Pourquoi le PSE, sans le Mali, est inefficace. (Par El hadji Mansour Samb)

 

Le PSE est une stratégie de développement sans aucune base communautaire, c’est sa plus grande faiblesse. C’est un plan qui n’intègre aucun projet à dimension régionale. Nous devons savoir que le Sénégal ne pourra jamais émerger dans un marché de 16 millions de consommateurs (sa population). La petitesse de notre marché domestique est un inconvénient économique majeur.

Certes nous avons besoin de plans de développement nationaux (PSE) mais ces plans de développement doivent avoir une dimension régionale afin de créer de grands ensembles économiques dynamiques. Ces grands ensembles peuvent créer des marchés plus vastes pouvant absorber de gros investissements bénéfiques à toute la zone intégrée

 

En Asie du Sud-est beaucoup de pays comme Singapour avec une population de moins de 10 millions d’habitants ont émergé grâce à un commerce intrarégional qui faisait 65% du total de leurs échanges. Les pays de l’ASEAN (Asian South East Association Nations) font 65% de leurs échanges au niveau communautaire.  Ces pays asiatiques ont tous émergé dans une dimension communautaire. Un pays comme le Sénégal avec un faible marché de 16 millions de consommateurs ne trouvera son salut qu’en s’intégrant dans un vaste ensemble et en mettant tous les moyens pour faire du Sénégal une tête de pont pour les entreprises locales qui veulent conquérir les marchés de ce vaste ensemble. L’élargissement des marchés est une source d’opportunité pour l’émergence de nos entreprises. Un plan d’émergence conçu sans une vocation régionale atteindra difficilement son objectif. Nous devons mettre en place une stratégie de croissance qui intègrent une grande dimension régionale.

 

La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ont donné une dimension régionale à leurs plans d’émergence. Ces deux pays ont créé le sommet du traité d’amitié et de coopération. Le lundi 23 juillet 2018 Yamoussoukro avait abrité la septième conférence du sommet. C’est dans ces sommets que se déroulent les discussions et les signatures de projets entre les deux pays. C’est ainsi que dans le cadre de leur stratégie d’émergence ils ont mis en place des projets communs et intégrateurs. L’autoroute Yamoussoukro-Ouagadougou longue de 1200 km et avec un financement de 2 200 milliards de FCFA est en pleine construction. La commission de l’UEMOA a mis 1.6 milliard de FCFA pour les études techniques et de faisabilité de ce projet intégrateur. 

L’appel d’offres pour la réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou-Kaya a été lancé et gagné par l’opérateur américain Panafrican Minerals. Le montant est de 500 milliards de FCFA et les travaux devait démarrer en 2019. La vitesse des trains sera de 15 à 90 km/h pour le fret et de 25 à 125 km/h pour les passagers. Le pipeline Abidjan-Yamoussoukro a été inauguré en juillet 2013, le tronçon Bouaké-Ouagadougou pour approvisionner le Burkina Faso en produits pétroliers est en cours de réalisation et l’État burkinabè s’est engagé à entrer dans le capital de l’entreprise qui construit.

Les projets d’autoroute et de voie ferrée dont la Côte d’Ivoire est au cœur ne visent qu’à donner à certains pays enclavés de l’espace CEDEAO, un meilleur accès aux ports modernes d’Abidjan et de San Pedro. Ainsi l’AFD Côte d’Ivoire avait accordé 1,65 million d’euros au consortium Louis Berger pour la supervision des travaux de construction du corridor Côte d’Ivoire-Burkina-Mali. Ce corridor va mesurer 54 km, démarrera à Ferkessedougou deuxième ville du nord de la Côte d’Ivoire et va rentrer au Burkina et au Mali. 

Le chemin de fer Dakar-Bamako (1234 km dont 573 km à l’intérieur du Sénégal) est concurrencé par le projet ivoirien de chemin de fer : Abidjan-Ouangolodougo (frontière ivoiro-burkinabè) -Sikasso-Bougouni-Bamako. À noter que la voie ferrée Abidjan-Ouangolodougo existe déjà. Du côté de la Guinée, le vendredi 22 mai 2015 les présidents ivoirien et guinéen (Ouattara et Alpha Condé) avaient inauguré le pont de la fraternité bâti sur la rivière Ghahanla, un ouvrage de 7 m de large qui va faciliter le passage des camions et améliorer les échanges commerciaux entre la Côte d’Ivoire et la Guinée.

Ce que la Cote d’Ivoire fait avec le Burkina Faso pour booster son émergence, le Sénégal peut le faire avec le Mali mais dans ce Sénégal les autorités ne voient pas plus loin que Diamniadio.

Le Mali est la première zone d’exportation du Sénégal. De Kayes à Bamako circulent des millions de produits conçus et fabriqués au Sénégal mais aussi des milliers de Maliens formés au Sénégal dont l’ex-président de la République (Ibrahima Boubacar Keita) formé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous devons créer ce marché de plus de 30 millions de consommateurs avec les Maliens en intensifiant la construction d’infrastructures (chemin de fer et autoroute) et en évitant les problèmes entre les deux pays car le Mali constitue le premier marché d’exportation du Sénégal.

Le Mali est notre premier client à l’export avec presque plus de 50 % des exportations intrarégionales du Sénégal avec en majorité des produits comme le pétrole et le ciment. En 2015 au niveau de notre balance commerciale globale le Sénégal était excédentaire de 89,9 milliards vis-à-vis de la CEDEAO. Cette situation est expliquée particulièrement par le renforcement de l’excèdent vis-à-vis du Mali (+171,7 milliards). 

Aujourd’hui les tendances n’ont pas changé. Donc le Mali constitue notre premier partenaire commercial et nous devons consolider notre marché avec le Mali pour en faire un marché commun de plus de 30 millions de consommateurs.

Le plus grand client du port de Dakar est le Mali. Au niveau du tourisme médical le Mali est l’un des plus grands clients du Sénégal. Chaque jour nos entreprises expédient au Mali des dizaines de camions de produits fabriqués au Sénégal.

Un partenaire comme le Mali doit être intégré dans notre projet d’émergence pour plus d’efficacité. Le Sénégal devait travailler avec le Mali dans l’élaboration du PSE en mettant en place des projets d’envergure régional discutés par les patronats des deux pays. Le Sénégal devait inviter le Mali durant la présentation du PSE à Paris devant les partenaires techniques et financiers.

La Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso ont donné une dimension régionale à leurs plans d’émergence. C’est ainsi que dans le cadre de leur stratégie d’émergence ils ont mis en place des projets communs et intégrateurs. 

L’UEMOA encourage les projets communs et intégrateurs et leur cherche même des financements. Le 09 septembre 2014, elle a organisé un groupe consultatif à Dubaï pour mobiliser 10 759 milliards de francs CFA pour financer des projets d’intégration. 

Sur ces 10 759 milliards de francs CFA, 4 160 milliards de francs CFA vont être mobilisés pour la réhabilitation et la construction de 4500 km de voie ferrée dont les 2800 km de la boucle ferroviaire (Abidjan, Ouagadougou, Niamey, Cotonou avec un crochet à Lomé) et plus de 1 500 milliards de francs CFA seront mobilisés pour des projets routiers et autoroutiers dont le prolongement de l’autoroute Abidjan-Yamassoukro vers Ouagadougou. Aujourd’hui au moment où tous ces pays de l’espace CEDEAO veulent être au rendez-vous de l’intégration en participant à des projets qui vont booster leurs entreprises et accélérer leur croissance économique, que fait le Sénégal ?

Durant le premier groupe consultatif de Paris (février 2014) que le Sénégal avait organisé pour mobiliser des fonds dans le cadre du financement de son PSE, Cheikh Adjibou Soumaré patron de l’UEMOA à l’époque n’avait pas prononcé les mots Plan Sénégal Émergent (PSE) dans son discours. Il ne parlait que de la SNDES 2012-2017, il était à l’heure de la SNDES qui était un projet validé par l’UEMOA. La première copie de la SNDES présentée à l’UEMOA avait été rejetée car elle n’était pas conforme à certaines règles communautaires. La deuxième copie avait été validée par l’UEMOA.

Les instruments de politique économique doivent être en phase avec les engagements contractés par le Sénégal dans le cadre du pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité de l’UEMOA. Est-ce que le PSE à sa conception était adapté aux indicateurs de convergence ? Est-ce que le PSE a été présenté à l’UEMOA pour une validation ? En tout cas à Paris durant le groupe consultatif du Sénégal Cheikh Adjibou Soumaré n’avait pas mentionné le mot PSE dans son discours (vidéo disponible sur youtube). Il parlait de la SNDES.

Sur les 27 projets d’infrastructures du PSE combien ont-ils une vocation régionale ? Les plus grands projets d’infrastructures de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso ont des vocations régionales (autoroute, voie ferrée, oléoduc), c’est pourquoi l’UEMOA participe aux financements de ces projets intégrateurs. Ces pays contrairement au Sénégal ont compris que l’émergence se fera en dehors de leurs États.

Aujourd’hui le Maroc et la Cote d’Ivoire menacent même les intérêts du Sénégal au Mali et si nous ne faisons pas attention, si nous ne travaillons pas à renforcer notre intégration et nos acquis notre perdrons le marché malien.

Aujourd’hui le Maroc (Mohammed VI est venu deux fois au Mali en l’espace d’un an) et la Côte d’Ivoire constituent des menaces pour les intérêts du Sénégal au Mali. Au moment où le président Macky Sall était entre la Chine et Paris (groupe consultatif de fin février 2014), Mohammed VI passait cinq jours au Mali (18 au 22 février). Le jeudi 20 février, il avait signé 17 accords bilatéraux dans différents domaines, le mercredi 19 février avait eu lieu la rencontre d’affaires Maroc-Mali où tout le privé marocain était présent dont Othman Benjelloum le plus grand entrepreneur marocain et personne la plus riche du Maroc. 

À noter que les Marocains tiennent la moitié des agences bancaires du Mali (53 %), tiennent plus de 40 % des comptes ouverts et octroient près du tiers des crédits (28 %) à l’économie malienne. Quant à la Côte d’Ivoire après s’être occupée à densifier ses relations avec le Burkina Faso, elle va s’étendre au Mali à présent. Dakar-Bamako c’est une distance de 1234 km et 18 heures de route, Abidjan-Bamako c’est 1110 km et 15 heures de route, cela veut tout dire.

Dans 10 à 15 ans, le Sénégal sera à la traîne, économiquement à la queue dans l’espace intégré CEDEAO. Nos entreprises n’auront pas accès aux vastes marchés à cause d’un déficit d’infrastructures de connexion régionale. Aujourd’hui les dirigeants les plus ambitieux ont compris que l’heure est à l’intégration des marchés. Les vastes marchés permettent d’offrir plus d’opportunités à nos entreprises et nous devons tout de suite les y préparer. Si au niveau de nos zones intégrées, nous ne densifions pas nos relations commerciales, nos projets d’émergence partiront en fumée à cause des APE. Nous devons serrer les rangs, densifier nos relations et renforcer nos entreprises sinon les APE lamineront nos projets d’émergence.

 

Aujourd’hui au Sénégal nous devons nous battre pour aider nos capitaines d’industries, nos champions nationaux à accéder au marché sous régional. Nous devons aussi nous battre pour être au cœur des projets régionaux d’infrastructures en commençant par la réhabilitation du chemin de fer Dakar-Bamako, long de 1234 km et qui date de la colonisation.

 

Le Sénégal peut s’appuyer sur le Mali comme la Cote d’Ivoire le fait avec le Burkina Faso. Le Mali aidera à accélérer l’émergence du Sénégal avec son vaste marché. Le Sénégal doit privilégier une politique qui réponde à des aspirations sous-régionales. Il faut éviter de trop se concentrer sur les modèles de développement nationaux (PSE) et travailler dans la consolidation de grands blocs sous-

régionaux.

Un plan comme le PSE sans dimension régionale se limitera à développer Diamniadio car aucune nation au monde n’a émergé en se basant sur son marché domestique.

 

EL HADJI MANSOUR SAMB

ECONOMISTE – ECRIVAIN