[CONTRIBUTION] Doucement, la République est pressée (Niaga BACAPA)

 

 

Il peut paraitre excessif et même hasardeux que de choisir un événement dans la vie d’une Nation pour en faire le début d’un bouleversement politique et socioéconomique
d’envergure. Mais toute histoire a un commencement et les péripéties qui ont abouti à
l’accession du Président Diomaye à la magistrature suprême nous incitent à penser que
le 24 Mars 2024 est une date fatidique.
La 3éme alternance de notre histoire politique a une couleur, des sonorités et des
senteurs singulières et l’on a l’impression depuis ce jour, qu’un halo tout particulier a
envahi nos cieux.
J’ai le sentiment que cette atmosphère jubilatoire et même extatique embrume encore
certains cerveaux qui, juste un mois après l’installation du nouveau régime, réclament
déjà des résultats et des changements. Cette ridicule et naïve attitude doit cependant
interpeller tous ceux qui, enchantés par ce changement, car convaincus que le Sénégal
a aujourd’hui entre ses mains l’occasion idéale de se mettre sur orbite, gardent
cependant leur sérénité et ne se laissent pas prendre dans le vicieux piège de l’euphorie
débordante et enivrante.
Les routes de l’émergence et le chemin du développement, on ne les emprunte pas en
se hâtant imprudemment ni en se précipitant. Les sorties de piste y sont trop
fréquentes. On y marche résolument et fièrement d’un pas cadencé et rythmé parce que
mesuré et calibré.
Les raccourcis sont aussi à éviter ; et ceux qui se sont déjà aventurés dans des endroits
inconnus savent que les chemins de traverse ne sont jamais ni les plus courts ni les
plus sûrs, même s’ils vous ont été indiqués par des gens pourtant habitués des lieux.
Napoléon et Lénine à qui l’on prête ces propos apocryphes aux relents d’oxymore :
« Doucement, nous sommes pressés » en avaient conscience. Tous deux, à la veille de
grandes batailles qu’ils ont, du reste, remportées, les auraient tenus à l’endroit de leurs
ouailles un peu trop pressés d’en découdre avec l’ennemi.
Il s’agissait pour ces 02 grands stratèges, à un tournant décisif de leur vie
révolutionnaire, de rappeler à leurs troupes surexcitées, que l’urgence et la délicatesse
de la mission commandaient qu’on y allât avec détermination et sûreté et que tout faux
pas non seulement retarderait les choses mais surtout compromettrait durablement les
chances de succès.
Cette 3ème alternance doit être la bonne. Contrairement aux 02 premières, celle-ci est
portée par un formidable élan vers l’établissement dans notre pays d’un nouvel ordre
politique, économique et social. Ne pas le comprendre pour le concrétiser serait fatal à
notre république. Car, comme disait Arthur Koestler, « l’histoire est une belle
capricieuse, si l’amoureux continue de manquer les rares occasions qui lui sont
offertes, le dommage sera irréparable ».
Elle ne devrait donc pas démarrer sur « les chapeaux de roues » ni aborder les
nombreux virages qu’impose le changement de Voie, avec précipitation et imprudence
L’essentiel aujourd’hui est de poser méthodiquement et soigneusement les pierres
d’angle qui supporteront le grand édifice à construire.
Dans cette perspective, il est louable que les nouvelles autorités aient compris fort
opportunément et très humblement que le PROJET ne saurait se hisser
automatiquement à un statut de document de référence sans passer sous les fourches
caudines des hauts fonctionnaires et autres experts rompus à la tâche ; car comme le
dit si bien l’expert planificateur Mayacine Camara : « Une politique publique n’est
pas un programme de parti politique » et le PROJET pour qu’il soit comestible,
opérationnel et efficient « est à traduire pour respecter les canons de la planification
économique et sociale. » Ce qui en rien n’entache ni sa pertinence ni son utilité.
De même, la « disponibilité logique institutionnelle » qui doit accompagner la
nouvelle conscience collective, doit être mûrement réfléchie. Une constitution qui a
permis 03 alternances doit être traitée avec respect. Qui plus est, pour ne parler que
d’un aspect souvent flétri, les péripéties de l’élection présidentielle ont montré que le
Président de la République n’est pas aussi superpuissant qu’on le dit. Quand il a fallu
arrêter ses dérives et ses délires, les Sages du Conseil constitutionnel ont su s’y
prendre en s’appuyant sur la constitution. L’on ne gagnerait pas au change si on devait
sortir du présidentialisme pour faire place à un parlementarisme ou à une république
des juges. Le président de la république doit rester le gardien de la constitution et la
clef de voûte des institutions. Elu au suffrage universel direct, le temps d’un mandat, il
est aussi le chef de l’Etat car comme nous l’apprenait la regrettée et brillante
philosophe Aminata Diaw, « la légitimité du pouvoir politique justifie sa prévalence
et sa transcendance sur toute autre forme de pouvoir ». C’est pourquoi aussi, Les
élections qui fondent cette légitimité, doivent impérativement être à l’abri de toute
action politique partisane. La création d’un organe indépendant responsable de toute la
chaîne électorale est donc aujourd’hui une nécessité absolue.
Tout compte fait, le général De Gaulle, père de la 5ème République française d’où nous
tirons la quintessence de notre constitution, nous avertissait déjà sur les dangers d’une
république parlementaire. Il disait « Nous avons fait la constitution de 1962 pour
empêcher que dans la république, l’Etat fût à la discrétion des partis politiques ». Le
danger est d’autant plus grand dans nos pays que l’Etat y demeure le lieu absolu
d’impulsion du développement économique et social. Il ne saurait donc être instable,
évanescent et tributaire des combinaisons politiques. Il lui faut donc un Chef et ce ne
peut être que le Président de la République. Espérons et faisons tout pour qu’il soit
légitime, juste et compétent.
La grande réforme institutionnelle qui vaille aujourd’hui et qui dépasse les
contingences politiques du moment est celle qui induirait le renforcement des
Territoires. Décentrer l’Etat grâce à une déconcentration administrative effective et
une décentralisation politique et économique réelle, est une exigence de l’heure.
L’accès difficile de nos populations aux services sociaux de base, l’emploi des jeunes,
la désarticulation de notre économie, l’hypertrophie de Dakar, le déficit de production
industrielle, l’insécurité alimentaire et tant d’autres maux que nous vivons, ne peuvent
trouver leurs solutions que dans des dynamiques territoriales. Le principe de
subsidiarité qui voudrait que les lieux de décision et de mise en œuvre les plus
performants soient ceux qui sont les plus proches des cibles, oblige l’Etat central à
déléguer et à transférer certaines compétences à des pouvoirs locaux. L’Etat jacobin
que nous vivons aujourd’hui n’est pas apte à porter le développement économique et
social du Pays. Une grande réflexion sur la Territorialisation du développement doit
être rapidement suscitée. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que tous ceux qui,
tant soit peu ont réfléchi sur la problématique du développement de notre pays, sentent
que ce qui « cale » c’est surtout l’animation économique et sociale de nos terroirs.
Mais personne jusqu’à présent ne semble trouver la bonne formule.
Des assises sur le développement territorial devraient être organisées à cet effet.
En définitive, au regard du déroulement de l’élection présidentielle passée, du devoir
d’exemplarité du Sénégal en Afrique, du contexte politique maussade et délétére de la
sous-région et de notre prochain statut de Pays pétro-gazier, la stabilité politique de ce
pays est un enjeu crucial. Elle dépendra cependant très largement de notre capacité et
surtout de notre volonté à consolider et à renforcer la République, à faire en sorte selon
le mot de Victor Hugo que « La République soit en sûreté dans la constitution comme
dans une citadelle ». Le vieux poète aurait aussi dit que « la République, c’est
l’administration souveraine de la société »
La Mission fondamentale du nouveau régime qui se réclame du souverainisme est
donc tout tracée. C’est pourquoi, Il me plait ici de dire qu’autant, comme dit plus haut,
il est absurde d’être exigeant et intransigeant avec un régime installé il y a de cela juste
un mois, autant dans la formation et l’éducation à la citoyenneté, il eut été possible en
un mois d’amorcer l’installation du chantier de la construction citoyenne qui va servir
de soubassement axiologique à l’exercice du pouvoir et à la participation active des
populations à la gestion du pays. Ce chantier est d’abord évidemment discursif – au
commencement est le Verbe disent les évangiles-, car à la fois mystique et abstraction,
la République se nourrit d’un Verbe clair et mobilisateur.
J’ose donc espérer que la prochaine Déclaration de politique générale sera un temps
d’énonciation de la bonne parole, c’est-à-dire celle qui apaise, qui réconcilie, qui fixe
les horizons, qui fortifie et qui porte l’espérance. Cette bonne Parole, vêtue du pouvoir
administratif que lui confère le statut de chef du gouvernement de son porteur, est
aussi bien légitimement que légalement, vecteur de sens, de normes et de savoirs.
C’est pourquoi, je serai ravi ce jour, d’entendre le premier ministre, s’adressant à ses
concitoyens particulièrement aux fonctionnaires et agents du secteur public, insister
sur 02 vertus qui fondent l’Ethique républicaine : la sobriété et le dévouement.
En fait ces 02 qualités républicaines sont liées et dépassent même la sphère officielle car, si les propres affaires du citoyen sont simples, il s’occupera avec plus d’abnégation des affaires du public et aura plus de temps à consacrer à la République.
La sobriété est essentielle à la pensée et au style républicains. Elle crée dans la République une atmosphère générale de retenue aussi bien dans la parole que dans les actes. Elle crée par la simplicité des attitudes, une ambiance et un environnement favorables à l’égalité, au travail, au respect de la loi et des hommes, à la solidarité et à la participation de tous ; d’où le dévouement à la chose publique. La République passe alors en premier parce que tout le monde la comprend et la vénère. On rivalise d’ardeur pour la servir. On est aussi prêt à obéir que qualifié pour commander ; l’essentiel est d’être au service de la Res Publica.
C’est ce message que nous souhaitons entendre lors de la prochaine déclaration de politique générale et qu’on aurait même dû commencer à nous susurrer dès les premiers jours de l’alternance ; car en analogie à la loi monétaire de Graham, il est facile de constater que dans ce pays, « La mauvaise parole chasse la bonne ». Le brouhaha médiatique fétide de ces jours derniers participe sûrement de cette stratégie ; il revient donc aux nouvelles autorités d’y faire face en répandant vite et promptement la Bonne et juste Parole.
Niaga BACAPA
Fonctionnaire à la retraite à Tambacounda