Mort d’Elizabeth II: le long règne pas si tranquille d’une reine populaire

 

Un peu plus d’un an après la mort de son époux le prince Philippe, décédé le 9 avril 2021, la souveraine britannique Elizabeth II s’est éteinte à son tour ce jeudi 8 septembre 2022, à l’âge canonique de 96 ans. Son long règne, qui a duré soixante-dix ans, laisse en héritage une monarchie renforcée, en phase avec la société moderne anglaise moins traditionnelle et plus cosmopolite.

Le Royaume-Uni se retrouve orphelin. Buckingham Palace a annoncé officiellement la mort de la reine Elizabeth II. La défunte monarque, qui avait fêté en juin ses 70 ans de règne, avait vu sa santé se dégrader depuis près d’un an, sans que les causes ne soient jamais précisées. Depuis plusieurs mois, elle n’apparaissait que rarement en public. Sa dernière apparition eut lieu le 6 septembre, officialisant la nomination de Liz Truss au poste de Premier ministre.

Aujourd’hui, tout Albion pleure la disparition de sa souveraine.Elle a rendu son dernier soupir au château de Balmoral, en Écosse, où elle se trouvait depuis le 21 juillet pour sa traditionnelle retraite estivale. À la tête de son pays depuis 1952, la défunte a constitué le socle inamovible autour duquel s’est déroulée l’histoire de l’Angleterre postcoloniale, pleine de bruits et de fureur.

Une page d’histoire se tourne

Dès l’annonce de la nouvelle, des dizaines de milliers de Londoniens et de touristes, de tous âges, ont accouru dans le centre de la capitale pour venir s’incliner devant les grilles de Buckingham Palace, résidence officielle de la monarque britannique. Ils déposent devant le grand portail en fer forgé, qui une rose, qui un bouquet et qui un petit mot en hommage à leur reine. Quelque peu désemparés, les visiteurs les plus âgés restent longuement debout devant les grilles, levant leurs yeux embués vers le balcon vide du palais d’où la reine, toujours impeccablement habillée, a tant de fois salué la foule, entourée de sa famille et de ses proches. Les Britanniques vont devoir apprendre à vivre sans la présence rassurante de celle qui avait su incarner, dans toutes les circonstances, le meilleur de leur pays à l’histoire millénaire.

« Reine du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la Foi », tel était le titre officiel d’Elizabeth II, qui fut la doyenne des têtes couronnées en Europe. Reine depuis soixante-dix ans, elle avait brisé, le 9 septembre 2015, le record de longévité au pouvoir de sa trisaïeule, la reine-impératrice Victoria, qui avait régné pendant soixante-trois ans, sept mois et deux jours. Elizabeth II était au zénith de sa popularité, comme en témoignent les hommages qui lui avaient été rendus partout dans le royaume comme à travers les pays du Commonwealth, pendant les célébrations du soixante-dixième anniversaire de son règne en juin dernier.

Elizabeth II était une page d’histoire vivante. N’a-t-elle pas été l’interlocutrice de quinze Premiers ministres britanniques et de treize présidents américains ? Lors de son mariage avec le prince Philippe en 1947, Gandhi lui avait envoyé un pagne confectionné dans une étoffe qu’il avait lui-même tissée. La reine a reçu à Buckingham Palace les leaders les plus prestigieux de la terre, de De Gaulle à Nelson Mandela, en passant par Walesa, Nehru, Tito, l’empereur Akihito et le couple Biden, pour ne citer que ceux-là. Une première page de cette longue histoire s’est close le 9 avril 2021, avec la disparition de son mari, le prince Philippe, à l’âge de 99 ans et après plus de soixante-dix ans de mariage. Par leur longévité, le couple était devenu le symbole de la permanence de la monarchie britannique.

Lorsque la future souveraine est née en 1926, l’Angleterre régnait encore sur un vaste empire mondial sur lequel, selon la formule consacrée, le soleil ne se couchait jamais. Elle a connu la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation, le début et la fin de la guerre froide, l’entrée du Royaume-Uni en Europe, la fin de l’État-Providence en Angleterre, la paix en Irlande et, last but not least, le « Brexit » (abréviation de « British exit »), voté par une majorité de Britanniques le 23 juin 2016. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, survenue finalement le 31 janvier 2020 après trois ans et demi de chaos politique, a été un tournant historique majeur pour la société britannique, déchirée entre ceux qui étaient pour le Brexit et ceux qui étaient contre. Elle était restée d’une neutralité inébranlable pendant le psychodrame et s’était simplement contentée de s’attarder, dans son discours de Noël 2019, sur les commémorations du Débarquement en Normandie dont on venait de commémorer le 75e anniversaire, appelant les Britanniques à surmonter leurs divisions pour sauvegarder « la liberté et la démocratie remportées pour nous à un coût si élevé ».

Elle a incarné à sa manière les nombreux changements qui ont marqué son pays pendant son long règne, tout en restant dans son rôle de monarque constitutionnel qui ne s’ingère pas dans les affaires du gouvernement. Elle fut « une vraie reine moderne », pour citer François Mitterrand qui la côtoya en nombreuses occasions protocolaires.

Ambulancière pendant la guerre

Malgré les 41 coups de canon pour annoncer sa venue au monde le 21 avril 1926, il apparaissait peu probable dans les premières années de la vie de la future Elizabeth II qu’elle portât un jour la couronne britannique. Elle était la fille du fils cadet du roi George V (petit-fils de la reine Victoria). Selon la tradition, le trône devait revenir au fils aîné du roi qui, à la mort de son père en 1936, succéda à la tête du royaume sous le nom d’Edouard VIII. Mais la liaison de celui-ci avec une Américaine, deux fois divorcée, et son projet de l’épouser plongèrent le pays dans une crise constitutionnelle gravissime. Au bout de quelques mois d’un règne particulièrement controversé, le roi, sommé de choisir entre le royaume et son amante, abdiqua au profit de son frère cadet Albert, père d’Elizabeth. Celui-ci monta sur le trône sous le nom de George VI.

Ces événements bouleversèrent la vie d’Elizabeth et de sa sœur cadette, Margaret, qui avaient grandi jusque-là dans une relative intimité familiale. Devenue princesse héritière, Elizabeth dut se résoudre à apprendre le dur métier de reine. Cela consistait à vivre constamment sous l’égide d’un protocole rigoureux, mais aussi à prendre conscience des devoirs et des servitudes de la fonction royale. Dans ce domaine, elle eut de bons maîtres en ses parents dont l’attitude pleine d’empathie pour la population pendant le Blitz (bombardement de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale) avait permis de rendre la monarchie populaire. Le couple royal avait refusé de quitter la capitale pendant la guerre.

Elizabeth elle-même participa à l’effort de guerre en rejoignant en 1944 l’armée de réserve en tant que chauffeur-ambulancière. La guerre terminée, elle se mit à accompagner ses parents pendant leurs déplacements à l’intérieur du pays, mais aussi dans les pays du Commonwealth. Le discours qu’elle prononça en 1947, lors d’un voyage en Afrique du Sud, s’engageant à « dédier sa vie à la grande famille impériale », était la feuille de route pour une vie qui a été entièrement consacrée au Royaume-Uni et au Commonwealth.

La prise de conscience des lourdes responsabilités qui lui incombaient en tant que future reine n’empêcha pas la jeune princesse de nouer une idylle avec son cousin éloigné, le prince Philip de Grèce, lui aussi descendant de la reine Victoria. Selon la légende, elle était tombée amoureuse de lui à l’âge de 13 ans. Le couple se maria en 1947 et eut quatre enfants : Charles (1948), Anne (1950), Andrew (1960) et Edward (1964).

Reine à 26 ans

Bien qu’elle eût été psychologiquement préparée pour accomplir sa charge royale, Elizabeth ne s’attendait pas à ce que son père disparaisse si tôt, à l’âge de 56 ans. Rendu célèbre par le film tiré de sa vie Le discours d’un roi, ce monarque, qui était incapable de prendre la parole en public, avait réussi, grâce au soutien de sa famille, à surmonter son handicap et à assumer son rôle de premier personnage de l’Empire britannique. En 1952, George VI mourut subitement dans son sommeil des suites d’un cancer du poumon. La princesse héritière était en déplacement au Kenya avec son mari Philip lorsqu’elle apprit le décès de son père. Elle n’avait que 26 ans.Rapatriée d’urgence, elle fut intronisée dès le lendemain de la mort du souverain. Son couronnement eut lieu seize mois plus tard à Westminster Abbey, une cérémonie flamboyante retransmise en direct à la radio et à la télévision…..

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