épouse de Cheikh Thioro Mbacké et Ndaté Yalla Fall Ely qui fut l’épouse du chef supérieur Samba Yomb Guilé Mbodj. Vivement qu’en cette commémoration du bicentenaire de la tragédie de Talatay Nder, que les autorités sénégalaises et mauritaniennes puissent donner au futur pont de Rosso le nom de Bour Trarza Ely Ndieumbeutt Fall (du côté sénégalais) et Emir du Trarza Ely Ndieumbeutt Ould Mohammed Al-Habib Ould Amar Ould Mokhtar (du côté mauritanien), car ce personnage historique fut un pont entre la Mauritanie et le Sénégal. Ironie de l’histoire, cette tragédie de Talatay Nder qui avait opposé le Fouta, le Trarza et le Walo, fut le début du tissage de multiples liens de sang qui uniront les familles des Wane Almamy de Mboumba à celle du Brack Amar Fatim Borso et cette dernière à la famille émirale du Trarza. Comme souvent au cours de l’histoire, les tragédies finissent toujours en beauté, par des liens de mariage.
Le Diawdine Amadou Bakhaw DIAW
Notabilité Coutumière Lamane du Walo