Scandale du Mediator: Une cardiologue avait prévenu des risques d’un coupe-faim

 

 

«J’ai vraiment essayé d’avertir» des dangers de l’Isoméride, coupe-faim des laboratoires Servier, cousin chimique du Mediator, a raconté jeudi au procès en appel du Mediator la cardiologue belge Mariane Ewalenko qui regrette toujours de ne pas avoir été entendue.

Dès 1992, Mariane Ewalenko a tenté d’alerter Servier et les agences européennes du médicament que le coupe-faim des laboratoires Servier pouvait provoquer de graves problèmes cardiaques. En vain. «Tout ce qu’on aurait pu éviter», dit avec une pointe de tristesse Mariane Ewalenko, 69 ans, ex-cheffe du service de cardiologie des hôpitaux de l’université libre de Bruxelles (ULB).

«En 1991, j’ai reçu des patientes qui avaient toutes un profil similaire. En surpoids et avec un souffle au coeur», raconte-t-elle. «Elles avaient toutes pris des «cocktails» amaigrissants».

Problème signalé dès 1992

Quel est le point commun dans ces «cocktails» ou «préparations magistrales» qui font que les patientes du Dr Ewalenko souffrent de valvulopathie, un dysfonctionnement des valves du coeur? La cardiologue fait des recherches et s’aperçoit qu’à chaque fois on retrouve l’Isoméride dans la composition des «cocktails amaigrissants». Une de ses patientes n’avait pris que ce médicament.

Dès 1992, elle signale le problème aux laboratoires Servier qui prend alors contact avec elle par l’intermédiaire du Dr Magda Opsomer, la représentante de Servier en Belgique. «Avec le Dr Opsomer j’avais l’impression d’avoir trouvé une alliée», dit Mariane Ewalenko avec amertume. Magda Opsomer lui fait «remplir des formulaires» pour la douzaine de patientes affectées par le médicament de Servier. Le Dr Opsomer se charge d’envoyer les formulaires au centre de pharmacovigilance belge… et rien ne bouge.

Deux autres médecins tirent la sonnette d’alarme

À partir de 1993, deux autres médecins belges signalent des insuffisances aortiques, dont certaines apparues chez des patients placés sous Isoméride seul. Mais de nouveau, rien ne se passe, se souvient Mariane Ewalenko. En décembre 1994, le responsable de la pharmacovigilance belge, le docteur Xavier Kurz, rédige un rapport sur le sujet, mais exonère le médicament de Servier en incriminant des «plantes chinoises», présentes dans les «cocktails» amaigrissants.

Peu après la publication de ce rapport, l’Isoméride est commercialisé aux États-Unis sous le nom de Redux. Des milliers de patients obèses américains seront victimes d’atteintes cardiaques à cause du médicament qui sera finalement interdit en 1997. On se souviendra alors des alertes de Mariane Ewalenko, qui témoignera devant la justice américaine en 1999, dans le cadre d’une action intentée par les victimes de l’Isoméride.

2,7 millions d’amende

Le combat solitaire de la cardiologue belge n’est pas sans rappeler celui d’Irène Frachon, la pneumologue de Brest qui a révélé le scandale du Mediator. Irène Frachon témoignera devant la cour d’appel mardi prochain.

En première instance, le groupe Servier avait été condamné à 2,7 millions d’euros d’amende (quelque 2,67 millions de francs) pour «tromperie aggravée» et «homicides et blessures involontaires». Commercialisé depuis 1976 comme anti-diabétique, mais largement détourné comme coupe-faim, le Mediator est accusé d’avoir provoqué de graves lésions cardiaques et de nombreux décès jusqu’à son interdiction fin 2009.

(AFP)