Élection présidentielle 2024 / Sénégal : Risque de diffusion de fausses nouvelles et manipulation de l’information.

 

À l’ère numérique d’aujourd’hui, la propagation de la désinformation et la manipulation de l’information constituent des menaces importantes pour la société. Ces menaces sont encore plus prononcées lors des périodes sensibles comme celles des élections. À cet égard, l’élection présidentielle sénégalaise de 2024 ne fait pas exception. Cette joute électorale représente une étape importante pour le pays.  Cependant, la diffusion de fausses nouvelles et la manipulation de l’information pourraient compromettre l’équité du processus électoral et menacer les idéaux démocratiques du pays.
Le Sénégal a été témoin d’une vague croissante de fausses nouvelles, qui peuvent saper la démocratie et influencer indûment le résultat des élections.

LE PHÉNOMÈNE DE FAUSSES NOUVELLES ?

 

 

La définition de « fausses nouvelles » est multiple et variée. À notre niveau, le terme “fausse nouvelle” ou encore fake news fait généralement référence à des informations inexactes, trompeuses ou carrément fausses, qui sont diffusées de manière sélective pour influencer l’opinion publique ou dissimuler la vérité. À l’ère du numérique, ce phénomène a pris une ampleur sans précédent, grâce à la facilité avec laquelle les informations peuvent être partagées sur les réseaux sociaux. Dans le contexte des élections, les fausses nouvelles peuvent prendre plusieurs formes, allant de la diffusion de rumeurs sur les candidats à la manipulation des chiffres. Elles représentent une menace sérieuse pour le processus démocratique, car elles peuvent fausser le jugement des électeurs et influencer le résultat des élections. Et le Professeur Ibrahima Bakhoum, journaliste et politologue, définit les fakes news comme suit : «  Nous définissons la rumeur comme ce qui se dit dans l’espace public de bouche-à-oreille, mais sans qu’on en connaisse jamais l’origine. L’information, on en connaît l’origine, elle est sourcée, on sait d’où ça vient, on sait qui la fait, peu importe l’objectif. Donc si la rumeur peut se propager de manière presque sans conséquence dans certains cas, pour la propager, mais avec un effet très nocif vers les cibles qui consomment cette rumeur, beaucoup de rapports sont faussés, à la fois pour les acteurs politiques aussi bien ceux cherchant à acquérir le pouvoir, que ceux cherchant à garder le pouvoir. Évidemment, on invente des choses, on s’appuie sur des choses qui ressemblent à du factuel, on abuse de la crédulité des opinions et il y a une telle vague de choses qui arrivent qu’on a l’impression que c’est vrai parce qu’on l’a logiquement construit. Les fakes news ont trouvé un terrain propice à leur création, premièrement, à leur multiplication, à leur propagation et à leur amplification et tout ça ce sont les réseaux sociaux qui le font. »

La diffusion de fausses nouvelles et de désinformations peut ainsi constituer une menace grave pour l’intégrité du processus électoral. Cette distorsion peut fausser les résultats des élections, mettant à mal le principe de fair-play qui est au cœur des processus démocratiques. D’ailleurs, c’est ce que Mamadou Seck, expert électoral, assure : « Le processus électoral comporte des étapes essentielles qu’il faut respecter tant par les autorités en charge de la gestion du processus, par les partis politiques, que par les citoyens. Généralement, les fake news impactent plus les citoyens qui n’ont pas toujours la bonne information et qui constituent pourtant la cible principale sans laquelle un processus électoral ne peut être qualifié de crédible, inclusif et participatif. » Mais pour le Professeur Ibrahima Bakhoum, Journaliste et politologue, « les risques seraient effectivement qu’on va détruire quelqu’un, une personne ou un groupe, un parti en inventant sur son compte, ou alors, on va promouvoir quelqu’un en inventant toujours de la même façon, mais avec un autre objectif d’en faire un bon, un meilleur, un pur et le plus sachant, alors que parfois ce n’est pas tout cela. Mais quand on a réussi à construire cela dans l’opinion, ça peut amener les gens à voter du faux, mais sans savoir que c’est du faux ».
 

Les risques pour l’élection présidentielle de 2024 et les conséquences? 

 

 

À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, il y a une crainte croissante que les fausses nouvelles ne soient utilisées pour influencer le vote. Les candidats et leurs partisans pourraient être tentés d’utiliser la désinformation pour discréditer leurs adversaires ou pour promouvoir leur propre agenda. Selon le Professeur Ibrahima Bakhoum, la politique, c’est une guerre, mais une guerre bien particulière, « la politique c’est l’art de la guerre sans la violence, la guerre, c’est l’art de faire de la politique de manière violente et il y a un autre adage qui dit que la vérité est la première victime dans une guerre autrement dit, dans les deux camps, on ment à des fins de propagande pour obtenir victoire, manipuler l’opinion avoir des personnes à sa cause, donner l’impression qu’on est meilleurs et que la faute ce sont les autres. Si nous restons sur le registre de la politique en donnant une certaine crédibilité à ces adages, nous sommes en politique, mais si cette politique-là on la considère comme l’art de faire de la guerre de manière non violente avec les possibilités de manipulations qui existent, forcément, on dira que c’est presque dans un cadre normal et ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les réseaux sociaux, les technologies de l’information et de la communication ont eu un niveau de développement tel que n’importe qui peut à partir de quasiment n’importe quel point du globe, créer ce qu’on appelle de l’information et qui est parfois simplement de la rumeur ».

Quand la désinformation exacerbe les troubles ethniques et autres manifestations 

 

Élection présidentielle 2024 / Sénégal : Risque de  diffusion de  fausses  nouvelles et  manipulation de  l'information

 

Le Sénégal, comme de nombreux pays africains, est riche en diversité ethnique et culturelle, mais compte aussi un bon nombre de croyances politiques. Cependant, cette diversité peut aussi être une source de frictions, si elle n’est pas bien gérée. Malheureusement, les fausses nouvelles et les informations manipulées peuvent exploiter ces divisions et attiser les tensions ethniques, religieuses et politiques. En semant la discorde et la méfiance entre les différentes communautés, les faux récits peuvent menacer l’unité et la cohésion de la nation. Fort de plusieurs années d’expérience dans le traitement de l’information, le doyen Bakhoum assure que depuis longtemps le pays en temps électoral est confronté à des cas de manipulations et cela continue toujours.  « Dans ma carrière de journaliste expérimenté, j’ ai connu beaucoup de fausses informations du temps de Diouf contre Wade, du temps de Macky contre Wade, du temps de Macky maintenant, il y a beaucoup de fausses informations comme ça qui sont divulguées. On nous donne des informations sur des terroristes qui seraient d’un camp, on nous a parlé à un moment donné de l’argent qui viendrait d’ailleurs et tout fait partie de ce que j’appelle simplement les manœuvres et les stratégies de guerre, de quelle guerre il s’agit, de la guerre non violente donc la politique. Le Sénégal a connu beaucoup de cas de manipulations de l’information et ça continue encore », témoigne Bakhoum. Et toujours pour lui, les fakes news sont « amplifiées par les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet tout. (…) On peut prêter à quelqu’un des propos qu’il n’a jamais tenus, ça, c’est un premier problème, l’autre problème, c’est qu’en termes d’élection, de résultats et de vote, on peut parfaitement manipuler, évidemment, c’est très grave et compliqué. »

Poursuivant son propos, M. Bakhoum assure que les opinions sont souvent préparées à recevoir ce genre d’informations. « Si nous partons de ce qui s’est passé avec cette histoire, de Cour Suprême a-t-elle ou n’a-t-elle pas rejeté le jugement du tribunal de Ziguinchor concernant Ousmane Sonko et sa réintégration sur le fichier électoral, cette affaire a été rendue possible parce que des esprits très fortement dans l’opinion étaient préparés à recevoir cette information et uniquement cette information, si c’était avéré, une bonne partie de l’opinion sénégalaise attendait, donc c’était très facile de manipuler de ce point de vue, de leur dire quelque chose qui ressemble à ça et tout le monde saute. Donc ce qui propage ces fakes news, c’est qu’ils ont à la fois les moyens, les cibles, mais aussi, ils profitent de la crédulité des gens dans une période de tension… », se désole le journaliste.

Les fausses nouvelles et la désinformation peuvent également déclencher des troubles civils. Lorsque les gens sont induits à croire de faux récits, ils peuvent se sentir obligés d’agir sur la base de ces croyances. Cela peut conduire à des manifestations, à des violences, voire au chaos. Dans le contexte d’une élection, de tels troubles peuvent perturber le processus électoral et déstabiliser le pays. Pour Mamadou Seck, expert électoral, la désinformation ne s’arrête pas là, elle peut décourager les citoyens et les conduire à boycotter le vote. « En réalité, les fake news peuvent causer une désinformation et donc une forclusion par exemple des citoyens à l’occasion d’étapes essentielles du processus. De même, de fausses informations peuvent décourager la participation et donc ruiner tous les efforts fournis pour la bonne gestion du processus. À l’arrivée également, si on suit la logique, cela peut aboutir à des légitimités fragiles des élus et donc à des risques d’instabilité institutionnelle, à des risques de crise de gouvernance », lance l’expert électoral.

Rôle des journalistes dans  la lutte contre la  désinformation 

 

 

L’absence de réglementation efficace de l’information en ligne au Sénégal rend le pays particulièrement vulnérable à la manipulation de l’information. Les auteurs de fausses nouvelles peuvent opérer en toute impunité, sans craindre de sanctions juridiques. En ce sens, il est essentiel de prendre des mesures pour lutter contre la désinformation et garantir l’intégrité de l’élection présidentielle de 2024. Cela pourrait inclure l’éducation des électeurs sur les dangers des fausses nouvelles, la mise en place de systèmes de vérification des faits, et la réglementation de l’information en ligne. Et pour se faire, le rôle des médias dans la lutte contre la désinformation ne saurait être sous-estimé. Les journalistes ont la responsabilité de vérifier les informations avant de les publier et de signaler toute tentative de manipulation de l’information. Mais pour Ibrahima Bakhoum, les journalistes sont parfois ce qui participe à propager les fausses nouvelles à des fins commerciales sans se soucier du public. « Écoute, ce qui est sûr, les journalistes ne font pas l’effort de vérification, de recoupement, de prendre le temps, mais se disent tout simplement « ça fait vendre » et on vend avec, effectivement, si on vend avec du mensonge, du faux, ce qui finit par arriver c’est que le journaliste lui-même finit par perdre en crédibilité, mais si c’est un, deux, trois journalistes qui le font, c’est moins grave, mais si c’est en terme de médias, le problème que cela pose c’est que le public ne sait plus si c’est vrai ou si c’est faux parce qu’un tel l’a dit, ensuite tel journal l’a dit sur telle chaîne d’information, ça peut en effet faire mordre à l’hameçon, Donc, si l’on se centre sur tout ça, qu’est-ce qui est à l’origine de la propagation de ces informations… ? », lance le doyen Bakhoum.

Par contre, Mamadou Seck, expert électoral, voit autrement. « Plusieurs déterminants à ces fausses informations. Elles peuvent être la cause d’un manque de maîtrise de la matière électorale et du processus électoral par les journalistes. Cela peut être aussi fait à dessein par certains acteurs, souvent d’ailleurs pas forcément des journalistes, mais des structures ou cabinets “noirs”, parfois agissant sur commande. Aux États-Unis, ce phénomène est très courant, car il est permis par les lois électorales de faire de la contre-propagande et donc de faire de la désinformation contre son challenger politique. Mais au Sénégal, toute fausse information diffusée est en porte-à-faux avec la loi et impacte négativement le processus », regrette  Mamadou Seck.

À cet effet, monsieur Bakhoum avec sa casquette de journaliste expérimenté demande à ses collègues d’être plus prudents face aux fakes news. « Donc ce qu’on demande au journaliste, c’est d’être simplement beaucoup plus prudent encore, de faire attention, mais surtout de refuser d’être les porte-voix de gens qui cherchent à manipuler l’opinion en inventant des choses contre des adversaires, en enjolivant des choses pour leurs partenaires, pour leur candidat, alors que c’est complètement faux », met en garde Ibrahima Bakhoum à l’endroit de ses collègues journalistes.

La lutte contre les menaces liées aux fakes news et à la manipulation de l’information reste un défi majeur vers l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal. Ainsi, il est nécessaire d’informer le public sur les risques de fausses nouvelles et de manipulation, en mettant en place des campagnes de sensibilisation pour encourager la vérification des faits et la prudence vis-à-vis des informations non vérifiées…

Alain Bonang

dakaractu.com