Aminata Touré, dividendes d’une précocité politique

 

Aminata Touré a pour elle les atouts d’un engagement politique précoce et bien entretenu, accompagné d’une trajectoire professionnelle plus qu’enviable, qui l’a conduite jusque dans les sphères dirigeantes des institutions onusiennes.

Ce n’est pas rien pour cette ancienne garde des Sceaux et ancienne Première ministre, appelée à diriger le combat de survie de la majorité actuelle, comme tête de liste nationale de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) lors des élections législatives du 31 juillet prochain.

Ce scrutin, plus que n’importe quelle autre consultation électorale, est présenté comme un test grandeur nature avant la présidentielle de 2024, pour le pouvoir comme pour ses opposants, de l’avis de la plupart des spécialistes et observateurs de la vie politique sénégalaise.

Amina Touré, dont le surnom Mimi peut presque être considéré comme une partie intégrante de la légende, peut compter sur sa trajectoire politique et professionnelle pour éclairer, pour les siens, la voie vers la prochaine présidentielle, mère de toutes les batailles.

Elle a toute capacité à leur éviter les écueils d’une adversité politique toujours plus prononcée, au rythme auquel s’accumulent les nombreux culs-de-sac et autres clivages tenaces qui ont interdit le moindre consensus politique minimal sur des sujets d’intérêt partagé, tels que le code électoral et le parrainage, pour ne citer que ces deux exemples.

La tête de liste nationale de BBY va forcément devoir batailler, ferrailler même, pour la récompense d’une majorité à l’Assemblée nationale. D’autant plus que la perspective d’une cohabitation sonne dans le camp du pouvoir comme relevant d’une véritable catastrophe.

Le profil politique d’Aminata Touré autorise pour le moins quelques garanties, pour une femme politique ayant fait ses armes dans cette gauche des années 70 et 80, courant politique qui garde toujours le crédit d’une bonne école, même sans les résultats électoraux escomptés.

Un engagement politique précoce à 14 ans

La gauche des rêves de révolution et de justice sociale, mieux qu’un simple romantisme politique, a formé, contribué à former ou à formater quantité de leaders sénégalais emblématiques depuis les années 60, dont certains ont fini véritables hommes d’Etat.

Très tôt initiée au militantisme et à l’engagement politique dès ses 14 ans, Aminata Touré a fait ses armes dans ces milieux-là en France d’abord et au Sénégal ensuite.

Un parcours qui lui a valu d’être la première Sénégalaise directrice de campagne pour le compte de Landing Savané lors de l’élection présidentielle de 1993, à 31 ans, avant de rejoindre une année plus tard la formation alors dirigée par ce dernier, à savoir And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme.

‘’Mimi’’ partage cette précocité politique avec l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, lui aussi bombardé directeur de campagne de l’opposant emblématique Abdoulaye Wade en 1988, lequel deviendra président de la République en 2000.

Deux trajectoires qui ne se ressemblent sans doute pas par hasard, Aminata Touré et Idrissa Seck ayant tous les deux eu l’honneur de présider aux destinées d’un gouvernement, entre septembre 2013 et juillet 2014 pour la première nommée, quelques années auparavant pour l’ancien maire de Thiès (2002-2004).

Les voies insondables de la politique, comme par fatalité, feront que les trajectoires des deux leaders politiques vont finalement se croiser, lorsque l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade a remplacé Aminata Touré à la présidence du Conseil économique, social et environnemental en octobre 2020. Une coupure pour Aminata Touré, après celle de son limogeage de la Primature en juillet 2014.

Coupure pour éviter de caractériser ce limogeage comme une disgrâce, conséquence immédiate d’une défaite très malvenue aux élections municipales à Grand-Yoff, une circonscription dakaroise donnée comme le fief de Khalifa Sall, poids lourd socialiste et ancien maire de Dakar.

A son corps défendant, Aminata Touré, femme de poigne et de caractère, était peut-être un peu trop vue à cette époque plutôt comme électron libre. Situation politique du moment fortement contrariée, donc.

Des hauts et des bas politiques, des traversées du désert

Des hauts et des bas politiques rien de plus que du déjà vu, déjà connu, qui n’étonne pas même les non-initiés, encore moins cette politicienne de haut vol, habituée avec le temps à susciter les retournements spectaculaires pour ne pas les espérer, dans ce domaine plus encore que dans un autre.

Ce n’est pas sa nomination comme envoyée spéciale du président de la République, pour toute sorte de missions nationales et internationales, en février 2015, après cette parenthèse Primature, qui va faire oublier la vague impression de traversée du désert qui s’était emparée de l’opinion à son sujet.

Il lui fallait simplement tenir bon, sans rompre avec les soutiens et surtout continuer à faire de la politique, la vraie, comme si tout allait de soi. Jusqu’à cette remise en selle à la tête du Conseil économique, social et environnemental en mai 2019, dont elle est déchue moins de deux ans plus tard.

Aminata Touré doit encore apprendre de Sisyphe et de son travail, se concentrer sur les fondamentaux politiques, c’est-à-dire entretenir ses réseaux, se faire entendre quitte à faire voir sa différence, susciter le débat mais surtout garder au besoin sa liberté de ton.

A ce jeu, elle devient même l’une des personnalités les plus critiques vis-à-vis de Macky Sall, sans jamais s’interdire la ruse d’accabler encore plus l’opposition.

Stratégie payante puisqu’elle semble finalement avoir gardé toute son influence au sein du parti présidentiel et dans une frange de l’opinion publique, si l’on sait que jusqu’à quelques mois il n’était pas donné qu’elle serait choisie pour diriger la campagne de la coalition du pouvoir pour les prochaines élections législatives.

Il était dit et entendu qu’Aminata Touré avait fait les frais de la stratégie d’ouverture du pouvoir, Macky Sall ayant décidé de son destin à la tête du Conseil économique, social et environnemental où on la pensait justement de retour en grâce.

Dans la tête du patron de la coalition BBY, quelque part, Aminata Touré a dû s’imposer en recours idéal du moment.

Son profil, autant politique que technocratique, a dû le rappeler à Macky Sall, d’autant plus que la précocité politique se double chez Aminata Touré d’une compétence technique et professionnelle rare à ce niveau, encore plus quand l’engagement politique suffit parfois à lui-même et se moque si souvent de la compétence.

Mais il faut dire que cette fille d’un médecin et d’une sage-femme, qui a grandi dans une grande famille, entourée de ses sept frères et sœurs, semblait destinée à faire une carrière prestigieuse, très tôt annoncée d’ailleurs par ses résultats scolaires.

Une carrière débutée à l’ancienne SOTRAC

La tête de liste nationale de BBY fut d’abord et avant tout une brillante élève, lauréate du Concours général sénégalais et bachelière en série B, au lycée Van-Vollenhoven, actuel Lamine-Guèye, à Dakar.

Elle part ensuite étudier en France où elle obtient une maîtrise d’économie à Dijon, un diplôme d’études supérieures spécialisées en gestion des entreprises à Aix-en-Provence et un PhD en management international à l’International School of Management, à Paris, avant de devenir docteur en économie de l’International School of Management de New York, aux Etats-Unis.

Sa carrière professionnelle débute en 1988 au sein de la compagnie des transports publics de Dakar, la SOTRAC, dont elle dirige le département marketing et communication.

Dans des entretiens vidéo publiés sur sa page Facebook, Aminata Touré revient avec grande tendresse sur ses débuts professionnels, s’amusant plus que tout de son premier salaire à la Société publique de transport du Cap-Vert, plus ou moins égal à la bourse qu’elle percevait en étant étudiante en France.

Une anecdote pour signifier que rien n’est donné sans persévérance et que surtout tout ne s’obtient pas d’un seul coup, un message subliminal pour dire aux jeunes si souvent avides d’argent facile et pressés de réussir pour vivre façon tape-à-l’œil que les choses ne sont pas toujours simples.

Pourtant, même formée à affronter de telles situations, de son passage par les mouvements de gauche impliquant se nourrir au sens du sacrifice et de l’engagement désintéressé pour le bien collectif, l’ancienne Première ministre a été emmenée à donner la priorité à sa vie professionnelle à un certain stade de sa vie.

Ce moment se situe après l’épisode de la campagne présidentielle de 1993 et sa mise en avant comme directrice de campagne de Landing Savané. Aminata Touré s’engage alors auprès de l’Association sénégalaise pour le bien-être familial avant de devenir à partir de 1995 fonctionnaire pour le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), à New York.

L’orchestre de la ‘’traque des biens mal acquis’’

Elle conseille des gouvernements, comme ceux du Burkina Faso où elle atterrit pour son premier poste au sein du système des Nations unies, participe à des programmes spécifiques, tels que ‘’Genre et VI’’, avant d’être promue directrice du département droits humains du FNUAP en 2003.

Aminata Touré ne sera de retour au Sénégal que sept ans plus tard, pour participer à la campagne victorieuse de Macky Sall qui en fait son garde des Sceaux, ministre de la Justice du premier gouvernement à la tête duquel le nouveau président a placé Abdoul Mbaye, aujourd’hui l’un des plus grands pourfendeurs du pouvoir pour l’opposition.

D’une certaine manière, Aminata Touré doit à ce poste de ministre de la Justice quelques-unes de ses plus grandes inimités politiques, pour avoir mis en œuvre, pour ne pas dire orchestré, la ‘’traque des biens mal acquis’’, chasse aux sorcières tout court pour ses contempteurs.

La reddition des comptes passe en effet mieux dans les arcanes des Nations unies que dans un marigot politique habitué à l’impunité et au sentiment de toute-puissance.

Beaucoup d’eau ayant coulé sous les ponts, elle serait inspirée de prendre tout le parti à tirer du privilège d’être la seule femme tête de liste à ces élections législatives. Un filon politique à creuser pour cette femme dont la voix porte tant, au propre comme au figuré, dont certains discours, du genre ‘’la vie des femmes politiques est un peu plus compliquée que celles des hommes’’, peuvent valoir leur pesant d’or à l’épreuve des urnes.

Elle dit aussi dans le même registre que certains hommes se sentent ‘’challengers dans leur masculinité’’ d’avoir une femme comme patronne ou collègue, ou alors que la société scrute plus que de raison une femme emmenée à assumer des responsabilités en comparaison des attentes placées dans les hommes dans la même situation.

Un discours qui peut faire gagner de nombreuses voix féminines, surtout quand il vient d’une femme modèle qui n’a pas peur d’inspirer, se disant convaincue que ‘’le moteur du changement, c’est l’exemple’’.

Entre autres récompenses, Aminata Touré a reçu le Prix de la Fondation du conseil du forum de Crans Montana en 2014. Un an auparavant, elle était citée parmi les 100 personnalités les plus influentes de l’année par le magazine Foreign Policy.

Jeune Afrique, hebdomadaire panafricain édité à Paris, l’avait aussi classée, la même année, parmi 21 femmes en lice pour le prix de l’Africaine de l’année. Elle a de quoi être fière, celle qui dirait mieux.

 

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