
Du fait des guerres et autres désastres climatiques, les mouvements migratoires s’intensifient à travers la planète. Et les dynamiques migratoires sont marquées par une participation accrue des femmes, même si cette tendance s’inscrit dans le cadre normal des choses, selon certains experts. Souvent accompagnées de leurs enfants, elles hésitent de moins en moins à partir seules. La migration des femmes est toutefois un parcours semé d’embûches et autres violences physiques, sexuelles. Une fois arrivées dans leur pays d’accueil, les femmes migrantes ne voient pas forcément leur situation s’améliorer : difficultés à trouver un emploi, pénibilité des conditions de travail, faibles salaires et mauvaise protection sont les cauchemars que vivent ces aventurières au quotidien.
Les femmes constituent 51% des flux migratoires dans le monde
Selon le rapport « Profil migratoire 2018 », https://www.ansd.sn/ressources/rapports/ANSD-OIM%20-%20Profil%20Migratoire%20du%20Senegal%202018.pdf de l’ANSD et de l’OIM sur la migration, « au niveau interne, la propension à émigrer ne présente pas de différence significative par rapport au sexe selon les données du recensement de 2013. Mais on note une tendance plus importante des jeunes filles à migrer par rapport aux jeunes garçons, notamment dans les tranches d’âge comprises entre 15 et 29 ans. Le pourcentage de migrantes internes parmi les femmes est de 9,6% contre 8,2% chez les hommes dans la tranche d’âge 15-19 ans. Ce ratio est de 11,6% contre 10,1% dans la tranche d’âge 20-24 ans et de 12% contre 11,3% dans la tranche d’âge 25-29 ans. Pour les autres âges, il y a un léger avantage en faveur du sexe masculin parmi les migrants internes. Au niveau international, les femmes représentent 16% des migrants sénégalais partis à l’étranger au cours de la période 1999-2003, selon les résultats de la deuxième enquête sénégalaise auprès des ménages (DPS, 2004), https://www.ansd.sn/ressources/rapports/ESAM_2.pdf . En 2013, la présence des femmes est de l’ordre de 17% parmi les Sénégalais ayant émigré à l’étranger entre 2008 et 2012. » Et selon les Nations Unies, les femmes constituent 51% des flux migratoires dans le monde. Mais souvent, leur condition de femme les expose à des violences systémiques et répétitives, du départ à l’arrivée dans le pays d’accueil.
« À Agadez, on a rencontré un groupe d’hommes armés qui nous ont pris tout ce dont nous disposions »
La migration féminine qui est soutenue la plupart du temps par des motifs socio-économiques divers, est une source de violence basée sur le genre pour certaines migrantes, même si elle présente des avantages pour d’autres plus chanceuses. La migration constitue un véritable cauchemar pour Fatimata. Cette migrante de retour qui garde toujours en mémoire la souffrance qu’elle a vécue lors de son périple qui l’avait menée à Agadez, au Niger, en voulant rejoindre l’Europe. Pour la jeune femme originaire de la région orientale, la migration féminine, surtout celle irrégulière, présente beaucoup de risques. « Après le décès de mon père en 2004, ma mère était restée seule face aux difficultés économiques de la vie. On peinait à satisfaire même les repas quotidiens et à l’époque, j’avais divorcé avec mon mari et en tant qu’aînée de la famille, je ne pouvais plus supporter cette situation difficile. C’est là que j’ai tenté de rejoindre l’Europe en passant par la route avec dix de mes camarades. Mais nous avons vécu le pire au cours de ce périple. Non seulement on ne mangeait pas bien, ni dormait tranquillement, mais on était exposé à toute sorte d’insécurité. Après six mois de voyage par la route, escale après escale, nous sommes arrivées à Agadez. C’est là qu’on a rencontré un groupe d’hommes armés jusqu’aux dents, qui nous ont pris tout ce dont nous disposions comme argent et biens, avant de violer quelques-unes de nos camarades de voyage. C’était très dur…, on ne savait plus où aller ou encore à qui parler… C’est par la suite qu’on a croisé un certain Moussa Kano qui nous a aidé à trouver les moyens de nous faire rapatrier au Sénégal. Mais on avait terriblement souffert de ce voyage au point que je ne veux plus en parler ni à personne », se souvient encore le cœur meurtri la jeune dame.
« Le voyage met parfois les femmes dans des situations de vulnérabilité extrême »
Il est manifeste que la migration, surtout celle irrégulière, expose les femmes à des vulnérabilités extrêmes. Selon M. Ibrahima Kane, expert en migration, la vulnérabilité rend parfois plus dangereux que celui des hommes, les projets de voyage des femmes. Ce qui ne garantit pas souvent une forme de liberté à certaines personnes en situation de migration. « Le voyage met parfois les femmes dans des situations de vulnérabilité énorme. En Afrique par exemple, le Moyen-Orient est devenu la 2ème destination après le continent noir, avec 5.000.000 d’africains environ vivant au Moyen-Orient dont la plupart sert de personnel domestique, et là, ça n’offre pas beaucoup de liberté. Les conditions de travail ne sont pas bonnes et elles sont exposées à des violences. Ici au Sénégal, récemment les services de police ont arrêté à deux reprises des libanais qui prenaient des sierra-léonaises. Ça explique que la vulnérabilité des femmes rend leur projet de voyage beaucoup plus dangereux que celui des hommes, même s’ils vivent tous les deux, les mêmes situations », a souligné l’expert en migration.
« Les migrantes qui empruntent la voie terrestre sont exposées souvent au viol »
Même si elle dit n’avoir jamais connu pareil sort, Fatimata témoigne que les femmes qui empruntent la plupart la voie terrestre pour voyager, s’exposent à toutes formes de violence basée sur le genre, notamment les cas de viol, le harcèlement entre autres. « La voie terrestre est source d’insécurité. La plupart des femmes qui voyagent par la route sont exposées à toute forme de violence et surtout les viols répétitifs et le harcèlement. Personnellement, je n’ai pas subi ces cas de viol. Mais des femmes, qui avaient voyagé dans les mêmes conditions que moi ont été victimes de ces formes de pratiques malsaines basées sur le genre », témoigne encore Fatimata.
Selon la note d’information d’ONU Femmes, « De la recherche à l’action : combattre la violence sur le genre à l’encontre des femmes et des filles migrantes », https://www.unwomen.org/sites/default/files/2021-12/Policy-brief-From-evidence-to-action-Tackling-GBV-against-migrant-women-and-girls-fr.pdf , la violence basée sur le genre existe à tous les stades de la migration et les migrantes sont souvent plus susceptibles de subir un continuum de violence basée sur le genre allant de l’intimidation aux violences verbale, physique, psychologique et sexuelle. « Sur certaines routes migratoires, le risque de violence basée sur le genre est particulièrement élevé. Par exemple, une étude menée auprès de migrants ayant emprunté la route méditerranéenne entre l’Afrique du Nord et l’Italie, a révélé que 90% des femmes et des filles ayant participé à l’étude ont été victimes de viols à un moment donné de leur voyage. Par ailleurs, certaines femmes migrantes, en particulier celles qui utilisent des canaux irréguliers, courent un risque accru d’être victimes de traite de personnes, notamment à des fins d’exploitation sexuelle, de travail forcé et de servitude domestique. Les passeurs sont les principaux auteurs de violence à l’encontre des femmes et des filles migrantes dans le monde entier ; une enquête menée auprès de 2.000 victimes ou témoins de violence basée sur le genre, a révélé que le long du couloir migratoire de l’Afrique orientale et de la Corne de l’Afrique, 90% des incidents de ce type étaient le fait de passeurs », lit-on à la page 2 de la note d’information.
Le cas des domestiques africaines envoyées au Moyen Orient, l’autre forme de violence.
En plus de cette forme de souffrance subie par certaines migrantes pendant leurs périples, la coordinatrice du réseau pour la migration et développement (REMIDEV), Aby Sarr, pointe du doigt la traite des personnes, pour ne pas dire l’envoi de domestiques africaines vers les pays du Moyen Orient sous la coupole d’agences de recrutement. Un phénomène qui a pris une grande ampleur dans le continent.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 3,8 millions de travailleurs domestiques travaillaient en 2017 dans les pays du Golfe, (Oman, Koweït, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn et Émirats Arabes Unis), https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—africa/—ro abidjan/documents/publication/wcms_839694.pdf . Une situation plus que préoccupante, que l’on pourrait même assimiler à l’esclavagisme, selon la coordinatrice de REMEDEV.
« Quand on parle de migration féminine, il y a aussi les domestiques qu’on envoie dans certains pays surtout du moyen Orient et qui partent souvent sous la coupole d’agences mais qui sont traitées comme des esclaves dans leurs pays d’accueil. Ce qui constitue une situation préoccupante qui interpelle les gouvernants. Car même si les données et les analyses n’ont pas permis réellement de mesurer l’impact, ce qu’il faut retenir c’est qu’il y a des aspects négatifs qui touchent parfois les femmes en situation de migration. Les femmes qui empruntent les voies irrégulières, pour la plupart, sont victimes de toute forme d’insécurité. À côté des tracasseries, elles sont victimes de banditisme de toute nature, de viols et autres, ce qui rend plus préoccupante leur situation. Ces systèmes-là dans lesquels les migrantes se retrouvent sont des systèmes qu’on peut même assimiler à l’esclavage parce que les gens sont à la merci de leur patron. Donc comment nos États peuvent accepter que les compagnies puissent vraiment faire signer des contrats à des sénégalaises ou des africaines pour aller dans ces pays-là. La situation est d’autant plus grave que même quand on a des ambassades dans ces pays-là, les gens n’ont pas le personnel adéquat pour gérer les problèmes de droit du travail dans ces pays. Ce qui rend la situation de nos compatriotes très vulnérable », regrette Aby Sarr.
Face à de telles situations, la coordinatrice du réseau migration et développement plaide pour le renforcement du cadre juridique, sécuritaire et institutionnel avec une facilitation dans l’octroi de visas, l’accompagnement de l’État aux migrants pour études, affaires et découverte afin de permettre aux femmes ainsi que toutes les couches de la population de pouvoir voyager en toute tranquillité et dans les meilleures conditions possibles. « Je pense que les gouvernants doivent trouver les moyens d’agir pour barrer la route à cette situation-là. L’importance pour nous n’est pas d’empêcher la personne d’aller en voyage, mais l’idéal c’est de sensibiliser la personne pour qu’elle puisse avoir les moyens de se déplacer en toute sécurité. À ce niveau les États africains ont un grand rôle à jouer et la solution de la répression n’est pas la bonne. Mais la solution c’est de trouver les bonnes politiques et pratiques pour faciliter les conditions de la migration régulière », souligne encore la coordinatrice du REMIDEV. Tout cela pour dire que la migration féminine n’est pas mal en soi, mais elle nécessite la mise en place des voies et moyens adéquats afin de permettre aux femmes de voyager dans les meilleures conditions possibles et en toute sécurité…
Daouda BA
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