Conflit au Proche-Orient: Bethléem en deuil ne fêtera pas Noël.

 

 

«Normalement c’est plein de touristes»: dans sa boutique de Bethléem, Abood Suboh, 30 ans, se lamente. «La guerre a tout stoppé net», explique à l’AFP le commerçant qui vend des écharpes et des sacs à main, en référence aux frappes israéliennes et aux combats acharnés auxquels se livrent l’armée et le mouvement islamiste palestinien dans la bande de Gaza. Cette campagne militaire a fait plus de 18’800 morts dans le petit territoire contrôlé par le Hamas. Et alors qu’aucune nouvelle trêve ne se profile à l’horizon après un bref cessez-le-feu fin novembre, Noël sera lesté d’un voile de deuil dans la ville de Cisjordanie occupée qui, selon la tradition chrétienne, a vu naître Jésus-Christ.

«Inutilement festive»

L’église de la Nativité, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, attire d’ordinaire des centaines de milliers de touristes chaque année. Là, des voitures garées encombrent la place où devraient se côtoyer pèlerins venus du monde entier, faux Pères Noël et scouts en groupes. Les hôtels sont vides, quand ils ne sont pas fermés. Pas de selfies la tête coiffée de bonnets rouge et blanc, pas de sapin, ni d’illuminations: les autorités religieuses ont renoncé à toute célébration «inutilement festive» en solidarité avec les Palestiniens qui souffrent à Gaza.

D’autant que la Cisjordanie connaît aussi une flambée de violences, avec plus de 290 Palestiniens tués par les forces israéliennes ou des colons depuis le 7 octobre, selon des responsables palestiniens. La municipalité limite «les aménagements aux stricts rituels» chrétiens, comme la messe de minuit.

«Bouclée»

«Or on fait 80% de notre chiffre annuel sur la période», rappelle Jack Giacaman, qui s’occupe de la production d’une boutique de souvenirs spécialisée dans les articles religieux en bois. Dans l’atelier, juste derrière le magasin, des mages et des bergers à moitié terminés veillent sur des postes de travail désespérément vides. À quoi bon embaucher: de toute façon, «Bethléem est bouclée de toute part», lance-t-il, faisant référence aux entraves à la circulation. Mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie occupée, points de passage vers Jérusalem et l’aéroport difficiles à franchir… gagner la ville où vivent ensemble chrétiens et musulmans est devenu très compliqué.

L’année dernière, M. Giacaman avait déjà dû emprunter pour rester à flot, en raison de la pandémie de coronavirus. Il doit revoir ses plans. «On avait fait un calcul sur trois ans pour couvrir les pertes mais là, on ne sait pas comment finir l’année», se plaint-il face aux rues vides de la vieille ville en pierres.

«Comme dans une prison»

La faute aussi à la rhétorique effrayante des dirigeants israéliens, estime Fadi Kattan. Ce chef cuisinier franco-palestinien s’indigne du cliché des «Palestiniens tous dangereux». «C’est comme s’il y avait une ligne invisible qui empêchait les pèlerins de s’aventurer hors des sentiers balisés», à cause de ce que leur disent les tour-opérateurs israéliens, déplore-t-il. Plus que jamais pourtant, selon le prêtre grec orthodoxe Issa Thaljieh, il serait nécessaire de confronter les visiteurs à la réalité quotidienne des Palestiniens.

Visiter les lieux saints, c’est bien, «mais le plus important» dit-il, c’est «de découvrir comment on survit comme dans une prison» sur un territoire occupé par Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1967.

«Parfois on vient me voir à la boutique en me disant: ‘je suis heureux d’être à Bethléem, en Israël’», rappelle Jack Giacaman en évoquant des touristes peu au fait de la situation locale.

(AFP)