Politique étrangère : Le Projet diplomatique

 

 

La ministre de l’Intégration africaine et des affaires étrangères a fait appel à des personnalités proches du nouveau pouvoir pour dresser aux diplomates sénégalais les perspectives de la nouvelle politique d’intégration africaine et de diplomatie du Sénégal. En dehors de quelques généralités, certaines orientations énoncées par certains panélistes n’ont pas du tout été appréciées par les diplomates présents.

Par Mohamed GUEYE – Le nouveau pouvoir cherche à réorienter la diplomatie du Sénégal sur un autre axe. L’ambition de nos dirigeants actuels est de trouver ou de nouer de nouvelles alliances qui aillent au-delà des alliances traditionnelles datant de l’ère du Président Léopold Sédar Sen­ghor, et privilégient le jargon à la mode au sein du parti Pastef, à savoir le souverainisme.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les réflexions qui sont sorties du séminaire organisé le 25 avril dernier par la ministre de l’Intégration africaine et des affaires étrangères, et qui avait pour thème : «Quelles perspectives pour la nouvelle politique d’intégration africaine et de diplomatie du Sénégal ?» .

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La ministre Mme Yassine Fall a, dès l’introduction, indiqué qu’il s’agissait de «réorienter notre diplomatie vers l’approfondissement et l’accélération d’un processus d’intégration approfondie et égalitaire de l’Afrique, conformément aux nouvelles orientations politiques du chef de l’Etat et la rupture attendue par le Peuple sénégalais». Partant de cela, certains panélistes ont voulu croire que ce qui s’est passé au Sénégal le 24 mars dernier était une révolution et non juste une élection présidentielle, comme le Sénégal a eu à en connaître auparavant.
Pour parler aux diplomates sénégalais, leur ministre de tutelle a fait appel à des personnalités comme Pierre Sané dont le titre le plus connu est d’avoir été président de l’Ong Amnesty International il y a plus d’une décennie, Ibrahima Aïdara, un économiste travaillant à l’Ong Osiwa, ou Ngagne Demba Touré, un greffier membre du parti Pastef, qui s’est retrouvé propulsé directeur d’une entreprise minière de l’Etat, entre autres.

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On comprend alors que ces gens aient pu avoir pour inclination de penser que toute la diplomatie menée au Sénégal avant l’arrivée du parti Pastef au pouvoir était à jeter à la poubelle. Quelqu’un est allé jusqu’à «lancer pour l’abandon du discours incantatoire de l’intégration pour aller vers l’action. Il a relevé les limites de l’approche senghorienne des cercles concentriques et considère que la libre circulation des personnes et des biens pourrait accélérer l’intégration des peuples africains». En oubliant que si Bassirou Diomaye Faye a privilégié les visites de proximité dans les pays voisins et en Côte d’Ivoire, c’est d’abord et avant tout en application directe de cette politique des «cercles concentriques». Et si son tandem économique et financier s’est rendu à Washington, aux rencontres du Fmi et de la Banque mondiale, c’est par pragmatisme économique.

Cela n’a pas empêché Ngagne Demba Touré de prôner un «souverainisme et un panafricanisme de Gauche». On aimerait bien savoir ce que ce terme recouvre exactement. Néan­moins, voulant mettre l’accent sur la promotion d’une politique orientée vers la jeunesse, M. Touré a demandé à ce que le Sénégal mène la danse pour l’adoption d’une directive communautaire afin de réserver un quota de 25% aux jeunes Africains dans les organes de délibération politiques. Il souhaite également la création de clubs sportifs africains, des forums régionaux et sous-régionaux de l’entreprenariat et de l’emploi des jeunes, ou l’organisation de vacances annuelles panafricaines de la jeunesse. Un vaste programme dont on ne voit pas encore comment il pourrait commencer à le mettre en œuvre.

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Comme s’il découvrait la face cachée de la lune, Ibrahima Aïdara est lui revenu sur la nécessité d’un positionnement du Sénégal dans les négociations internationales sur des questions portant sur la dette, le financement du développement, le financement des questions liées au changement climatique, etc. Comme s’il n’a pas entendu ou vu Macky Sall se démener sur ces questions aux dernières années de son pouvoir… Il a souhaité également un effort dans l’harmonisation effective des politiques publiques africaines, particulièrement au niveau de la Cedeao. Si l’on entend la ministre Yassine Fall se désoler de ce que la Cedeao est devenue «une organisation plus politique et militaire qu’un instrument d’intégration africaine», on peut se demander comment les «souverainistes» de son gouvernement pourront convaincre les autres pays à se ranger sur leurs positions.

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Le nouveau paradigme diplomatique que veut instaurer Yassine Fall, sans doute avec l’onction de ses chefs, ne semble pas tenir compte du fait que si la diplomatie sénégalaise est enviée en Afrique et respectée de par le monde, c’est grâce à la formation de ses cadres, tous formés à l’Ecole nationale d’Administration (Ena), sur la base des fondamentaux qui ont permis au Sénégal d’être non seulement l’arbitre de grands conflits de par le monde, malgré notre taille lilliputienne sur la carte du monde et notre posture de pays pauvre très endetté. Partout, la voix du Sénégal du Sénégal a toujours été entendue et respectée. Leur demander, comme Pierre Sané l’a fait, de faire preuve de «patriotisme, d’intégrité, de ténacité, de panafricanisme et de souverainisme», c’est plus que leur manquer de respect. Ce que beaucoup n’ont pas apprécié, même s’ils ne l’ont pas crié haut et fort.
mgueye@lequotidien.sn