“SONKO-MAME MBAYE NIANG : LE SILENCE DES JUGES, LE CRI D’UN PEUPLE” (Abdoulaye DIENG)

 

L’affaire Ousmane Sonko – Mame Mbaye Niang vient de connaître un tournant qui heurte la conscience collective. Ce que l’on avait qualifié de diffamation se révèle aujourd’hui comme une dénonciation fondée. Le fameux rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) sur le PRODAC, que la justice avait nié ou refusé d’examiner, existe bel et bien. Ousmane Sonko l’a brandi, l’a déposé, l’a ramené dans l’espace public. Et avec lui, une vérité qui dérange : la justice a failli.

Et cette vérité, ce n’est pas Ousmane Sonko qui l’a inventée. Elle fut d’abord révélée, noir sur blanc, dans une mission de vérification administrative et financière conduite avec courage et rigueur par Samba Laobé Dieng, Administrateur civil et Inspecteur Général des Finances.

Avec une conscience professionnelle rare et un sens aigu de l’État, il avait mis à nu les dérives du PRODAC, identifié des manquements graves, des irrégularités budgétaires massives, des abus. Il recommanda sans ambiguïté la traduction devant les juridictions compétentes de plusieurs responsables pour faux, usage de faux, escroquerie sur les deniers publics. Mais au lieu d’être soutenu, ce haut fonctionnaire exemplaire a été laissé dans l’ombre, oublié, écarté.

Décédé le 29 septembre 2018, Samba Laobé Dieng nous laisse un héritage moral immense. Dans un pays où le courage administratif est rare, il incarne la résistance tranquille, le service loyal de l’État, la droiture silencieuse mais déterminée. À l’heure où ce rapport refait surface dans le tumulte d’un procès politique, nous devons nous souvenir que la vérité a déjà été dite – et que ceux qui l’ont dite n’ont jamais été défendus.

Ce silence autour de son travail n’a rien d’anodin. Il éclaire, avec une clarté cruelle, le traitement réservé aujourd’hui à celui qui s’est appuyé sur ce même rapport pour alerter. La condamnation d’Ousmane Sonko sur la base d’un déni de preuve n’est pas une simple erreur judiciaire : elle est l’aboutissement d’un système qui choisit d’ignorer ses propres sentinelles.

Cette décision n’a pas seulement coûté à Ousmane Sonko son éligibilité ; elle a coûté à la République la confiance de ses citoyens en ses institutions. Elle a entamé le socle même de notre démocratie : la primauté du droit sur le calcul politique.

Aujourd’hui, un recours pour révision est déposé. C’est un acte de justice, mais c’est surtout un test pour l’État de droit. La question n’est plus de savoir si Ousmane Sonko avait tort ou raison : la vérité a éclaté. La question est désormais de savoir si la justice sénégalaise aura le courage de se corriger, et si les magistrats impliqués auront à répondre de leurs actes – par ignorance, par légèreté ou par soumission à des intérêts inavoués.

À cet égard, il faut saluer l’adoption récente du nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment l’article 56, qui permet, dans un cadre rigoureusement encadré, d’auditionner les magistrats en fonction. Cette disposition ne remet pas en cause l’indépendance de la justice ; elle l’équilibre, en rendant le juge également justiciable devant la représentation nationale, sans ingérence dans les affaires en cours. Dans un État de droit véritable, aucun corps ne peut être soustrait au regard de la nation. Cette avancée institutionnelle, bien que contestée par certains, renforce la transparence démocratique et participe à restaurer la confiance entre le peuple et les institutions.

Car il ne s’agit pas ici de défendre un homme, mais de défendre un principe : celui de la justice impartiale, rigoureuse et indépendante. Une justice qui ne vacille pas sous la pression politique, qui n’élude pas les preuves dérangeantes, qui ne se dérobe pas face à la vérité.

Si cette affaire devait rester sans conséquence, alors le message serait clair : l’injustice peut être maquillée en procédure, et la vérité sacrifiée sur l’autel de la raison d’État. Ce serait la victoire de la manipulation sur la transparence, du calcul sur la conscience, du silence sur le droit.

Trop, c’est trop. Ce moment exige un sursaut citoyen, une mobilisation lucide et pacifique, pour que cette affaire ne se referme pas dans l’impunité. Pour que ce précédent ne devienne pas la norme. L’histoire nous regarde. Et elle sera implacable.