Drame minier: «Soma ne dors pas, n’oublie pas tes mineurs»

«Nous avons le droit de manifester, cette tragédie est devenue politique.» Les larmes aux yeux, Saadet Yilmaz ne comprend pas la violence policière à Soma, où près de 300 mineurs sont morts dans une explosion due, selon de nombreux Turcs, à l’incurie du gouvernement.

«Nous voulons que le gouvernement soit honnête, qu’il nous dise combien de personnes étaient dans la mine, combien sont mortes», s’époumone Saadet, 52 ans, venue avec sa mère âgée pour manifester «sa peine et sa colère».

Dans la principale avenue de cette ville de 100’000 habitants, une dizaine de milliers de manifestants crient à l’unisson, le poing levé, les yeux embués pour certains: «Soma ne dors pas, n’oublie pas tes mineurs».

Devant le bureau local du syndicat des mineurs, ils chantent l’hymne national avant d’appeler une nouvelle fois à la «démission du gouvernement», accusé de négligence dans cette catastrophe minière.

L’explosion survenue mardi dans la principale mine de charbon de la ville a causé la mort de près de 300 personnes. Le ministère de l’Energie a transmis vendredi soir la liste des 292 défunts dans l’accident, le plus meurtrier dans l’histoire du pays.

Fronde contre Erdogan

Pour la première fois depuis l’accident minier, la police est intervenue à coups de gaz lacrymogène, de canons à eau et de balles en caoutchouc contre une foule endeuillée, qui ripostait en jetant des projectiles. Au moins cinq personnes, dont deux policiers, ont été blessées. Plusieurs manifestants ont été interpellés.

«Cessez de nous asperger d’eau! Allez asperger la mine. Au moins vous pourrez peut-être éteindre l’incendie», a crié un homme dans la foule. «Vous allez vous en prendre aux mineurs de ce pays?», «vous voulez une guerre?», hurle, hors de lui, un autre manifestant.

L’émotion suscitée par la mort de près de 300 mineurs, dans cette catastrophe industrielle, s’est rapidement muée en fronde contre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le gouvernement islamo-conservateur de l’AKP.

«Si c’était arrivé dans un pays européen, le gouvernement aurait démissionné, mais eux nous prennent pour des moutons!», lance Eyyüp Gülmez, mineur à la retraite, au commissaire de police venu appeler à la dispersion. «Ce n’est pas un coup du destin, c’est un meurtre», renchérit Burhan Celik, 23 ans, en réponse au discours du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui avait invoqué la fatalité à Soma.

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté jeudi à Istanbul, Ankara et Izmir, où la police a fait usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule.

A moins de deux semaines de l’anniversaire de la contestation du parc Gezi, le moindre rassemblement est très vite réprimé. A chaque appel à manifester aux abords de la place Taksim, les forces de l’ordre, en surnombre, mettent en place des barrages dans toute la ville pour empêcher les contestataires de se rejoindre.

«Maquillage sur la mine»

Porte-parole de l’AKP, Huseyin Celik a déclaré que la mine, autrefois publique, avait subi onze inspections au cours des cinq dernières années. Cette affirmation a été nuancée par des mineurs.

«Les inspections étaient effectuées après avoir été annoncées une semaine à l’avance par Ankara et nous avions pour instruction de nous tenir prêts», dit Ramazan, un mineur de Soma refusant de donner son identité complète par crainte de représailles de la part de son employeur. «C’était comme si on mettait du maquillage sur la mine.»

«S’il y a eu une négligence dans nos activités, une erreur, un manquement, je donnerai des suites juridiques afin de faire en sorte que les responsables soient punis», a dit pour sa part Alp Gurkan, président de Soma Holding, qui exploite la mine.

Il y a trois semaines, une proposition de loi déposée au Parlement et visant à instaurer une commission de contrôle des mines du pays a été rejetée par les députés du parti au pouvoir AKP.

Interrogés sur la nature des relations entre Soma Holding et l’AKP, Ramazan Dogru, directeur général de la société, a confirmé au cours d’une conférence de presse que sa femme était une responsable locale du parti d’Erdogan. Alp Gurkan a en revanche affirmé qu’il n’avait jamais rencontré le Premier ministre avant sa venue mouvementée mercredi sur les lieux de la catastrophe.

(ats/Newsnet)