
Le Sénégal a élaboré, entre 2015 et 2018, un document de Politique nationale de migration (DPNM). Le processus pour la réalisation de ce document a duré trois (03) ans avec l’implication d’une bonne partie des acteurs en la matière. L’objectif était d’avoir une référence dans ce domaine sans une contestation majeure. Le document a été validé par le Comité national de Pilotage dirigé, à l’époque, par la Primature. Mais, depuis plus d’un an, sa validation politique cloche poussant certains observateurs notamment ceux qui ont participé à l’élaboration dudit document à se poser moult questions. Pourquoi, après élaboration, le document est rangé dans les tiroirs alors que la question migratoire est devenue une problématique internationale ? Les hautes autorités du pays, en l’occurrence le président de la République, sont-elles au courant de l’existence d’un tel document ?
Emedia.sn a essayé de percer le mystère pour savoir ce qui se cache derrière la non-validation du tel document qui a fini d’inspirer certains pays de l’espace CEDEAO, qui sont déjà plus avancés dans la phase de la mise en œuvre.
Polémique sur le portage institutionnel du document
La migration devient de jour en jour une préoccupation de la communauté internationale. Alors que de 1960, date à laquelle le Sénégal a accédé à la souveraineté internationale, jusqu’en 2015, c’est-à-dire, 55 ans de vie politique, le Sénégal ne disposait pas d’une politique nationale de migration. Tous les ministères concernés par la problématique faisaient des politiques sectorielles. Dès lors, il fallait un cadre globale d’invention pour beaucoup plus de cohérence.
Avec le phénomène de l’immigration irrégulière et son cortège de drames, les découvertes de richesses naturelles qui feront du Sénégal un pays de forts taux migrants, l’Etat ne pouvait pas rester inerte. C’est pourquoi, la Direction du Développement du Capital humain au ministère au niveau ministère de l’Economie des Finances et du Plan, devenu ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération internationale, avait décidé de prendre à bras le corps en initiant un tel document.
« Il fallait combler un vide », note le Directeur du Développement du Capital humain, Lanfia Diané. Pourtant, ce portage a fait l’objet de multiples controverses. Nombreux sont les acteurs qui ne voyaient pas un tel projet être porté par le ministère de l’Economie. Pour eux, quand on parle migration, c’est du ressort du ministère des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur. « À l’époque nous n’avions pas compris pourquoi un tel document soit porté par le ministère de l’Economie et non celui des Affaires étrangères. Parce que l’on parle de migration ça inclue forcément les Sénégalais de la diaspora », renseigne le Coordonnateur du Forum social sénégalais, Mignane Diouf qui a participé à l’élaboration du document. Sa préoccupation a été prise en compte.
« Quand il y a une insuffisance sur des questions de développement, il est du rôle du ministère qui se charge de cette question de venir en appoint pour renforcer la capacité sur des questions spécifiques de développement. Ça c’est naturel. Il y avait un vide de politique publique quelque part, c’est du rôle du ministère en charge du Plan de venir en appoint. Voilà comment nous sommes venus », explique M. Diané. Qui ajoute : « au début, certains nous demandaient ce que le ministère de l’Economie venait faire dans ce projet. Je répondais toujours, vous avez oublié l’aspect ’’Plan’’. En nous critiquant, ils oublient souvent cette dimension du ’’Plan’’ est fondamentale en la matière ».
Un document national financé par un bailleur étranger
Si le Gouvernement du Sénégal n’a, jusqu’alors, jamais pensé à un document de politique de migration, c’est qu’aucun budget n’a pas été prévu dans ce sens. Il fallait, de toute évidence, chercher un financement pour un tel projet. C’est ainsi que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est entré en jeu. Mais contrairement à l’avis de certaines organisations de la société civile, l’Oim n’a pas commandité le document. Sa participation à l’élaboration du document se limite au financement. « L’initiative n’est pas venue de l’Oim.
C’est le Gouvernement du Sénégal à travers la Direction du Développement du Capital humain qui a élaboré le projet bien détaillé avec des montants de budget bien ficelés qui est allé voir un partenaire. Parce que, c’était en cours d’année, on ne pouvait pas crée un budget spécial pour le financement du projet », précise Lanfia Dainé. Qui ajoute : « L’Oim ne peut pas influencer le Sénégal. Cette organisation marche avec l’argent du Sénégal, parce que, nous participons à son budget. Est-ce que même tout l’argent que le Sénégal cotise, il le consomme », se questionne M. Diané.
Des démarches au niveau cette organisation onusienne nous ont permis de découvrir que, pour l’élaboration de ce document, l’Oim a mis sur la table un financement de 50 millions de F CFA. Ce que confirme le directeur du Développement du Capital humain. Mais ce financent n’a pas empêché les acteurs d’être « autonomes » dans cette élaboration. Seulement, en acceptant de financer le projet, l’Oim avait émis une doléance. C’est de la gestion intégrée des frontières. « Cette problématique est beaucoup plus imposante chez nous que chez les pays européens. Parce que, c’est nous qui perdons nos fils dans la mer ou dans les déserts », dixit M. Diané.
Le DPNM rangé au tiroir après sa validation technique par des experts
Pour qu’un document soit considéré comme une politique nationale, il doit nécessairement être validé sur le plan politique. C’est-à-dire, après sa validation technique, il devrait être approuvé par le Gouvernement avant d’atterrir à l’Assemblée nationale pour son examen et son approbation par les élus du peuple. Alors que depuis sa validation technique, en 2018, le DPNM est rangé dans les tiroirs. Il avait atterri à la Primature qui n’existe plus. « Le document est là. Il existe malgré les remarques et les suggestions. Maintenant, depuis sa validation technique, nous ne savons pas là où ça bloque », s’inquiète le Coordonnateur du Forum social. Son inquiétude est d’autant plus grande que le président de la République n’a jamais, évoqué dans un discours officiel, ce document composé de deux- cent (200) pages et neuf (09) chapitres. Pourtant, il accorde une importance capitale à la migration notamment la diaspora sénégalaise, à qui, il a accordé 15 députés.
Ce phénomène qui consiste à noyer des travaux d’experts dans les arcanes de l’Etat n’est pas nouveau au Sénégal. De nombreuses politiques ont fait l’objet de dépenses d’argents pour finir dans les tiroirs. Mais là, il s’agit de la gestion des Sénégalais dans l’espace mondial. C’est pourquoi, le juriste, consultant sur les questions migratoires, Malamine Diatta, trouve injustifiable le blocage d’un tel document. « Le document est très important. Il doit être validé. Le Sénégal doit cesser de faire des documents opaques. C’est au Sénégal où l’on fait de très bonnes réflexions, dépenser des millions et qu’après que l’on garde les résultats dans les secrets des dieux. Ce n’est pas bien », pense-t-il. Pour M. Diatta : « notre pays ne peut pas se développer en intuitu personae. Le Sénégal va se développer de l’externe comme de l’interne. Les 70% de son développement de l’extérieur sont gérés par sa diaspora. Si aujourd’hui on empêche à ces Sénégalais de l’extérieur de se développer pour mieux intervenir au niveau interne, alors le Sénégal joue contre lui-même ».
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