« Aakimo – Le grand pillage » a été projeté, en avant-première, l’autre mercredi, au Seanema (complexe cinématographique de Sea Plazza). Ce film documentaire produit par la fondation Konrad Adenauer et l’association Océanium est un propos militant qui crève les désastreuses prédations de notre environnement (surpêche, déforestation et orpaillage), avec son lot de malheurs sur la croissance sociale.
Le propos est vif dès le début. Comme pour marquer l’urgence et la gravité du sujet. Le film « Aakimo, le grand pillage» s’engage avec une manière esthétique qui interroge. Telle qu’elle est belle et vivifiante, qu’adviendront de notre quiétude, de notre bien-être, de notre santé, notre quotidien si cette abondante verdure s’abîme ? Une violente réponse est servie, quelques minutes plus tard, par les images d’une partie de la forêt ravagée et dégradée, au mépris de tout leur apport à l’humanité. C’est justement au profit d’intérêts singuliers que des particuliers pillent l’environnement et violent par-là notre humanité. C’est tout le propos du film « Aakimo », dont le titre (du wolof) peut se traduire par s’accaparer, monopoliser ou spolier sauvagement.
Le réalisateur du film, le Français Nicolas Van Ingen, a scindé son documentaire en 3 parties dont la première concerne la déforestation. Des populations de la forêt en Casamance et des connaisseurs s’inquiètent et s’offusquent des désastres probables qui mènent quasi résolument à une humanité en péril. Le Sénégal perd chaque année, en moyenne, 40 000 hectares de forêt. Sans références ou sources pédantes, les villageois et des acteurs témoignent à partir de leurs constats (évidents) et de leurs quotidiens sur les malheurs dus à cette déforestation sauvage et intempestive. Ce qui prononce justement plus intelligiblement le drame. Comment soutenir la peine d’une population à l’activité principalement agraire devant une pluviométrie qui régresse d’année en d’année, passant par ailleurs de six à deux mois par an ? Comment consoler une population dont «sa» forêt, qui se confond avec les pratiques cultuelles, se meurt ?
La déforestation entraîne même une fracture sociale qui met en évidence les failles d’une restructuration libérale qui ne pense que capitalisme et accumulation. Plus que des arbres qui tombent, c’est une société qui va à la dérive avec des funestes révoltes. La deuxième partie répond à peu près des mêmes angoisses. Les activités d’orpaillage, à Kédougou, détériorent l’environnement à plusieurs égards. La ruée pour l’exploitation de l’or ensauvage et macule la région. On compte dans les diouras (les mines traditionnelles) une importante migration de plusieurs nationalités de la sous-région. Ils sont principalement des orpailleurs et des passeurs, elles sont malheureusement beaucoup de prostituées et de proxénètes.
On compte ainsi maintenant un taux malencontreusement croissant de la prévalence du Vih/Sida, qui vient s’ajouter à plusieurs maladies infectieuses et tropicales. En effet, la pollution par les entreprises d’exploitation aurifère du fleuve Falémé et la dégradation, l’extraction des mercures et la promiscuité entre toutes ces populations déteignent fortement sur l’état médical de la zone. Elles attisent également nombre de convoitises et d’opportunités qui ouvrent la voie au grand banditisme. Cette zone frontalière déjà désagrégée offre un terreau aux bandes armées et entrouvre une porte bénie pour le terrorisme.
L’autre mal, l’ultime chapitre du film, est la surpêche. La pêche est une activité qui génère pas moins d’un million et 200 000 emplois directs et indirects au Sénégal. De plus, les produits halieutiques offrent plus 70% d’apport en protéines au Sénégalais. Cette activité cruciale pour le pays vit une terrible menace. Les accords de pêche sont principalement indexés. Les chalutiers chinois sont vus comme des exploitants criminels. La surveillance maritime aussi est au banc des accusés. Les conséquences les plus désastreuses sont la répercussion sur le «panier de la ménagère», et la migration irrégulière qui y tire ses ressources humaines et matérielles.
L’impression la mieux partagée dans les témoignages du film est le pessimisme, à côté du sentiment d’injustice. Mais le propos le plus marquant, bien entendu, est le lien que constitue l’environnement entre tous ces fléaux. L’exploitation à grande échelle et le pillage en règle des ressources naturelles dérèglent le climat, tuent la réalité de l’environnement. Cette malheureuse prédation par «les plus forts» menace l’agriculture, favorise le grand banditisme, encourage la corruption, fragilise les ressorts sociaux, installe la désespérance et crève l’économie nationale. Ainsi, l’Administrateur de l’association Océanium (coproductrice du film), Youssef El Ali considère-t-il qu’il faut une forte sensibilisation des populations afin qu’elles s’approprient ce combat pour leur avenir vital. Dans ce sillage, la Représentante de la fondation Konrad Adenauer (l’autre organisme producteur du film), informe d’une tournée de présentation du film dans les autres régions du Sénégal. «Nous allons échanger avec les élus et les décideurs locaux pour une forte et féconde sensibilisation des populations», assure Caroline Hauptmann.
Le réalisateur du film est un passionné des sujets d’environnement qui collabore avec l’Océanium depuis 20 ans. Nicolas van Ingen a été dans un premier temps photographe d’animaux sauvages, avant d’élargir son champ. Il s’intéresse maintenant «à l’environnement du point de vue nature, et reste persuadé que toutes les crises déclarées un peu partout dans le monde sont liées à l’environnement». Son militantisme pourrait se résumer par son affirmation alarmiste, qu’il a partagée dans son intervention durant la cérémonie de projection, «On surexploite, et on arrive fatalement au terme de l’exploitation possible de notre environnement». Selon Nicolas van Ingen, son intérêt pour le sujet date de longtemps, mais il remarque avec amertume que la question devient de plus en plus prégnante ces dernières années. Il dit s’efforcer de faire comprendre ces problématiques avec ses médias préférés, que sont la photographie et le documentaire de création. C’est donc son regard qui fait le propos du film. Il remercie à ce titre l’association Océanium et la fondation Konrad Adenauer qui lui ont «permis une liberté de création». «C’est rare dans notre métier», applaudit le photographe et réalisateur qui collabore avec National Géographic Channels, des télévisions françaises, Paris-Match, Le Figaro, entre autres.
Mamadou Oumar KAMARA / lesoleil.sn